Mausolée d'Ismail Samani© phototravelua - Shutterstock.com.jpg
Mosquée de Bibi Khanum à Samarkand © mehdi33300 - Shutterstock.com.jpg
La Médersa Tilia Kari © NICOLA MESSANA PHOTOS - Shutterstock.com.jpg

Trésors de l’Antiquité

L’Ouzbékistan est historiquement une terre de bâtisseurs. Les sites proto-urbains de Sapallitepa et Dzarkhutan (aujourd’hui situé au Tadjikistan), datant du IIe millénaire av. J.-C., sont les témoins des premières formes d’établissements sédentaires dans la région. Les chercheurs ont découvert des formes déjà très élaborées d’organisation urbaine avec des citadelles centrées autour de cours où s’organisait la vie quotidienne. Ces sites annoncent l’avènement des ark, concept perse signifiant « cœur de l’État » et désignant les citadelles érigées pour abriter et protéger les lieux de pouvoir. Les origines de la toute première enceinte fortifiée de Boukhara remonteraient ainsi au Ve siècle av. J.-C. Pour comprendre combien l’Ouzbékistan a été une terre de rencontre entre les cultures, c’est dans la province de Surkhandarya qu’il faut vous rendre. La zone regorge de sites archéologiques étonnants, témoins notamment de la présence multiséculaire de communautés bouddhistes. Sur le site de Kara-Tepe, vous pourrez observer les vestiges d’un monastère bouddhique creusé à même la roche. Mais le plus impressionnant des sites est sans aucun doute celui de Fayaz-Tepe. Datant du Ier siècle av. J.-C., le site présente les ruines d’un vaste complexe monastique, construit en brique de terre, comprenant une cour centrale, des salles d’études et un réfectoire, sans oublier le traditionnel stupa (monument abritant les reliques de Bouddha). À la même période, dans le désert du Kyzyl Kum, d’imposantes citadelles voient le jour, créant le vaste réseau de défense de la riche province de Khârezm. Ce sont les elliq-qala, les 50 forteresses du désert, sentinelles protectrices autant que lieux de rencontre entre commerçants et voyageurs, qui furent utilisées jusqu’au VIIe siècle de notre ère. L’une des plus anciennes est Qoy Qyrylghan Qala. Les chercheurs pensent qu’elle fut aussi un temple et un observatoire. Ayaz-Qala, la citadelle du vent, est en fait un ensemble de trois ouvrages fortifiés doté d’un système défensif composé de meurtrières, tours de guet et souterrains de protection. Mais la plus célèbre de ces forteresses est Toprak-Qala, la citadelle d’argile. Ceinturée de murs hauts de 20 m et épais de 12 m, la citadelle a été érigée en briques de terre, auxquelles ont été ajoutés des cailloux pour solidifier les bases et du sable pour préserver les intérieurs de l’humidité. Redécouvertes au XXe siècle, ces citadelles témoignent également d’une recherche urbanistique poussée avec organisation des espaces selon leurs fonctions (marché, zones d’habitation, temple). Malheureusement, le temps et le vent accélèrent leur érosion… alors visitez-les sans tarder !

Splendeurs de l’islam

Les plus grandes dynasties islamiques ont doté le pays de trésors architecturaux aujourd’hui classés au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Les Samanides, qui firent de Boukhara leur capitale la transformant en un puissant centre culturel, ont développé une architecture à la décoration très travaillée. Le mausolée Ismail Samani est l’un des mausolées du Xe siècle les mieux préservés au monde. Sa structure de base est celle d’un carré entouré de quatre arches soutenant un dôme sur trompes, les trompes étant de petites voûtes en encorbellement permettant un changement de plan entre la partie inférieure d’une construction, ici le carré, avec la partie supérieure qu’elle supporte, ici la coupole octogonale. Les colonnes engagées aux angles et la petite galerie courant en haut des murs contribuent à alléger l’ensemble. Mais l’élément le plus impressionnant de ce mausolée est sa décoration. Les briques cuites ont été posées horizontalement et verticalement de manière à créer des zigzags et des rangées de cercle, rappelant le tressage fin et délicat de la vannerie. Les puissants Karakhanides ont laissé un exceptionnel témoin de leur génie bâtisseur avec le minaret Kalon à Boukhara, unique vestige de la grande mosquée bâtie au XIIe siècle. Kalon signifie grand en tadjik…le minaret de 47 m reposant sur une base de 10 m n’a donc pas usurpé son nom. Outre sa superbe décoration à base de motifs géométriques réalisés en briques, le minaret étonne par ses propriétés architectoniques. En effet, ce dernier repose sur de solides roseaux servant de protection antisismique. Plusieurs fois restauré, le minaret ne s’est pourtant jamais écroulé ! Autres vestiges Karakhanides, les ruines du caravansérail de Rabati Malik dont seul subsiste aujourd’hui l’imposant portail, l’une des plus anciennes arches à arc-boutant d’Asie Centrale. Remarquez ses pourtours décorés de motifs calligraphiques. Les chercheurs ont déterminé que le caravansérail avait une superficie de plusieurs milliers de mètres carrés. Une monumentalité que l’on va retrouver aux XIVe et XVesiècles dans l’architecture timuride. Menées par le légendaire Timur, que l’Occident baptisa Tamerlan, les campagnes timurides sont dévastatrices… mais donneront par ailleurs naissance à une superbe architecture. Durant ses campagnes, Timur fait prisonniers artistes et artisans. D’un côté cela empêche la création de foyers d’opposition autour d’intellectuels, de l’autre, cela permet à Timur de mener les travaux d’embellissement de Samarkand, sa toute nouvelle capitale. L’architecture timuride reprend les grands codes de l’architecture persane : la cour avec 4 iwans – salle voûtée ouverte à une extrémité et située en général en face de la pièce à coupole qui abrite le mihrab, la niche à prière indiquant la direction de la Mecque –, la coupole et la façade imposante dotée d’un portail ou pishtaq monumental souvent délimité par des minarets jumeaux et fuselés –le pishtaq désignant l’arcature surélevée et la portion de façade encadrant l’iwan. À cela, les Timourides ont apporté des évolutions innovantes et remarquables. Ils ont ainsi élaboré un système de voûtes plus complexe, faisant notamment appel à des arches transversales, permettant de couvrir des zones beaucoup plus vastes qu’auparavant. Mais les apports les plus exceptionnels concernent la décoration. Les Timurides ont largement diffusé les décors polychromes en céramique. Les techniques utilisées en architecture reprennent celles utilisées en céramique pure : cuerda seca (technique de la corde sèche qui délimite les émaux par une ligne de pigments violets), motifs en relief, lajvardina (décor à base de glaçure bleue et d’émail), mosaïque de céramique émaillée (agencement de petits fragments à carreaux bien ajustés et émaillés de différentes couleurs), cartouche (motifs constitués avec une série de plaques, elles-mêmes composées de carreaux de céramiques). La céramique émaillée permet de réaliser des motifs d’une grande souplesse et d’une grande beauté : arabesques, rinceaux floraux ou bien encore inscription en thoulouth – écriture cursive, dépouillée et monumentale. Pour les extérieurs, les Timurides ont également eu recours à une technique appelée bannai consistant en un assemblage de briques vernissées ou émaillées disposées horizontalement et verticalement, de manière à créer motifs et inscriptions visibles de loin. Les vestiges du Palais d’Aq Saray, le palais blanc de Shahr-i Sabz, sont un bel exemple de ce que pouvaient donner ces techniques décoratives. Des éléments de l’impressionnant pishtaq de 40 m y sont également encore visibles. N’y manquez pas non plus la très belle mosquée Kok-Gumbaz et sa coupole bleue. Mais les plus beaux chefs-d’œuvre timurides sont évidemment à voir à Samarkand, qui portent non seulement la marque du grand Timur, mais aussi celle de son petit-fils Ulugh Beg, lui aussi grand bâtisseur. Partez donc à la découverte de la grande mosquée de Bibi Khanum, du complexe funéraire Gur-i Mir, ou bien encore du complexe Shah-i Zinda – l’une des plus belles nécropoles d’Asie Centrale, et laissez-vous émouvoir par la lumière tombant sur leurs décors tout d’or et de turquoise. Aux XVIe et XVIIe siècles, ce sont les Chaybanides puis les Djanides qui ont apposé leur marque sur les Khanats de Khiva et Boukhara. Parmi les plus belles réalisations de cette époque, notons la médersa Chir-Dor (littéralement la porte des lions) avec son portail orné de félins rugissant défiant l’interdiction de l’Islam de représenter des animaux vivants ou bien encore la médersa Tilia Kari avec sa cour transformée en jardin et sa décoration en or. Regardez bien son plafond dont les motifs fuselés réalisés en feuilles d’or donnent l’impression qu’il s’agit d’un dôme…alors que le plafond est parfaitement plat ! Outre leur maîtrise architecturale, ces grandes dynasties islamiques ont également légué un héritage urbanistique très important. Chaque ville possède son régistan, une place centrale où s’organisent les grands événements de la cité, ainsi que les marchés. Le plus beau est celui de Samarkand avec ses superbes médersas aux décors de faïences bleues. Une autre très belle place à ne pas manquer est la Liab-i-Haouz de Boukhara organisée autour d’un bassin protégé par des mûriers centenaires. Autour de ces places, les eski-chahar ou vieilles villes s’organisent. Leurs rues tortueuses sont composées d’habitations d’un ou deux étages articulés autour d’une cour centrale, au toit de paille et aux murs en brique crue. Le tissu urbain est ponctué d’édifices religieux (mosquées, mausolées, médersas) et commerciaux (caravansérails, galeries ou coupoles marchandes) et dispose d’un réseau d’adduction d’eau très performant permettant d’alimenter les bassins et fontaines mais également les hammams. La plupart des villes disposent également d’une cité intérieure, bien souvent fortifiée, à l’image de l’ark de Boukhara qui prit sa forme actuelle sous les Djanides. Enfin, à Khiva, ne manquez pas les réalisations du khan bâtisseur Alla Kouli, de la dynastie ouzbèke des Koungrates. Au XIXe siècle, ce dernier dota la ville intérieure fortifiée (Itchan-Kala) du superbe palais Tach Khaouli qui brille par la beauté de son décor mêlant le bleu de la céramique au vert de jade, d’une médersa, d’un caravansérail de la mosquée Saïtbaï (la mosquée d’été de la cité) et fit entourer Dichan Kala (la ville nouvelle) de 6 km de murailles. Autant de splendeurs qui ne manqueront pas de vous éblouir !

Influences russes

Dès le XIXe siècle, les Russes convoitent l’Ouzbékistan. Ainsi en 1865, les troupes de l’empereur Alexandre II marchent sur Tachkent et y érigent une forteresse unique en son genre en Asie centrale. Suivant un plan à six côtés, la citadelle était protégée par des fosses, bastions d’angles, murailles et tours crénelées et abritait une véritable ville avec une caserne, une armurerie et un hôpital. Les Russes repensèrent également la ville selon un plan quadrillé. À partir de 1917, les Soviétiques prennent le contrôle des villes ouzbèkes et les adaptent aux nouvelles normes égalitaires et hygiénistes du régime. Rejetant la religion, ils détruisent un grand nombre d’édifices cultuels, de même que de nombreux quartiers dits « précoloniaux » jugés inadaptés aux visées modernistes russes. Les quelques édifices préservés sont mis au service du régime. Les places sont vidées de leurs bazars pour accueillir de grandes manifestations politiques et les médersas sont transformées en cinéma où sont diffusés des films de propagande. C’est uniquement à partir des années 1940-1950 que la valeur patrimoniale des édifices ouzbeks est prise en compte. Sont ainsi restaurés le bassin de la Liab-i-Haouz, la mosquée de Kalon ou bien encore les portes de Khiva. L’URSS veut montrer au monde qu’elle sait prendre soin de son patrimoine. C’est également à partir de cette période que les grands changements urbanistiques et architecturaux prennent place. Dans l’ensemble, les Soviétiques font la part belle aux grandes places et larges avenues (pensées pour permettre à de larges avions d’atterrir !), aux parcs et espaces verts (le parc Navoï de Samarkand en est un bel exemple) et privilégient une architecture à deux visages. D’un côté, les immeubles d’habitation sont standardisés. Il s’agit de construire vite et à bas coûts pour répondre à la demande croissante de logements. Vous remarquerez que certains de ces blocs de béton ne dépassent pas 5 étages… C’est qu’à l’époque les ascenseurs coûtaient cher, alors il fut décidé que la hauteur maximale acceptable sans ascenseur était… 5 étages ! De l’autre, les édifices publics se mettent au diapason du monumentalisme et du classicisme voulu par le régime (l’Opéra de Tachkent en est l’exemple le plus frappant). Sous le régime soviétique, les architectes sont soumis à des directives très strictes. Pourtant certains d’entre eux vont réussir à imposer une vision personnelle à travers des bâtiments étonnants. Qu’on les juge « brutaux » ou « inesthétiques », ces édifices n’en font pas moins partie de l’histoire du pays. La ville qui porte le plus évidemment la marque soviétique est Tachkent. Elle fut d’ailleurs la 4e ville d’URSS. Parmi les édifices à ne pas manquer : la tour de radiotélévision et ses 375 m de hauteur et surtout le célèbre Hôtel Ouzbékistan et son impressionnante façade recouverte d’alvéoles identiques et symétriques. À Tachkent, n’oubliez pas non plus de plonger sous terre afin d’admirer le métro de la ville, créé en 1977. Il s’agit d’un des deux seuls métros de toute l’Asie centrale. Chaque station possède sa propre décoration grandiose mêlant marbre, bronze, granit et fonte. Étonnant !

Depuis 1991

L’architecture contemporaine ouzbèke se concentre surtout à Tachkent et porte la marque de celui qui fut le président jusqu’en 2016 : Islam Karimov. Ce dernier a privilégié une architecture mêlant classicisme monumental (marbre, colonnades…) et modernité (acier, chrome…) pour tous les édifices clés du pouvoir : hôtel de ville, palais présidentiel, sénat. Tachkent s’est également doté d’un complexe d’affaire, l’Akva-Park et de la plus haute tour d’Asie Centrale, la tour de la banque NBU, haute de 108 m. Sans concertation avec les autres acteurs du pays, Karimov a décidé d’un plan d’urbanisme visant à rendre la ville plus fonctionnelle en faisant table rase de tout ce qui pourrait entraver cette vision et en privilégiant ensuite une sorte de style néo-ouzbek avec moult coupoles et autres codes de l’architecture traditionnelle. Karimov a en quelque sorte recréé une ville mythique afin de baser l’identité nationale sur une légende. L’ensemble religieux du Khazrati Imam, entièrement restauré en 2007 – année où Tachkent fut désignée capitale de la culture islamique – en est l’exemple le plus flagrant. Certains éléments du complexe originel ont été détruits (école, bibliothèque) et d’autres ont été entièrement reconstruits comme la mosquée qui dispose des plus hauts minarets d’Asie centrale (63 m). Un ensemble architectural dont beaucoup ont critiqué l’absence d’authenticité. Aujourd’hui, le nouveau président, Shavkat Mirziyoyev, souhaite rompre définitivement avec la période Karimov et s’est engagé dans un plan d’action conjoint avec l’Unesco afin d’assurer la protection du riche patrimoine ouzbek et, lorsqu’une restauration est nécessaire, d’en préserver l’authentique beauté, en usant notamment de matériaux traditionnels.