Statue de l'empereur Huangdi © raymoe81 - Shutterstock.com .jpg
Fabrique de soie à Marguilan © Freda Bouskoutas - Shutterstock.com.jpg

Aux origines de la soie

C’est du règne de l’empereur Huangdi (entre 2700 et 2575 avant notre ère) que l’on date en général l’invention de la soie. En 1926, un cocon découvert par des archéologues chinois, dans une sépulture datant du néolithique, dans la province du Shanxi, est venu confirmer cette hypothèse dans un premier temps. Mais trente ans plus tard, une nouvelle découverte, dans le Zhejiang cette fois-ci, permet d’exhumer des tissus de soie dans une tombe datée de près de 5 000 ans avant notre ère. Ces pièces sont encore, à l’heure actuelle, les plus anciennes pièces de soie connues au monde. Mais puisque les légendes sont plus tenaces que les découvertes archéologiques, revenons à la vision de l’invention de la soie par les Chinois. La femme de l’empereur Huangdi, nommée Leizu, serait celle par qui le miracle de la soie serait arrivé. C’est en se promenant sous un mûrier, un thé brûlant à la main, qu’elle aurait découvert le secret de la soie. Un cocon malencontreusement tombé dans la tasse de thé aurait commencé à se dévider et l’impératrice, séduite par la qualité et la finesse du fil, aurait décidé d’entamer l’élevage de ces chenilles pour se tisser des vêtements d’une qualité sans égale.

La soie à Rome

Les Romains découvrent la soie à travers les oriflammes de leurs ennemis parthes, lors de la bataille de Carrhes. À l'affrontement militaire succède le commerce, et les Romains, si effrayés par la précieuse étoffe lors des combats, en deviennent vite de friands consommateurs. Moins d'un demi-siècle après la défaite de Crassus, la soie est si répandue à Rome que le Sénat dut interdire aux hommes de porter ce tissu si transparent et « déshonorant ». On imagine l’ambiance en lisant la description que fait Sénèque des vêtements de soie : « Une fois qu’elle les a mis, une femme jurera, sans qu’on puisse la croire, qu’elle n’est pas nue ; voilà ce que, avec des frais immenses, on fait venir de pays obscurs… » Car c'est bien d'argent dont il s'agit. La soie, pour parvenir jusqu'à Rome, doit traverser des milliers de kilomètres dans des contrées hostiles, sortir de l'empire Chinois, franchir les steppes et déserts où sévissent les raids nomades, traverser la Perse, puis la Méditerranée. À l'arrivée à Rome, le produit a pris tellement de valeur, que la fuite de capitaux devient incontrôlable.

Le développement de la route de la soie

Dès la fin du premier siècle de notre ère, la soie trace déjà son chemin depuis Xi'An jusqu'à Antioche, puis franchit la Méditerranée. À la soie se greffent de nombreux autres produits de luxe : épices, thé, cannelle, animaux, métaux précieux… Et les caravanes deviennent de plus en plus importantes, formée de plusieurs dizaines ou centaines de montures, entraînant la nécessité de créer des étapes capables non seulement de les accueillir, mais également de la protéger et de les ravitailler. Dès cette époque, grâce à sa position géographique, qui la met en relation avec la Chine d'un côté, la Perse de l'autre, l'Asie centrale domine le commerce. L'empire Kouchan, au second siècle de notre ère, domine non seulement la Sogdiane mais également la vallée de Ferghana et le Cachemire, assurant sur une très large partie de la Route de la soie, la sécurité des caravaniers.

Un nouvel acteur : l’islam

Alors qu'émerge dans la péninsule arabique une nouvelle religion qui va changer la face du monde, trois acteurs principaux contrôlent la Route de la soie de Xi'an à Byzance. Les Chinois de la dynastie des Tang, les Perses sassanides, et l'Empire romain d'Orient qui tient les portes de la Méditerranée. Après la mort de Mahomet en 632, l'islam déferle sur l'ensemble de ses contrées. La Perse et la Transoxiane tombent en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, sous la dynastie des Omeyyades, qui choisissent Damas pour capitale. Avec l'avènement des Abbassides, et le choix de Bagdad pour capitale, l'expansion reprend et le Califat couvre rapidement un empire bien plus étendu que celui d'Alexandre le Grand ou Jules César. Bientôt, les deux géants que sont les Arabes abbassides et les Chinois Tang sont au contact l'un de l'autre et luttent pour le contrôle de la Route de la soie et des richesses qui continuent d'y transiter. Après de nombreux affrontements sans issue, la bataille de Talas, dans l'actuel Kirghizistan, pose en 753 les frontières des deux empires. La victoire revient aux Arabes, mais les pertes ont été telles qu'il leur est impossible d'aller plus loin. Ainsi se fixent les frontières entre les deux géants : les Abbassides contrôlent désormais l'Asie centrale et la précieuse Transoxiane, les Chinois conservent le bassin du Tarim et la partie orientale de la Route de la soie.

L’âge d’or

Trois siècles de prospérité pour la Chine sous la dynastie des Tang (618-907), depuis leur capitale Xi'An, et la stabilité du gigantesque empire abbasside jusqu'à la conquête mongole permettent à la Route de la soie de se développer comme jamais auparavant. Chinois et Arabes, conscients des richesses que leur apporte cette extraordinaire voie commerciale, font tout pour sécuriser les routes et multiplier ses embranchements vers les contrées qu'ils ne contrôlent pas : la Mongolie, l'Inde, Constantinople. Déjà bien rodée en Chine, la Route suit les mêmes voies qu'auparavant, via la Transoxiane puis la Perse et la Syrie jusqu'à rejoindre la voie royale en Turquie. Dès la fin du IXe siècle pourtant, les mouvements nomades aux frontières de l'empire chinois se font menaçants. Chassés par les tribus kirghizes, les Ouïghours déferlent sur le Xin Jiang où, de nomades, ils deviennent sédentaires, s'implantant autour des oasis de Turfan ou de Khotan et prenant le contrôle de Kashgar. L'arrivée au pouvoir, en Mongolie, d'un des plus grands conquérants de tous les temps, Gengis Khan, va sceller et faire table rase de toutes ces évolutions et, une fois instaurée la pax mongolica, redonner du lustre au commerce de la soie.

La pax mongolica

En 1218, après sa conquête de la Chine, Gengis Khan marche sur l’empire des Kara Kitaï qui règnent alors sur le Turkestan oriental, puis défait le Khorezm et s’empare de l’ensemble de l’Asie centrale. Lorsqu’il meurt en 1227, il laisse derrière lui un empire de 26 millions de km2 où vivent plus de 100 millions de personnes. Les Mongols étaient maîtres de la Chine, de l’Inde, de l’Asie centrale, de la Sibérie, de la Russie jusqu’à Kiev et de la Perse jusqu’à la Syrie ! Pour la première fois de son histoire, la Route de la soie est contrôlée, de Xi'an à Constantinople, par un seul et même empire. Un empire sur lequel la pax mongolica règne, permettant au commerce de renaître de ses cendres, mais aussi aux explorateurs, missionnaires, ambassadeurs de voyager en toute sécurité à travers l'empire des Mongols.

En 1272, deux marchands vénitiens, Nicolo et Maffeo Polo, accompagnés de leur fils et neveu Marco Polo, partirent vers la Chine, le « pays des Sères ». Pour Nicolo et Maffeo, c’était leur second voyage en Orient, le premier les ayant conduits jusqu’au Khan mongol et à Boukhara, où ils avaient passé trois années. Ce second voyage devait être fait en bateau, mais les guerres chinoises dans les mers du Sud les firent changer d’itinéraire et, pour se rendre en Chine, ils traversèrent l’Asie centrale en passant par Balkh, le Pamir et Kashgar. Le récit de ces 25 ans de voyage, paru sous le titre Le Devisement du monde, est à la fois un conte foisonnant de personnages fantastiques et un roman d’aventure.

L'oubli

Pour la Route de la soie terrestre, la découverte de l’Amérique en 1492 aura deux conséquences. Les immenses réserves d'or qui seront découvertes sur le nouveau continent pousseront les nations occidentales à se désintéresser de l'Orient pour faire porter leurs efforts sur l'exploitation des richesses outre-Atlantique. D'autre part les progrès effectués en matière de navigation permettent aux grandes voies maritimes de remplacer peu à peu, comme l'avait souhaité Christophe Colomb, les routes terrestres. La boussole, inventée en Chine, et arrivée en Europe via la Route de la soie, alliée aux  progrès des techniques de construction maritime, vont bientôt conférer aux Portugais, aux Espagnols, aux Hollandais, aux Français, aux Britanniques, une suprématie sans égale sur le commerce avec les Indes et, plus largement, le commerce mondial.

Dès lors, le Cap de Bonne Espérance et le Cap Horn voient passer plus de cargaisons de soie qu’il n’en transite par Samarkand ou Kashgar. La Route de la soie explose en myriade de petites branches desservant les ports de commerce et comptoirs européens sur les côtes indiennes ainsi que le long du golfe Persique.

À l’essor des voies maritimes contrôlées par les Européens correspond donc sans aucun doute le rapide déclin de la Route de la soie terrestre.

Les traces de la route de la soie au Kirghizistan

S'il est bien un pays au monde qui reflète la Route de la soie plus que tous les autres et qui en a conservé les plus marquants et impressionnants vestiges, c'est bien l'Ouzbékistan. Au cœur géographique de l'Asie centrale et à mi-parcours sur les routes des caravanes entre Xi'an et Antioche, ce pays recouvert au deux tiers par le désert du Kyzyl Kum comprend les frontières de l'ancienne Transoxiane, où le commerce a été très tôt dominé par les Sogdiens qui contrôlaient les routes depuis Pendjikent, dans l'actuel Tadjikistan, ou Tachkent jusqu'à Boukhara. Leur emprise sur le commerce était telle que la langue officielle des caravaniers sur la Route de la soie était obligatoirement le sogdien, comme en témoignent les registres de commerce ou contrats d'échanges qui ont pu être retrouvés dans les sites archéologiques. Au cœur des déserts, le commerce s'effectuait aussi bien dans les forts, bâtis à l'origine pour se protéger des raids nomades, que dans les grandes villes oasis comme Boukhara ou Samarkand, qui toutes deux ont été de grands carrefours commerciaux et centres de rayonnement culturel, la première à l'époque samanide, la seconde à l'époque timouride, lorsqu'elle devint la capitale d'un des plus grands empires de l'Histoire. Si la plupart des caravanes quittaient l'Ouzbékistan au niveau de Boukhara pour entrer sur le territoire de l'actuel Turkménistan en direction du Khorassan iranien, certaines poursuivaient la route jusqu'à Khiva, au nord-ouest de l'Ouzbékistan, contrôlée par les Khorezm Shahs, qui entretenaient un important commerce avec les tribus nomadisant sur le territoire de l'actuel Kazakhstan et de la Russie. Ces trois villes ont conservé un incroyable patrimoine architectural, lié à différentes époques de leur histoire et reflétant tout l'univers de la Route de la soie : les gigantesques bazars, les caravansérails ou encore les coupoles des marchés couverts comme à Boukhara. Dans la vallée de Ferghana, on pourra aller à la rencontre des artisans ayant préservé leur savoir-faire traditionnel, en particulier dans le travail de la soie, à Marguilan.