Un patchwork ethnique incroyable

La Tanzanie compte près de 125 ethnies pour près de 100 langues. Les ethnies bantoues, qui représentent 95 % de la population, viennent de la région Niger-Congo. Parmi les plus importantes, on peut citer les Sukuma, Nyamwezi, Chagga et Haya : chacune compte plus d’un million de personnes. On trouve des souches un peu différentes, notamment les Masaaï, d’origine nilotique (de la région du Nil, Soudan, Tchad), emblématiques du pays. On rencontre aussi des ethnies originelles de la région avant l’invasion bantoue, les Khoisan. Ils ont la peau plus claire, parlent une langue avec des « clics » et vivent dans les maisons troglodytes. On compte deux ethnies, les Sandawe et les Hadzabe, qui vivent encore de la chasse et de la cueillette, non loin des peintures rupestres de Kondoa, entre Arusha et Dodoma. Il est d’ailleurs possible d’aller à leur rencontre.

Enfin, les Irakws d’origine couchitique (qui doivent leur nom à leur région d’origine, la Mésopotamie, avant leur migration à travers l’Afrique de l’Est jusqu’à la Tanzanie) sont très peu nombreux et ont gardé quelques traditions tout en vivant de façon moderne dans la région du lac Manyara. Il est aussi possible d’aller découvrir leurs villages. Seulement 1 % de la population est non-africaine, environ 50 000 personnes en Tanzanie continentale et 4 000 personnes à Zanzibar. La communauté asiatique, principalement indienne, est importante à Zanzibar du fait de son histoire, mais aussi à Dar et Arusha, où se développe l’économie du pays. De même, on compte des Européens installés principalement à Zanzibar et à Arusha, les deux pôles touristiques principaux.

Les Bantous, les ethnies les plus occidentalisées

Aujourd’hui, le mode de vie de la plupart des Bantous est moderne. A côté des données recueillies par les premiers voyageurs et les ethnologues, il ne reste de ces traditions que quelques souvenirs chez les anciens (qui vont bientôt disparaître), ainsi que des résidus de croyances superstitieuses ou d’expressions artistiques se manifestant à travers des associations culturelles spontanées ou des groupes folkloriques...  La musique actuelle est constituée d’apports exogènes : le reggae et la soukous congolaise (ex-zaïroise) rythmée par des instruments électriques. La soukous est la version actuelle de la ngoma (tambour en dialecte congolais) du Brazzaville des années 1950. Les paroles sont des romances dédiées à certaines jeunes femmes ou des histoires édifiantes de la vie quotidienne des villages... A Zanzibar, on trouve aussi la musique taarab, poèmes chantés et moqueurs, accompagnés d’instruments arabes, indiens et bantous. La danse, phénomène social tant sacré que profane, est extrêmement pratiquée dès l’enfance, souvent quotidiennement, à n’importe quel moment de la journée. Dans ce domaine, l’ethnie Sukuma, à l’est du lac Victoria, et dont le nom signifie d’ailleurs bouger ou secouer, est particulièrement réputée. Les jeunes Bantous actuels ne semblent avoir d’admiration et d’envie que pour le pouvoir d’achat et le mode de vie occidental. Le vêtement traditionnel des hommes n’est plus du tout porté, sauf sur la côte swahilie où la foi musulmane est profondément ancrée depuis des siècles. Seules les femmes des villages continuent de porter le kanga traditionnel. Mais les cheveux défrisés et le port du pantalon semblent être devenus des signes enviables de modernité dans le pays. La sculpture est désormais plus tournée vers la relation au touriste que vers la relation au sacré : elle prend surtout pour sujets les pasteurs maasaïs et les animaux sauvages. Bref, ce qu’admire l’amateur de safari... L’art de la parure a aujourd’hui disparu chez les Bantous. Les fouilles de nombreux sites archéologiques de l’âge de bronze ont mis au jour des bijoux faits d’ivoire, d’os, de coquillages, de coquilles d’œuf d’autruche... L’habitat traditionnel ne subsiste que dans les villages reculés, à l’écart des axes routiers principaux. D’une tribu bantoue à l’autre, et selon l’environnement naturel, les modes de construction étaient assez différents : bambous autour des lacs, bananiers sur les pentes des volcans, acacias et torchis dans la savane… Dans les campagnes, les adolescents et les hommes dorment encore dehors pour protéger les bêtes et les femmes des animaux sauvages.

Les Maasaïs, un peuple nilotique fascinant

Les Maasaïs, peuplade pastorale d’origine nilotique (de la haute vallée du Nil, dans la haute Egypte, entre Erythrée et Soudan), vivent aujourd’hui entre le Kenya et la Tanzanie, le long de la grande déchirure africaine de la vallée du Rift. On les chiffre à environ 300 000, dont moins d’un tiers sont assimilés aux populations bantoues ou couchites environnantes. En dehors des zones où les autorités leur ont assigné des terres, ce sont des semi-nomades qui, en fonction des points d’eau, déplacent leurs villages à dos d’âne ou sur le dos des femmes, pour y rester au moins quelques mois.

Les Maasaïs forment un peuple extraordinairement joyeux, simple et accueillant. Leur indépendance vis-à-vis des autorités, des frontières et des règlements de la société moderne est impressionnante. Au fil du temps, leurs terres ont été rognées par des cultivateurs occidentaux puis bantous, ensuite par les parcs nationaux. Alors qu’ils paient des impôts sur leurs bêtes et font rentrer de l’argent dans le pays en attirant des touristes désireux de les rencontrer, ils ont peu d’accès aux soins médicaux et vétérinaires, à l’éducation, à l’alimentation en eau. Seules les missions chrétiennes semblent s’être un peu intéressées à leur sort, mais à une faible échelle. La réduction de la surface de leurs terres les a parfois poussés à se sédentariser et à cultiver du maïs. La généralisation de l’éducation semble être indispensable pour leur permettre de défendre leurs droits (santé pour les enfants, soins des animaux...).

Une vie pastorale semi nomade traditionnelle

Les Maasaïs possèderaient environ 3 millions de bestiaux à cornes, soit environ 10 têtes par personne, femmes et enfants compris : c’est le chiffre le plus élevé de toutes les tribus africaines. L’homme adulte est fonction de son troupeau. Un vrai patrimoine. Les villages des « kraals » abritent 2 à 5 familles en général, de 4 à 15 cases en moyenne, entourées d’une ortification de perches et d’épineux, pour empêcher les bêtes sauvages, telles que lions, léopards et hyènes, de venir s’attaquer au troupeau ou aux enfants pendant la nuit. Toute l’organisation du kraal symbolise un monde magique : il est une codification de la place de l’homme dans l’univers. Les Maasaïs, qui vivent par et pour leurs troupeaux de zébus et de chèvres, sont persuadés que Engaï, leur dieu, leur a destiné tous les bestiaux du monde. Ce qui, par conséquent, leur donne le droit d’aller les prendre là où ils sont, et notamment chez les tribus voisines. Cette foi candide fut à l’origine de nombreuses razzias, jusqu’à ce que les autorités tanzaniennes bantoues deviennent plus regardantes. Les enfants maasaïs sont éduqués très rudement : dès l’âge de 3 ans, ils partent garder les troupeaux, armés de leur seul bâton de berger (rungu). Le taux de mortalité infantile fait peur : il arrive qu’il atteigne près de 50 %. Les causes en sont multiples : les infections pulmonaires, le paludisme, les attaques d’animaux sauvages, les morsures de serpent et de scorpion, les infections dues à des blessures bénignes mais non soignées... Ceux qui survivent sont forts. Ce peuple de guerriers extrêmement fier (mais ni arrogant, ni batailleur) a su conserver son mode de vie ancestral. Les Maasaïs vivent heureux tels qu’ils sont, et ne convoitent pas de succès matériels. Ils gardent le souvenir de leur puissance passée, de leur longue domination sur les autres ethnies, de leur victoire sur les Tatogs (Barabaigs ou Wamangatis), autres pasteurs nilotes, leurs ennemis héréditaires.

Les Maasaïs se nourrissent uniquement de lait (frais, ou caillé en yogourt dans leurs gourdes nettoyées à la fumée), de sang et, en des grandes occasions seulement, de la viande de leurs bestiaux, qu’ils égorgent et mangent sur des lieux appelés Olpul. En période de disette, ils percent la carotide de leurs vaches d’une flèche qui ne blesse pas profondément l’animal. Le sang est alors récupéré dans une gourde en fruit évidé, et ils le boivent chaud ou mélangé à du lait. La blessure de la vache est colmatée avec de la bouse, et la cicatrisation se fait en général sans problème. Ils abandonnent les corps de leurs morts aux bêtes sauvages (sauf ceux des laibons, dont ils pensent qu’ils se réincarnent en serpents) en les déposant à l’écart, enduits de graisse animale. Lorsqu’ils sont obligés de sacrifier une vache ou une chèvre (ils l’étouffent, puis la frappent pour faire cailler le sang dans la chair), ils ne laissent rien perdre de l’animal, à l’exception des sabots et des yeux. Ils se servent d’herbes pour toutes sortes d’usages tels que se laver les dents, préparer une potion antiseptique ou une boisson euphorisante à base d’écorce, ou même confectionner un déodorant !

Des rituels et des bijoux pour célébrer les âges

Les Maasaïs ont l’habitude de raser la tête des femmes, de s’arracher les deux dents de la mâchoire inférieure (dents de lait d’abord, vers 4 ou 5 ans, puis lorsque la deuxième rangée a repoussé) afin de pouvoir alimenter les malades, de se tenir au repos souvent sur une seule jambe, et de cracher en signe de bénédiction. Ils ne mangent jamais de poisson et méprisent le travail de la métallurgie. Les ethnologues ont également signalé des similitudes avec les Romains, qui habitèrent aussi un moment l’Afrique du Nord-Est : glaive de faible dimension (mkuki), sandales, toge (nagdo) nouée sur une épaule, coupe de cheveux en forme de casque romain... Les Maasaïs, en particulier les hommes, portent des toges de couleur rouge : c’est la couleur du sang, et c’est donc un signe de courage que de l’arborer. L’habit traditionnel comporte une autre pièce de tissu portée directement sur le corps (nangeretena). Les femmes sont parfois habillées en bleu, et portent encore des peaux de chèvre ou de vache brodées de perles. Pour en savoir plus sur les Maasaïs, voir la montagne sacrée de Ol Doinyo Lengaï sur les pentes du volcan de Ngorongoro.

Toute la vie des hommes maasaïs est réglée en fonction des passages d’une classe d’âge à l’autre, selon un usage transmis de génération en génération : ilayok (enfant), l’Alamal lengipaata (la préparation de la circoncision), l’Emorata (la circoncision), Ilmoran (guerrier), l’Eunoto (le rite de passage à l’âge adulte), Ilpayiani (aîné), état confirmé par la cérémonie de l’Olngesherr, où les jeunes gens doivent boire le sang chaud dans le corps d’un taureau. Très jeune, l’enfant est nourri au sein, puis par la bouche de sa mère, qui lui mâche la nourriture avant de la lui injecter par petites quantités. Lorsqu’il commence à avoir des problèmes de conjonctivite en raison du déséquilibre de son alimentation 100 % animale, on lui fait une brûlure circulaire par cautérisation sous chaque œil (d’où les marques qu’ont la plupart sur les joues). Vers l’âge de 7 ou 8 ans, l’oreille droite des enfants est percée à l’aide d’un éclat de corne effilé et, peu à peu, agrandie avec des bouts de bois de plus en plus gros. L’oreille gauche suit, puis le lobe de l’oreille droite, et le lobe de l’oreille gauche. Dans les zones reculées, les oreilles des hommes pendent à mi-distance de l’épaule. La fonction de cet usage semble d’abord décorative. Mais tous les bijoux que les Maasaïs se fabriquent en enfilant sur des fils de fer ou de cuivre des perles de verre achetées aux tribus voisines, formant par exemple pour les femmes d’immenses colliers (iruvusi) ou bracelets (emeirinai), ont également une fonction sociale et rituelle, en signifiant la classe d’âge, le statut, voire l’humeur de ceux qui les portent. Ainsi les jeunes femmes ne peuvent porter de bijoux en spirale autour des membres et de perles dans les lobes qu’après le mariage. L’excision a lieu lorsque la puberté des jeunes filles (endito) est atteinte. C’est une affaire de famille. La circoncision, en revanche, est une cérémonie très importante. C’est à cette occasion notamment qu’est bue la bière de miel ; le prêtre la recrache sur les jeunes pour les bénir. Après la circoncision, l’adolescent se peint le visage de blanc : il devient moran. Il va alors se laisser pousser les cheveux et se tresser de longues nattes de laine. Les nattes, lissées avec de l’urine de bétail, seront colorée d’ocre (lokaria), et décorée de bijoux. Pendant au moins 7 ans, le moran va recevoir des anciens une éducation de guerrier. Il va notamment habiter, avec ses congénères, un village à l’écart, appelé manyatta. Le combat contre les bêtes sauvages et, si possible, contre un lion, fait partie de l’éducation du guerrier, à plus forte raison si ce lion s’est attaqué au bétail. Les moran l’attaquent à plusieurs avec leurs lances, et il arrive assez souvent que certains d’entre eux soient blessés, ou même tués. C’est une pratique à peu près tolérée par les autorités, quoique non officiellement.

La fête de l’eunoto, passage à l’âge adulte

Elle a lieu dans l’o-singira, une manyatta construite à cet effet. Elle dure 4 jours et comporte force danses et chants, accompagnés des youyous des femmes et de la voix aiguë d’un soliste, dont les paroles évoquent des histoires de combats contre les lions, de guerres contre les ennemis, de troupeaux, ou de la vie courante ; Engaï est très fréquemment invoqué. Les points forts de l’eunoto sont la coupe des cheveux du moran, la cérémonie du lait, après laquelle le moran pourra commencer à boire même seul, et la cérémonie de la viande, où l’homme pourra pour la première fois consommer de la viande devant une femme excisée.

Le mariage chez les Maasaïs

Une fois adulte, le Maasaï peut se marier, avec une femme excisée en général peu de temps avant, et donc beaucoup plus jeune. Le mariage donne lieu à une grande fête. Le nombre de femmes que prendra un Maasaï est déterminé par l’importance de son troupeau. Les femmes connaissent des conditions de vie très difficiles : elles soignent les bêtes, portent l’eau, le bois pour le feu... Leur espérance de vie est plus faible que celle des hommes, qui laissent les enfants ou les moran garder les bêtes, et qui, guerriers en temps de paix, semblent passer leur temps à palabrer et à arpenter la brousse. Le bâton que portent les hommes plus vieux, appelé fimbo, est censé signifier la paternité, l’âge et la sagesse.