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Compartiment de train réservé aux femmes, Kuala Lumpur © Gwoeii - Shutterstock.com.jpg

Tous à l’école

Les petits Malaisiens doivent se rendre à l’école à partir de 6 ans, même si beaucoup d’entre eux fréquentent des maternelles privées à partir de 4 ans. L’éducation est gratuite et obligatoire durant les 6 années du primaire et 5 années de secondaire. La scolarité est sanctionnée par un certificat d’études, le Sijil Pelajaran Malaysia (SPM), à l’issue de ces 11 années d’étude. Les élèves qui souhaitent compléter leur éducation par des études secondaires doivent entreprendre un cursus payant de préparation qui dure entre 1 et 2 ans, suivant la filière choisie. Les études supérieures peuvent être entreprises dans des universités publiques ou privées, des écoles de formations spécialisées, toujours payantes. Sur le papier, le système éducatif est égalitaire et ouvert. Il garantit un socle de connaissances à tous les petits Malaisiens. En réalité, la ségrégation communautaire démarre dès l’école. L’école publique est surtout fréquentée par les Malais. Les Chinois ont créé leur propre réseau d’écoles, au niveau souvent considéré bien supérieur à celui des écoles publiques. Le mandarin y est enseigné de manière systématique et 95 % des enfants chinois y suivent leur scolarité, même si le diplôme de fin d’études n’est pas reconnu par le gouvernement. En conséquence, les élèves des écoles chinoises ne peuvent accéder aux universités et écoles de l’enseignement supérieur publiques. Beaucoup de ces jeunes Malaisiens chinois partent à l’étranger pour poursuivre leurs études supérieures et ne reviennent que rarement au pays. Ils sont tout de même 50 % à vouloir quitter la Malaisie et entreprendre une carrière à l’étranger. Les Indiens aussi disposent de quelques établissements privés, surtout dans les grandes villes. Les enfants des classes sociales les plus aisées suivent leurs études dans des écoles internationales, à la scolarité variant entre 4 000 MYR et 115 000 MYR par an. Avec un salaire moyen légèrement inférieur à 3 000 ringgits, assurer une bonne éducation à ses enfants peut représenter un vrai sacrifice pour les parents.

Clivage autour du travail

Le monde du travail cristallise également les tensions communautaires. Les Malais reprochent aux Chinois de dominer le monde des affaires et d’avoir un niveau de vie bien supérieur. À l’heure de l’indépendance, en 1957, les Malais étaient essentiellement agriculteurs. Les Chinois, eux, s’étaient rangés du côté des colons britanniques et participaient activement à l’essor économique du pays. Afin de niveler les différences de revenus entre les communautés, le gouvernement a inscrit dans sa Constitution le concept de « Bumiputra » qui établit une discrimination positive au bénéfice des Malais et des populations aborigènes. À la clé, des postes dans l’administration, des facilités d’emprunt, des bourses d’études, un statut préférentiel des entreprises dans le cadre d’appels d’offres publics, un rabais automatique à l’achat d’une propriété…, les droits spéciaux sont nombreux. En 1971, un ambitieux plan de développement économique est lancé pour permettre aux Bumiputras de posséder 30 % des entreprises, quand ils n’étaient qu’à 2,4 %. Par ce biais, le gouvernement espérait réduire la misère, accélérer le développement économique du pays et mettre fin aux tensions entre les communautés. Ce plan, en place pour 20 ans, n’a pas atteint tous ses objectifs. Les Bumiputras ne détenaient que 21,9 % de l’économie globale en 2008, mais la pauvreté avait reculé de 47 points, ne concernant plus que 5 % de la population. D’une manière générale, on peut dire que les Malais sont présents dans tous les secteurs de l’économie, même s’ils demeurent largement majoritaires dans le secteur de l’agriculture. Les Chinois dominent les secteurs industriels et de services. Les Indiens, eux, occupent essentiellement des postes dans l’administration (éducation, santé), mais ils font aussi partie des travailleurs les plus pauvres avec des emplois peu qualifiés. Les Chinois ont la réputation de travailler dur et de ne pas prendre les 26 jours de congés auxquels les Malaisiens ont droit annuellement. Ils placent leur ambition très haut et ce n’est pas un hasard si 11 des 13 milliardaires de Malaisie sont d’origine chinoise. Mais leur appétence pour une réussite financière éclatante se fait souvent au détriment de la famille.

La famille, au centre de la vie sociale

Le cocon familial est sans aucun doute le sujet qui rassemble tous les Malaisiens. La réussite sociale ne saurait être complète sans un mariage et des enfants. Comme en France, les Malaisiens se marient après la fin de leurs études et une fois leur entrée dans la vie active faite. Les hommes ont en moyenne 28 ans et les femmes 25,7 ans le jour où ils se passent la bague au doigt. La tradition du mariage est bien entendu définie par la religion pratiquée. Les mariages intercommunautaires font figure d’exceptions, bien que quelques unions entre Malais et Indiens de confession musulmane aient eu lieu. En revanche, le taux de natalité décroît de façon inquiétante. Il était de 6 enfants par ménage en 1963 et atteint péniblement 1,9 enfant à l’heure actuelle. Le taux de renouvellement de la population n’est plus assuré et celle-ci vieillit.

C’est à l’occasion des fêtes calendaires ou occasionnelles que les Malais se rassemblent en famille dans leur kampung d’origine. Vous ne trouverez plus un Malais en ville à l’occasion de la fête de l’Aïd qui célèbre la fin du Ramadan. Les villageois des kampungs sont considérés comme les gardiens des us et coutumes de la communauté malaise. Ils sont aussi les piliers de la famille, au sens large. Dans la mesure du possible, les Indiens perpétuent la tradition du clan familial. La nouvelle épouse rejoint la famille de son mari et devient responsable de la bonne tenue du foyer. On trouve sous le même toit grands-parents, fils et belles-filles, et enfants. Les Chinois, eux, se sont donné avec humour le sobriquet de « banane » qui résume bien la situation : jaune dehors et blanc dedans. Ils vivent plus proches du mode de vie occidental. Ainsi, la robe de mariée rouge traditionnelle est délaissée au profit de robes volumineuses d’un blanc éclatant. Ils concentrent leurs efforts sur la vie professionnelle, et la famille peut bien attendre. À tel point qu’un parti local chinois a organisé un club de rencontres dans l’espoir de favoriser des histoires d’amour qui pourraient déboucher sur la naissance d’enfants.

De la difficulté d’être une femme en Malaisie

Longtemps dominée et cantonnée aux tâches domestiques, la femme malaisienne s’émancipe progressivement. Aujourd’hui, 66 % des filles ont mené des études supérieures, et 47 % des salariés sont des femmes. Pour autant, elles subissent toujours une forte pression sociale. Le gouvernement a toutefois créé un ministère des Affaires des femmes depuis 2001. Il a pour mission de favoriser l’intégration des femmes dans la société et réduire les inégalités. De nombreuses actions sont menées pour leur garantir une meilleure sécurité, notamment dans les villes. Des wagons ou des bus roses sont réservés aux femmes dans les transports publics, et Kuala Lumpur s’est doté en 2011 d’un service de taxi entièrement féminin, de la conductrice aux passagères. La violence domestique fait partie des sujets de société qui occupent régulièrement la une des journaux. Si le viol marital est devenu illégal en 2007, la femme doit cependant obéissance à son époux, selon la loi islamique sur la famille. Cette obligation ouvre la porte à de nombreux abus. 39 % des femmes malaisiennes âgées de plus de 15 ans reconnaissent ainsi avoir été victimes d’abus de la part de leur partenaire. Le Code pénal autorise tout de même les femmes à porter plainte contre leur époux en cas de violences physiques ou de menaces. Ce sont surtout les femmes malaises qui sont les plus éloignées de l’émancipation. De religion musulmane, elles bénéficient de moins de droits que leurs consœurs d’origine chinoise ou indienne. Elles n’ont pas le droit de demander le divorce et leur mari peut posséder jusqu’à 4 épouses. La mutilation génitale est très largement pratiquée. Le Conseil national malaisien des Affaires religieuses a émis une fatwa en 2009 rendant obligatoire l’excision, même si « la pratique douloureuse doit être évitée » (sic). Ainsi, 90 % des Malaisiennes de confession musulmane sont victimes d’une ablation partielle de leur clitoris. La pratique est maintenue par obligation religieuse, mais aussi à cause d’un socle de croyances inébranlables : ce serait plus hygiénique et permettrait d’éviter les rapports sexuels avant le mariage.

Pas d’avenir pour les LGBTQ

Le sexe et tout ce qui y est rattaché font partie des sujets parmi les plus tabous. La faute à la religion, mais aussi à la pudibonderie britannique en vigueur lors de la période coloniale. Sodomie et fellation sont inscrites au Code pénal et sévèrement réprimées par la loi au nom d’un drôle d’héritage britannique. Ce qui pourrait passer pour un sujet trivial éminemment intime peut avoir des conséquences sordides. L’ancien leader d’opposition Anwar Ibrahim s’est ainsi retrouvé condamné à 5 ans de prison en 2015 pour sodomie. Cette loi est aussi régulièrement brandie à l’encontre d’activistes homosexuels hommes. Les relations entre personnes de même sexe sont prohibées par la loi fédérale et par certains États du pays appliquant la charia. Les transgenres sont tout autant inquiétés, mais sur la base d’autres lois. Lorsqu’ils sont arrêtés, de façon arbitraire, c’est pour indécence publique (loi fédérale) ou pour travestissement (loi islamique). C’est à Kuala Lumpur que la lutte pour l’acceptation des membres de la communauté LGBTQ se joue. La capitale, plus ouverte, accueille quelques associations de défense des droits des homosexuels et des transgenres, dont Justice For Sisters (Justice pour les Sœurs) menée par Nisha Ayub, une transgenre. Les membres de ces associations n’y sont pas autant livrés à la vindicte populaire, voire à la chasse à l’homme, comme cela peut se produire ailleurs dans le pays, sous le regard parfois bienveillant des autorités. En 1994, une milice de l’État de Selangor avait poursuivi et mené à l’arrestation de 7 000 personnes soupçonnées d’homosexualité. Les miliciens ont été félicités publiquement un an plus tard par le ministre des Affaires religieuses. En mai 2019, la police menait un raid dans un bar gay de Kuala Lumpur. Aucune personnalité politique ne s’est encore saisie du dossier dans l’espoir de faire évoluer la situation très précaire de cette communauté. Certains hommes politiques se contentent de déclarations occasionnelles en écho à des faits divers. Une étude du Pew Research Centre a établi que 86 % des Malaisiens étaient contre la dépénalisation de l’homosexualité. Le drapeau arc-en-ciel n’est pas près de flotter sur la place Merdeka.