Jeune orang-outan du centre de réhabilitation de Sepilok © kjorgen - iStockphoto.com.jpg
Bébé orang-outan s'accrochant au dos de sa mère © Freder - iStockphoto.com.jpg
Sepilok rehabilitation center © Lillian Tveit - iStockphoto.com.jpg
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Qui est le plus sauvage ?

17 mars 2019, quelque part au nord de Sumatra en Indonésie, une femelle orang-outan est arrachée à la mort. Sauvée in extremis par l’équipe du programme de conservation des orangs-outans de Sumatra, Hope, la petite trentaine, subit une longue intervention chirurgicale. Elle a été trouvée blessée, gisant sous un arbre, avec pas moins de 74 impacts de projectiles tirés par une arme à air comprimé. Son petit âgé d’un mois n’a pas survécu. Cette histoire tragique aurait aussi bien pu se passer en Malaisie. L’emprise des terres agricoles sur la forêt primaire ne cesse de se poursuivre et de réduire les espoirs de survie des orangs-outans. On estime que près de 80 % de l’habitat des primates a été déboisé en seulement 20 ans. La Société de conservation de la faune (Wildlife Conservation Society), une organisation non gouvernementale américaine, estime que l’espèce peut être amenée à l’extinction en milieu naturel d’ici les dix prochaines années. La seule parade envisageable consiste à mettre fin au braconnage et à la déforestation. Car en plus d’être les victimes des producteurs d’huile de palme, les orangs-outans sont aussi la cible privilégiée des revendeurs d’animaux sauvages. L’espèce a beau figurer sur la liste des espèces en danger critique d’extinction, elle demeure une quête de choix auprès des amateurs d’animaux sauvages à domestiquer. Un bébé orang-outan peut se négocier jusqu’à 45 000 US$ au marché noir. Quand on sait que les mères sont systématiquement tuées pour s’emparer des petits et que sur 8 jeunes singes enlevés, seuls un ou deux vont survivre à l’arrachement… Le WWF estime que 25 orangs-outans meurent chaque jour, ce qui représente plus de 9 000 individus tués par an. En revanche, les chiffres sur le comptage des individus varient. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature estime la population totale entre 45 000 et 69 000 orangs-outans, dont 35 000 sur l’île de Bornéo.

Quelle famille !

Les orangs-outans appartiennent à la grande famille des primates qui rassemble aussi bien l’homme que le gorille ou le microcèbe, un mini-lémurien qui ne mesure que 13 cm. Ils possèdent quelques caractéristiques communes, comme des yeux frontaux ou des membres terminés par 5 doigts avec un ongle plat. L’orang-outan partage 97 % de son patrimoine génétique avec l’espèce humaine. Il mesure de 1,10 m à 1,40 m, pèse entre 40 kg et 100 kg, et peut vivre jusqu’à 40 ans dans son milieu naturel. Nénette, un célèbre orang-outan femelle, coule des vieux jours heureux à la ménagerie du Jardin des Plantes à Paris. Elle a atteint l’âge canonique de 50 ans en 2019. Il existe trois sous-espèces d’orang-outan : celui de Sumatra (Indonésie), celui de Tapanuli (Indonésie) et celui de Bornéo. L’orang-outan de Bornéo est légèrement plus petit que ses cousins. Ils ont en commun un pelage roux et filandreux, un goitre important qui leur permet de pousser des cris puissants, et un air placide et mélancolique. L’orang-outan est un animal solitaire, contrairement aux autres singes qui vivent en tribu. Il se déplace sur un territoire qui s’étend de 10 km² à 40 km². Le mâle tolère la présence de la femelle s’il l’a préalablement fécondée. Elle peut bénéficier de la protection du père pendant un an ou deux après la naissance du petit. Les femelles accouchent d’un seul bébé à la fois. Les jumeaux sont rarissimes. La gestation dure 8 mois et il faut attendre entre 7 et 8 ans entre deux grossesses. La lenteur du cycle de reproduction explique en partie la quasi-extinction de l’espèce. Une fois mis au monde, le petit orang-outan va passer 6 à 7 ans avec sa mère. Les premiers mois, il s’accroche au dos ou au ventre de celle-ci. Puis il apprend petit à petit à grimper aux arbres, à trouver sa nourriture, à construire un nid pour la nuit. L’apprentissage de l’alimentation prend du temps. Il faut savoir distinguer les plantes comestibles des non comestibles, comprendre comment ouvrir un fruit à cosse. Le petit continue de téter sa mère jusqu’à la puberté et le grand départ. Une fois son enseignement terminé, il part à la conquête d’un territoire. Dans les premiers temps, il peut résider sur le territoire d’un autre mâle. Mais alors son développement se fera plus lentement. En restant petit, il est plus discret et peut aussi atteindre les hautes branches des arbres, plus souples, sur lesquelles un gros mâle ne se risquerait pas. Les orangs-outans atteignent leur maturité sexuelle entre 7 et 10 ans. C’est la femelle qui prend les devants lorsqu’elle est en période féconde. Elle sait où trouver un mâle grâce au long cri (long call) que celui-ci émet régulièrement pour signaler sa présence sur son territoire. Elle vient alors à sa rencontre et la période d’accouplement peut durer quelques jours, afin de mettre toutes les chances de son côté. Puis chacun repart comme il est venu. Seul.

Les habitudes de vie

Les orangs-outans passent le plus clair de leur temps dans les arbres. Ils y mangent et y dorment. Leur présence au sol s’avère trop dangereuse pour eux et ils deviennent une proie facile. Alors que de là-haut, ils peuvent observer ce qui se passe en dessous et surtout mener une vie peinarde. Ils se déplacent de branche en branche, en étirant leurs longs bras au maximum. L’envergure d’un mâle adulte peut atteindre plus de 2,50 m. Ils passent 40 % de leur journée à chercher de la nourriture. Ils privilégient l’écorce de certains arbres, les feuilles, les fleurs, et aussi les fourmis. Mais leur mets de prédilection est sans conteste le fruit, dont ils connaissent au moins une centaine d’espèce. Bien malins, ils les apprécient « verts » et se servent comme cela en priorité par rapport aux autres frugivores. Le rapport à l’alimentation est crucial pour les orangs-outans, si bien que dans les centres de réhabilitation, les soigneurs usent de ruses sans fin pour que le primate trouve sa nourriture. Ils la cachent, la placent dans des endroits incongrus, l’enferment dans des boîtes obligeant ainsi l’animal à réfléchir pour obtenir son dû. Ils savent qu’une fois retournés à la nature, ils auront à se démener pour se nourrir. La deuxième grande occupation de l’orang-outan est la construction du nid. Nomade, il se déplace constamment et doit tous les jours rebâtir un lit. Cette occupation lui prend aussi 40 % de son temps quotidien. Il faut trouver la fourche de branches idéales pour s’installer et à une hauteur suffisante pour assurer sa sécurité. Le nid est fait de branchages qui délimitent l’espace. Le singe vient ensuite y poser lianes, feuilles et brindilles pour s’assurer un matelas confortable. Il peut alors passer les 20 % de sa journée restante à dormir.

Des animaux intelligents

L’observation et l’étude des orangs-outans en milieu captif ont permis de déceler des capacités cognitives exceptionnelles. Ils possèdent une large palette d’émotions qu’ils manifestent, tout comme nous : peur, joie, tristesse, surprise, mauvaise humeur, bouderie… Les bébés pleurent quand ils ont faim ou mal et ils sourient à leur mère. Les orangs-outans sont connus pour trouver ou fabriquer des outils qui servent à leur survie. Ainsi, pendant la période sèche, lorsque l’eau devient difficile à trouver, ils mâchent des feuilles qu’ils transforment en éponge et plongent dans les cavités des arbres pour en extraire de l’eau. En période de pluie, ils se créent des parapluies avec de grandes feuilles de bananier ou d’alocasia. S’ils ont une rivière à traverser à gué, ils prélèvent une longue branche afin de sonder la profondeur du cours d’eau. Pour se nourrir, ils savent ruser mieux que personne. Dans la nature, ils récupèrent de longs bâtons qu’ils plongent dans les termitières et fourmilières pour en retirer leur friandise préférée. En cas de danger aussi, les primates se montrent prudents et astucieux. Une expérience a été menée par des chercheurs de l’Université de Saint-Andrews en Écosse. Ils se sont déguisés en tigre et se sont placés sous un arbre où se trouvait une femelle avec son petit. À chaque fois, la femelle s’est saisie de son enfant et est montée plus haut dans l’arbre, sans faire de bruit. Ce n’est qu’une fois que le danger a commencé à s’éloigner qu’elle a poussé un cri d’alarme pour avertir les autres animaux de la jungle. Sa propre sécurité passe avant tout. Mais les expériences en milieu captif sont celles qui ont permis de révéler toute leur intelligence. L’une d’entre elles a consisté à plonger une cacahuète dans une éprouvette, avec un fond d’eau. L’éprouvette a été ensuite fixée à la verticale sur une paroi. De l’eau a été laissée dans un récipient dans la cage de l’animal. Il a fallu au singe une dizaine de minutes pour comprendre qu’en élevant le niveau d’eau dans l’éprouvette la cacahuète allait remonter à la surface et il pourrait s’en saisir. L’expérience a été menée sur 9 femelles âgées de 7 à 32 ans et toutes ont réussi. L’orang-outan montre aussi une grande sensibilité. Nénette, la star « française » du Jardin des Plantes adore dessiner. Ses gardiens lui donnent fréquemment des feuilles et elle dessine avec des noyaux de mangue ou la peau de betterave. Une fois son œuvre terminée, elle la remet à ses gardiens à travers le grillage.

Où voir des orangs-outans ?

Profondément attachants, les orangs-outans peuvent être facilement observés en Malaisie. Le pays compte deux centres de réhabilitation, un au Sarawak et l’autre à Sabah. Le premier est le Semenggoh Wildlife Center, près de Kuching et le second le Sepilok Rehabilitation Center. Les deux centres ont pour but de réintroduire, quand c’est possible, les animaux dans la nature. Ce sont des orangs-outans qui ont été trouvés abandonnés, blessés ou malades, ou d’autres qui ont été arrachés à la captivité dans des cirques ou chez des particuliers. Moyennant un droit d’entrée raisonnable, il est possible de se rendre dans ces centres. Le Semenggoh Wildlife Center a notre préférence. Moins fréquenté que celui de Sabah, le centre rééduque les primates en semi-captivité. Il est donc possible de se promener dans la jungle sans garantie de les apercevoir, même si les chances sont bien entendu élevées. Le centre de Sepilok est beaucoup plus fréquenté et il n’est possible que de se rendre sur la plateforme d’observation. Les repas sont servis deux fois par jour, à 10h et 15h et les singes viennent se balancer sur les longues cordes pour se saisir de la nourriture. Essayez de rester un peu après le départ du flot de touristes. Les singes reviennent souvent, et lorsqu’il y a moins de monde, ils se livrent alors à des facéties. Si l’expérience des centres peut sembler contestable pour certains, sachez tout de même que vos ringgits dépensés participent directement à la sauvegarde des orangs-outans.

Il est aussi possible de tenter l’aventure en milieu complètement sauvage. Le Parc national de Batang Ai, à Sarawak, est le plus indiqué. En plus de présenter une grande concentration d’orangs-outans, ce qui augmente d’autant les chances de les apercevoir, le parc est co-dirigé par les Iban, la population tribale installée dans la région. Vous pourrez partir en randonnée dans la jungle, mais aussi remonter les cours d’eau en longboat, mode de déplacement traditionnel des Iban et loger dans une longhouse, l’habitat traditionnel. Le parc est aussi réputé pour ses calaos et ses gibbons. Dans tous les cas, parc ou centre, pensez à prendre une paire de jumelles ainsi qu’un appareil photo avec un zoom puissant. Et laissez-vous charmer et attendrir par ces grands primates colorés qui nous renvoient à notre humanité.