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Sculpture d'un indien Yamana, Museo Yamana. ©Free Wind 2014 - Shutterstock.com  .jpg

Les peuples précolombiens

De nombreux peuples précolombiens occupaient les terres de l’actuelle Argentine avant l’arrivée des Européens. Dans le nord du pays, et notamment dans les provinces de Salta et Tucumàn, les Diaguitas, étaient des agriculteurs dont la civilisation sophistiquée avait atteint un niveau élevé de développement. Incorporés à l’Empire inca, ils confectionnaient des urnes funéraires ou encore des vases et s’organisaient en villages d’ethnies distinctes qui avaient en commun la langue cacán. Parmi les autres ethnies du Nord, on peut également évoquer les Comechingones, habitants des grottes de la région de Córdoba, qui avaient la particularité de porter la barbe (rare chez les peuples indigènes) et les Humahuacas. Ces derniers formaient une grande confédération d’agriculteurs et excellaient également dans le domaine de la poterie et du tissage. Les Apatamas habitaient sur l'Altiplano de Jujuy et commerçaient avec les Atacamas de l'actuelle Bolivie. Les Guaranis se divisaient en plusieurs groupes : les Guaranis des îles ou Chandules (sur les îles du delta du Río Paraná), les Guaranis del Carcarañá (province de Santa Fe), les Guaranis de Santa Ana (au nord de l'actuelle Corrientes), les Cáingang ou Cainguás (à l'intérieur de la province de Misiones, vers Corrientes et Entre Ríos, et même jusqu'en Uruguay vers Concordia), et les Chiriguans (Chaco vers Salta et actuelle Bolivie).

Les Tehuelche et les Mapuche : peuples de guerriers

Ces tribus bien différentes se partageaient la zone méridionale de la Patagonie avant la Conquête du Désert. Originairement, les Mapuche occupaient la partie chilienne des Andes, mais dès le XVIIIe siècle les assauts des colons espagnols les obligèrent à migrer en Argentine. Ils se mélangèrent ainsi aux Tehuelche et leur imposèrent même leurs coutumes et leur langue. De stature plus modeste, les Mapuche avaient une société plus complexe. Leur culture était bien plus développée, notamment parce qu’ils étaient chasseurs, mais aussi agriculteurs, et qu’ils vivaient en sédentaires sur leurs terres. Ils connaissaient les tissus et la poterie et jouissaient de leur propre calendrier, qui régit toujours aujourd’hui certaines de leurs festivités. De manière assez ironique (et comme dans bon nombre de colonies de l'époque), l’écriture mapuche naquit avec l’expansion des Espagnols et l’évangélisation qui s’ensuivit. Le massacre de la conquête économique du XIXe siècle n’a toutefois pas éradiqué la présence Mapuche dans cette zone. Aujourd’hui, on considère qu’il subsiste environ 300 000 Mapuche en Argentine.

Les peuples de la Terre de Feu : les Fuégiens

Les Fuégiens étaient 7 000 au XIXe siècle, 600 en 1924 et plus que cent en 1940. Aujourd'hui, ils ont complètement disparu. Trois peuples se partageaient les immensités hostiles de la Terre de Feu argentine : les Haushs (ou Manekenk), les Onas (ou Selk'nam) et les Yaghans (ou Yamanas). Affrontant sans cesse les éléments d'une nature puissante, ils représentaient un miracle d'adaptation en dépit des jugements atroces qui furent portés sur eux par Cook, Darwin et Bougainville. Malgré des descriptions et des études d’ordre géographique ou ethnologique, on connaît malheureusement mal l’histoire et les mœurs des Fuégiens. Les Yamanas étaient des « nomades de la mer » ainsi que d’excellents artisans : chacun fabriquait ses outils, faits de bois et d’os. Leurs paniers étaient faits de joncs et servaient à collecter les mollusques, les coquillages et les fruits. Sur l’eau, les hommes utilisaient des harpons sommaires pour chasser : les pingouins ou les cormorans constituaient leurs butins de chasse préférés. Enfin, ces populations ne s’habillaient pas vraiment et les corps étaient enduits d’huile de poisson et de graisse de mammifères marins pour protéger la peau des méfaits du climat. De nos jours, quelques métis sont encore présents dans la ville de Rio Gallegos.

Les Selknams (ou Onas) et les Haushs vivaient sur l'archipel de la Terre de Feu, côté atlantique, dans les environs de l'actuel Rio Grande. Peuple nomade, ils parcouraient la steppe en quête de ñandús (l’autruche patagonne) et de guanacos qu'ils attrapaient à la course ! Lucas Bridges, explorateur anglo-argentin, décrit les subtilités de leurs coutumes sociales : « Quand ils dépeçaient un guanaco, les Onas partageaient généralement l’animal en six morceaux pour en faciliter le transport. Cette fois-là, Tamimeoat découpa l’animal en autant de morceaux qu’il avait d’hommes, et il donna sa part à chacun. À chaque fois, le bénéficiaire était le seul à ne montrer aucun intérêt au partage ; il faisait semblant d’arranger le feu ou de s’enlever les mocassins, ou regardait dans le vide, jusqu’à ce qu’un autre membre du groupe lui fasse remarquer le cadeau reçu ». Aucun chef permanent ne dirigeait les tribus ; mais une certaine hiérarchie cimentait les liens sociaux : les chamans étaient investis du pouvoir de guérir ; les sages étaient les dépositaires des traditions mythologiques ; enfin, les guerriers étaient respectés pour leur expérience : de fait, leur position les apparentait parfois à celle d’un chef. Au milieu du XIXe siècle, des chercheurs d'or s'établissent dans la région, au premier rang desquels le célèbre ingénieur roumain Julius Popper, dont certains clichés accréditent la thèse selon laquelle il fut un impitoyable tueur d'Indiens. Puis l'arrivée des missionnaires salésiens contamina les indigènes de terribles maladies et ils disparurent peu à peu : la dernière des Onas, Lola Kiepja mourût dans les années 1950.

Les afro-descendants : une communauté oubliée

À la suite de l’arrivée des Conquistadores, l’Argentine connut une succession de vagues migratoires entre le XVIe et le XXe siècle. La première se caractérisa par la déportation importante d’Africains, entre le XVIIe siècle et le XIXe, qui furent contraints à l’esclavage. À partir du XIXe siècle, on assista surtout à la venue en grand nombre d'Européens de l’Ouest, partout dans le pays et à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle à une immigration massive urbaine en provenance de toute l’Europe (Italie, Espagne, France, Angleterre, Allemagne, Russie, Ukraine, Pologne...) si bien que le brassage ethnique fut essentiellement européen et que la population se caractérise encore de nos jours par une peau claire. Qu’en est-il alors de la communauté noire africaine qui ne représente plus que 1,8 % de la population totale en Argentine aujourd’hui ? Au début du XIXe siècle, la communauté afro-argentine représentait la moitié de la population dans les plus grandes villes du pays. Issue de la traite négrière pratiquée par l'Espagne, puis par le vice-royaume du Río de la Plata, la déportation de ces peuples africains joua un rôle clé sur la culture nationale. Originaires des deux Congos, d’Angola et de Guinée, ils appartenaient à la famille ethnique bantoue et, déportés par milliers, ils étaient exploités comme employés domestiques ou travailleurs agricoles. Le recensement de 1778 révèle que Buenos Aires comptait à l'époque 7 268 esclaves d'origine africaine, soit près d'un tiers de la population de la ville ! Pourtant cette histoire collective n’a laissé que peu de traces dans l’Argentine actuelle, qui peine à mettre en valeur ses racines africaines… et pour cause : le blanchiment de la population dictée par la « suprématie de la race » fit bien évidemment défaut à la pérennité de la communauté noire. À la fin du XIXe siècle, c’est notamment à cause de l’idéologie raciste du président Domingo Sarmiento – qui déclara que d’ici vingt ans, l’Argentine « serait débarrassée des Noirs » que l’immigration blanche fut alors favorisée : Français, Italiens, Espagnols affluèrent et contribuèrent au blanchiment de la population. Mais au­-delà du brassage ethnique, d’autres vérités sont à révéler : beaucoup des descendants des esclaves africains connurent un taux de mortalité élevé au sein de leur communauté. Beaucoup tombèrent au combat lors des guerres régionales au XIXe siècle, d’autres furent enrôlés dans la guerre meurtrière du Paraguay, et la fièvre jaune fit également des ravages au sein de la communauté. En effet, contraints à se confiner au même endroit, et déjà victimes de cette infection virale, ils ne purent y échapper.  Enfin, de nombreux esclaves s’engagèrent dans la Guerre d’Indépendance : ils représentaient alors 60 % des combattants. Le général José San Martin avait notamment promis aux esclaves la liberté s’ils se battaient… mais la guerre prit fin en 1816 et la fin de l’esclavage ne fut abolie qu’en 1853. Les Afro-Argentins qui survécurent se mélangèrent alors aux immigrants européens tant et si bien que la quasi-totalité des Afro-Américains argentins disparurent emportant avec eux leurs racines culturelles. Selon le dernier recensement, 150 000 personnes se reconnaissent comme Afro-descendants mais d’après les chercheurs près de 2 millions d’Argentins auraient des racines africaines. Le défi de mettre à jour cet héritage ignoré par les préjugés d’un pays qui se pense toujours comme une Nation Blanche semble assez périlleux. Pourtant, ce travail de mémoire rencontre de plus en plus d’échos : l’Argentine consacre désormais une journée aux Afro-descendants et fête l’ensemble des cultures africaines historiques et actuelles tandis que de plus en plus d’associations voient le jour et souhaitent visibiliser cette histoire à peine abordée dans les manuels scolaires.

Les colons espagnols et les immigrés européens

Aux XVIe et XVIIe siècles, ce furent essentiellement des hommes espagnols qui débarquèrent et se mêlèrent à la population locale. À la suite du génocide indigène, les terres ont été successivement occupées par des immigrants rêvant du Nouveau Monde. L'Argentine a connu une très forte vague d’immigration au milieu du XIXe siècle. En effet, à partir de 1860, les Européens arrivèrent en masse par le Río de la Plata, : au moins 4 millions d’immigrants, principalement des Italiens, Espagnols, Allemands, Russes, Basques français, Polonais, Russes, Ukrainiens, Anglais, Irlandais, Suisses, Croates, Néerlandais, Tchèques, Libanais, Syriens… Ils s’installèrent définitivement entre 1870 et 1930. L’Argentine devint alors l’un des pays dont la population s’accrut le plus vite au monde. Les Européens colonisèrent la pampa et les terres tropicales du Nord-Est, mais beaucoup restèrent à Buenos Aires, qui vit sa population passer de 120 000 habitants en 1850 à 1,5 million en 1914. Le comportement démographique de l’Argentine est proche de celui des pays industriellement développés de l’hémisphère Nord, tandis que sa population est urbaine à plus de 86 %. Bon nombre de juifs, qui fuyaient alors les pogroms, s’installèrent dans la Mésopotamie argentine et fondèrent des communautés agricoles. Ils bâtirent des maisons et des coopératives, érigèrent des synagogues, édifièrent des écoles et des bibliothèques. Dans les années 1940, ce fut au tour des juifs fuyant l'Allemagne nazie de rejoindre leurs coreligionnaires dans d'autres villes de la région. En Patagonie, on distingue quelques communautés de colons particulières. Tout d'abord, les Gallois ont été parmi les premiers colons européens à s’installer dans la province de Chubut, dès l’année 1865. Les raisons de cette immigration sont principalement historiques et culturelles : à l’époque, les Gallois se sentaient menacés et craignaient que leur communauté et leurs mœurs ne disparaissent face à la domination britannique. C’est pourquoi ils ont décidé de s’installer outre-mer afin de préserver leur identité et leur culture. Ils s’installèrent sur la côte atlantique et fondèrent les villes de Puerto Madryn et Rawson. L’expansion des Gallois ne s’arrête pas là puisqu’ils continuèrent à investir les territoires du Sud jusque dans les Andes : ils fondèrent également Esquel et Trevelín. Enfin, bien que l’Argentine soit très souvent perçue comme une terre d’asile pour les anciens nazis en cavale, la première vague d’immigration allemande en Patagonie remonte à la moitié du XIXe siècle. Le recensement de Buenos Aires en 1853 comptait pas moins de 2 000 Allemands. De plus après la Seconde Guerre mondiale, des milliers d’officiers allemands débarquèrent en Argentine. Beaucoup d’entre eux savaient qu’ils seraient jugés pour leurs crimes et leurs actions. Ils souhaitaient donc s’enfuir le plus loin possible. Pourquoi choisir l’Argentine ? L’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, toutes trois alliées, possédaient déjà des communautés d’immigrés en Argentine, ce qui facilitait leur intégration. De plus, le président de l’époque, Juan Perón aida plusieurs criminels de guerre à s’installer dans son pays.

Le castillan argentin

Le résultat de l’immigration et du métissage a abouti à la propagation d’argots et de langues locales bien spécifiques à l’Argentine. On peut citer notamment le « cocoliche », un langage hybride, parlé par les immigrés italiens à Buenos Aires qui mêlaient la langue de leur pays d'origine à l'espagnol de leur terre d'adoption, ou le « lunfardo », un argot hérité des classes populaires. Et bien que l’espagnol soit la langue officielle, le castillan argentin (castellano) possède quelques spécificités qui devraient effaroucher tous ceux dont l’espagnol se limite à un vague bagage scolaire. La première règle est la suivante : le « ll » suivi d'une voyelle se prononce plus ou moins « ch ». De ce fait, caballo (cheval) se prononce « cabacho », » ; calle Lavalle (rue Lavalle) se prononce « caché Lavaché ». Cette distinction vous permettra de repérer très facilement un Argentin dans n'importe quel pays hispanophone ou, pour être plus exact, certains Argentins, et surtout le Porteño, l’habitant de Buenos Aires (dans les provinces de Misiones ou de La Rioja, par exemple, qui possèdent, elles aussi, leur propre façon de parler, cette particularité n’a pas cours). Autre changement notable, qui risque de vous dérouter au début : le espagnol est remplacé par le vos, qui s'accompagne d'une conjugaison particulière. Ainsi on dira vos podés à la place de tú puedes ou vos querés à la place de tú quieres ! La conjugaison se permet ainsi quelques fantaisies : vos tenés du verbe tener, ou même vos sos du verbe ser… au lieu de tú tienes ou tú eres. C’est un peu le bazar, mais, point positif, cette mutation grammaticale est toujours respectée et l’on s’habitue au bout d’un moment. Vous finirez peut-être même par commencer vos phrases d’un « Che ! » ou « Che, loco ! » (ou encore « Che, boludo ! »).