Nicolae Grigorescu © Prachaya Roekdeethaweesab - shutterstock.com.jpg
Street art rue Arthur Verona à Bucarest © Photo_Traveller - shutterstock.com.jpg
Musée d'art de Craiovia © Marius M. Grecu - shutterstock.com.jpg

Les icônes, entre art religieux et traditions populaires

Depuis le XVIIe siècle, les paysans roumains peignent des icônes sur le bois et le verre. Elles sont destinées à protéger les maisons. Les icônes sur bois sont issues de l’héritage byzantin qui marque encore la région. Véritables objets de culte, elles sont regroupées en iconostase dans les églises et monastères. En Moldavie, à Voroneț ou Moldovița par exemple, nombre de ces dernières sont visibles et comportent des icônes typiques du style brâncovan, formant d’admirables dentelles de bois. Constantin Brâncoveanu (1654-1714) est un prince de Valachie qui donna son nom à un certain style d’iconostase, dont on peut admirer un exemple à l’église Saint-Spiridon de Bucarest.

Les icônes sur verre (icoane pe sticlă) de Transylvanie sont particulièrement réputées. Elles voient le jour après le rattachement de cette région aux territoires des Habsbourg en 1699. La même année, au village de Nicula, un paysan jura avoir vu des larmes s’écouler sur le visage de la Vierge représenté sur une icône. Nicula devint ainsi l’objet de pèlerinages des populations paysannes voisines, qui commencèrent à rapporter des icônes chez eux, et à en confectionner pour certains. C’est ainsi qu’en l’espace d’un demi-siècle à peine, l’icoană pe sticlă se répandit en Transylvanie.

Les représentations des scènes religieuses mêlées de croyances populaires et d’éléments du quotidien sont simples et naïves, ce qui fait leur charme. On peut admirer ces icônes dans la plupart des musées du pays. Les deux collections les plus réputées sont celles du village de Sibiel (près de Sibiu) et du monastère de Nicula (près de Gherla). Mais on peut également en trouver de fort belles chez les habitants eux-mêmes.

De la peinture religieuse à la modernité

Comme partout en Europe, les arts plastiques ont pendant fort longtemps été liés à la religion. Jusqu’au XVIIIe siècle, deux traditions prévalent en Roumanie : byzantine et occidentale. Durant des siècles, les murs des églises se couvrent de peintures et des artistes fameux poussent l’art de l’icône à son plus haut niveau. Les peintures murales de l’église princière de Curtea de Argeș (1366) témoignent d’une forte tradition byzantine. Les plus connues sont réalisées deux siècles plus tard, sur les murs des innombrables monastères de Bucovine. Ces compositions harmonieuses, raffinées, sont de véritables chefs-d’œuvre. Mais l’œuvre qui obéit le mieux aux traditions orthodoxes tout en incluant quelques particularismes roumains est le Tétraévangile enluminé de Gavril Uric (XIVe-XVe siècles), réalisé en 1429.

Au début du XIXe siècle, les influences venues d’Occident trouvent de plus en plus d’écho dans les milieux artistiques roumains. On se détache peu à peu du caractère exclusivement religieux de l’art, les techniques évoluent et le genre du portrait fait son apparition. Les premiers grands noms de la peinture roumaine sont fortement influencés par les écoles française, italienne et autrichienne s’ils n’y sont pas directement formés, à l’image de Theodor Aman (1831-1891). Mais l’artiste roumain qui a probablement le plus marqué l’histoire de la peinture est Nicolae Grigorescu (1838-1907). Il a su créer des œuvres originales en s’inspirant du folklore paysan et de l’impressionnisme, et il est le premier à introduire le paysage dans les arts plastiques roumains. Élève du Tchèque Anton Chladek (1794-1882), il réalise ses premiers travaux en tant que peintre d’églises, à l’instar de celles de Băicoi, Căldărușani, et du monastère de Zamfira. Il part ensuite à Paris où il étudie à l’École des beaux-arts avant de fréquenter le groupe de Barbizon : ce séjour auprès des impressionnistes allège sa palette. Il retourne en Roumanie en 1869 et, fort de son expérience, parcourt la campagne à la recherche de sujets. Il réalise de superbes scènes rurales (portraits de paysannes, paysages) qui font aujourd’hui sa renommée. Bien qu’on y retrouve la luminosité de la toile impressionniste, son style est plus réaliste et se démarque par de larges coups de brosse. Aux côtés d’Andreescu ou encore de Ștefan Luchian (1868-1916), il fait entrer la Roumanie dans la modernité. Parmi les grands artistes roumains du XXe siècle, on peut remarquer le génie de Nicolae Tonitza (1886-1940), qui a su apporter une esthétique harmonieuse dans ses peintures, ou le surréalisme de Victor Brauner (1903-1966), qui a uni l’insolite à la maîtrise des matériaux et des couleurs comme pour L’Envoyeur (1937) ou La Coupe d’amour (1965).

Sculpture, la nation du monumental

Les sculpteurs roumains les plus marquants sont à l’origine de courants artistiques novateurs. Dans certains parcs, à proximité des musées ou dans les nombreuses galeries d’art du pays, il est désormais possible de découvrir des œuvres impressionnantes, à l’instar de celles de Dimitrie Paciurea (1873-1932) et de Constantin Brâncuși (1876-1957), qu’il faut prononcer « brüncouche » pour que les Roumains vous comprennent. Ce dernier, l’un des pionniers de la sculpture moderne abstraite, propulse la Roumanie sur la scène européenne. Enfant déscolarisé, il apprend très tôt les métiers du bois, un artisanat bien développé dans sa région natale, comme en témoignent les portes sculptées de Gorj dont les motifs l’inspirent. Après des études d’artisanat et un passage à l’École des beaux-arts de Bucarest, il part pour Paris en 1890. Ses revenus modestes ne lui permettant pas de recourir aux transports, il fait le trajet à pied. À son arrivée, il intègre l’atelier d’Auguste Rodin. Sa première œuvre originale fut Le Baiser (1907), où deux adolescents enlacés forment un petit volume aux lignes symétriques. On compte parmi ses travaux significatifs Princesse X (1916) ou encore Mademoiselle Pogany (1912). Dans toutes ses œuvres, on retrouve la fascination de l’artiste pour les symboles : l’œuf pour la création (Le Commencement du monde, 1924) ou le vol pour la liberté (Oiseau dans l’espace, 1923). Il s’exprime aussi bien en pierre qu’en bronze poli. En 1937-1938, Brâncuși crée un ensemble sculptural pour la ville de Târgu Jiu dont les quatre pièces (La Table silencieuse, La Porte du baiser, L’Allée des chaises et La Colonne sans fin) sont dédiées à la mémoire des soldats morts pendant la Première Guerre mondiale. Nombre de ses œuvres sont aujourd’hui exposées dans des musées aux États-Unis et en France, son atelier a été réaménagé sur le parvis du Centre Georges Pompidou à Paris. En Roumanie, vous pourrez suivre ses traces en visitant son village natal ou en vous rendant à Târgu Jiu ou aux musées d’Art de Craiova et de Bucarest.

Dans l’entre-deux-guerres, une nouvelle génération d’artistes roumains émerge. Parmi eux, les peintres Lucian Grigorescu (1894-1965), Gheorghe Petrașcu (1872-1949), Nicolae Tonitza (1886-1940), l’avant-gardiste Victor Brauner (1903-1966) ou encore l’ami de Matisse Theodor Pallady (1871-1956). Malgré la censure et les règles strictes en matière d’art imposées par le pouvoir communiste, quelques artistes ont tout de même réussi à s’adapter et à se faire un nom. Tel a été le cas du sculpteur Ion Jalea (1887-1983). Dans les années 1970, l’art, pour peu qu’il respecte certaines normes, est même vivement encouragé par le pouvoir, notamment au travers des « camps de sculpture », des concours annuels de sculpture en plein air. On peut en voir les résultats aujourd’hui encore, parfois en pleine nature comme à Măgura (voir « La Munténie – région de Buzău »), Arcuș ou Buteni.

L’art contemporain sous l’influence de la modernité

Pour se familiariser avec les pratiques contemporaines de Roumanie, Bucarest est incontournable. Le musée national d’Art contemporain y a récemment ouvert ses portes dans une nouvelle aile en verre du bâtiment du parlement, considéré comme l’un des plus grands bâtiments administratifs au monde ! On y retrouve le talentueux Aurel Vlad (né en 1954), auteur du Cortège des sacrifiés, un ensemble de statues dans la cour du Mémorial de Sighetu Marmației.

Plus récemment, un jeune peintre s’est distingué par son talent sur la scène nationale. Les toiles sombres de Victor Man (né en 1974) s’inscrivent dans la continuité de la peinture de paysage du XVIIIe siècle et l’utilisation du miroir noir, ou miroir de Claude. Ce petit miroir convexe teinté d’une couleur sombre, généralement le noir de fumée, permettait au peintre d’isoler de son environnement le sujet qu’il désirait traiter, tout en neutralisant les couleurs. Ainsi, il pouvait plus facilement déterminer un cadre et apprécier plus précisément les différentes valeurs de tons (contrastes). Victor Man reprend donc ce procédé, non pas pour sa fonction d’origine, mais pour la qualité que le noir de fumée apporte à son sujet. Il peint ainsi des portraits sombres, aux couleurs éteintes et froides dans des dominantes de bleu et vert. L’artiste originaire de Cluj est l’un des plasticiens contemporains les plus connus de Roumanie et il a représenté son pays lors de la Biennale de Venise en 2007 aux côtés de Cristi Pogacean (né en 1980), Mona Vatamanu (née en 1968) et Florin Tudor (né en 1974). En 2014, il est nommé artiste de l’année par la Deutsche Bank, une récompense qui donne lieu la même année à une exposition à la DB Kunsthalle de Berlin et qui voyagera ensuite à travers l’Europe, notamment à Varsovie.

De la tradition du photojournalisme à une nouvelle anthropologie des images

L’histoire de la photographie roumaine se démarque du reste de l’Europe en ce sens qu’elle est pionnière dans le domaine du photojournalisme, et plus particulièrement du reportage de guerre. Après la création du premier périodique illustré roumain en 1860 (llustrațiunea Jurnal Universal), il faut attendre la guerre d’indépendance (1877-1878) et le conflit entre la Turquie et la Russie pour que la photographie de presse se développe véritablement dans le pays. La photographie offre la possibilité inédite d’une représentation et d’un suivi illustré du conflit à travers de nombreux portraits d’officiers adverses ou de soldats qui se distinguent par leur fait d’armes. Parmi ces photoreporters, Carol Popp Szathmári (1812-1887) est considéré comme le premier photographe de guerre européen. Il diffuse ses photographies à travers la publication Souvenir de resbel, illustrant la campagne de 1877. Pour la plupart, elles appartiennent aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de Roumanie – bien que des musées à New York et à Londres en possèdent certaines. Le musée national d’Art de Roumanie à Bucarest est l’un des rares lieux qui proposent des expositions dédiées au médium. Durant l’été, le Musée municipal de Bucarest organise le Salon international de l’art photographique au palais Suțu. Une belle occasion de découvrir l’une des plus anciennes demeures aristocratiques de la ville.

Une nouvelle génération de photographes roumains se fait remarquer dans les divers festivals dédiés au médium à travers l’Europe, notamment lors de l’édition 2019 du festival Circulation de la jeune photographie européenne au Centquatre-Paris. La série Ethnographies de Felicia Simion y a ainsi été exposée. Son style documentaire n’est pas sans rappeler les photographies du début du XXe siècle de Sergei Prokudin Gorski – une survivance du folklore dans la Roumanie contemporaine, un sujet dans la continuité de la spécialisation de l’artiste en ethnologie. L’université des arts de Bucarest est le vivier de cette nouvelle scène roumaine. Dans un pays en restructuration, elle a été fondée après l’indépendance en 1995. Les frères Șovăială, Mihai (né en 1987) et Horațiu (né en 1993), originaires de Transylvanie, en sont aussi diplômés. Leur démarche est à la fois conceptuelle et documentaire et ils portent tous deux un regard critique sur les décennies qui ont suivi la chute du bloc soviétique, et leurs empreintes sur le territoire national. Horațiu souligne à travers ses paysages les marques de la naïveté d’un peuple qui crut que les nouvelles infrastructures allaient apporter un vent de liberté. Mihai, quant à lui, s’intéresse à la désindustrialisation du pays dans la période postcommuniste, et il essaye de redonner une place à des lieux oubliés et des territoires délaissés.

Street Art, entre mouvement contestataire et art institutionnel

Comme ailleurs dans le monde, le street art est un sujet qui porte à controverses, considéré comme du vandalisme pour certains et comme une expression culturelle à encourager pour d’autres. C’est dans une logique de résistance urbaine que se développe cette pratique en Roumanie, où les premiers tags et graffitis apparaissent au début des années 1990 pour dénoncer les exactions de l’État communiste. Bien que Ceaușescu ne soit plus au pouvoir à l’aune de la nouvelle décennie, l’emprise de son régime reste partout sensible. Cette omniprésence du contrôle social affecte fortement les relations entre citoyens, qui se dénoncent mutuellement. La jeunesse rebelle de Bucarest commence alors à s’exprimer par les graffitis, dénonçant les abus de pouvoir des autorités locales et encourageant les Roumains à s’unir face à cette menace toujours présente. L’un des premiers graffitis qui se répandent sur les murs du pays est « Abattez le cauchemar », en référence à Nicolae Ceaușescu. Au fil des années, les graffitis continuent de dénoncer la corruption de la classe politique roumaine, comparant la cruauté de ses leaders à des figures légendaires comme Vlad l’Empaleur. Plus récemment, certains mouvements contestataires se répandent à travers le pays via le recours à des pochoirs, à l’image du mouvement écologique Salvați Roșia Montana.

Aujourd’hui, bien qu’une partie des artistes continue de se faire le relais de contestations politiques, le street art est devenu une pratique esthétique à part entière, souvent dénuée de message politique, mais apte à embellir les rues grises de Roumanie. Ainsi, dans la ville de Târgu Mureș, le vaste projet de création urbaine Digital Transylvania a vu le jour afin de dynamiser l’agglomération et en faire une destination touristique. Il est à l’initiative de l’association Green Art Tour et a été réalisé en collaboration avec des lycéens. Ainsi, les marches des escaliers de la ville arborent désormais des motifs traditionnels roumains aussi bien que les portraits de célébrités telles que Constantin Brâncuși, Liviu Rebreanu et George Enescu – une façon d’afficher haut et fort l’identité culturelle nationale.

À Craiova, des projets de street art institutionnels se sont aussi répandus, à l’image de ses passages cloutés transformés en touches de clavier ou auxquels des détails décoratifs inattendus ont été ajoutés. Les trams de la ville de Iași ont également été décorés : chacun d’entre eux est aujourd’hui unique. Nous nous souviendrons particulièrement du Tram de la littérature en raison des portraits de poètes et d’écrivains qui couvrent sa carrosserie bleue, mais aussi parce que les passagers peuvent s’y échanger des livres.

Bien que le street art soit répandu à travers tout le pays, Bucarest est de loin la ville qui concentre le plus d’artistes et de fresques murales. C’est dans la capitale que l’on retrouve les œuvres les plus impressionnantes du pays. L’une des plus connues est la fresque du Sweet Damage Crew sur une des façades de la rue Eremia Grigorescu.