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Politique : anciens contre nouveaux

Depuis la chute du communisme, le pays est dirigé alternativement par ses héritiers, rassemblés au sein du Parti social-démocrate (PSD), et par les libéraux : en 1990 et 1992, l’ex-communiste Ion Iliescu gagne les deux premières élections présidentielles. Battu en 1996 par le chrétien-démocrate Emil Constantinescu, il retrouve la présidence de 2000 à 2004. Le maire de Bucarest, Traian Băsescu, du Parti démocrate, lui succède pendant deux mandats. Puis le libéral Klaus Iohannis, ancien maire de Sibiu, remporte le scrutin en 2014. Fin 2019, il est largement réélu.

Tandis que les libéraux dominent le paysage dans les grandes villes dynamiques telles Bucarest, Cluj ou Timișoara, le PSD garde une emprise forte dans les campagnes et les petites villes, où il garde une influence sur l’attribution des aides et des emplois. Il a remporté la plupart des scrutins législatifs, souvent à la faveur d’une forte abstention.

La Constitution de 1991, inspirée de la Ve République française, confère des prérogatives limitées au président, élu au suffrage universel pour cinq ans. Le pouvoir exécutif est principalement exercé par le gouvernement, tandis que le pouvoir législatif est détenu par un Parlement bicaméral (Chambre des députés et Sénat). Ce régime semi-présidentiel a donné lieu à des cohabitations diverses, parfois houleuses.

Les dernières années, en particulier, ont été agitées, marquées par de nombreux scandales de corruption et, en réaction, par une vague de contestation citoyenne d’une ampleur inédite depuis la Révolution. Sous son premier mandat, Klaus Iohannis a ainsi vu défiler six Premiers ministres. Victor Ponta (PSD) a démissionné en 2015, suite à sa mise en examen dans un scandale de corruption et à l’incendie de la discothèque Colectiv à Bucarest le 30 octobre 2015, qui a fait 64 morts. La tragédie, qui a révélé les passe-droits dont bénéficiaient les patrons du club, a sonné le point de départ de la contestation citoyenne contre la corruption et la mauvaise gouvernance.

L’ancien commissaire européen à l’Agriculture Dacian Cioloș est alors chargé de former un gouvernement de technocrates, jusqu’aux élections législatives de 2016, de nouveau remportées par le PSD. Le parti mené par Liviu Dragnea, lui-même empêtré dans plusieurs scandales, lance alors une vaste offensive pour assouplir la législation anticorruption, déclenchant de nouvelles manifestations. Elles font reculer le chef du gouvernement Sorin Grindeanu, démis par sa propre majorité en 2017. Mihai Tudose lui succède brièvement, remplacé début 2018 par Viorica Dăncilă, première femme à accéder à cette fonction. Elle repart à la charge, menant des réformes très controversées, dénoncées par l’UE, contre l’indépendance de la justice. Son gouvernement est renversé en octobre 2019. Candidate à la présidentielle, elle réalise au second tour un score piteux, le plus faible jamais réalisé par le PSD. Elle est remplacée par le libéral Ludovic Orban, soutenu par une courte majorité hétérogène. Quant à Dragnea, il a été incarcéré en mai 2019.

Ces années mouvementées, lors desquelles la jeunesse et la société civile se sont fortement mobilisées, ont vu émerger de nouvelles forces politiques : l’Union Sauvez la Roumanie (USR) et le Parti PLUS, lancé par Dacian Cioloș.

Les fantômes du communisme

Le régime communiste roumain fut l’une des dictatures les plus dures d’Europe de l’Est : selon le mémorial des victimes du communisme de Sighet, plus de 600 000 personnes ont été emprisonnées pour des motifs politiques. Ces détenus ont souffert de tortures, de traitements cruels, de travail forcé et de toutes sortes de privations, particulièrement dans les années 1950 et 1960. La Securitate, la police politique, avait déployé un réseau tentaculaire d’informateurs, pour surveiller toute la société et réprimer la moindre dissidence, répandant la peur, la méfiance et la délation jusqu’au sein des familles.

Pourtant, hormis Ceaușescu et sa femme, sommairement jugés et exécutés le 25 décembre 1989, très peu de responsables ont été inquiétés. C’est qu’aucune loi n’est venue exclure les anciens apparatchiks, bien au contraire : maîtres de la transition, ils se sont rapidement reconvertis dans la politique et les affaires. Quelques hauts dignitaires ont bien été condamnés dans les années 1990, mais seulement pour leur rôle dans la répression de la Révolution, puis rapidement libérés. Il a fallu attendre un quart de siècle pour que soient jugés des crimes commis durant les quarante ans de communisme : en 2014 et 2015, deux tortionnaires, chefs de pénitencier et de camp de travail dans les années 1950-1960, ont été condamnés à vingt ans de prison. Autre procès emblématique, qui s’est ouvert fin 2019 : l’ex-président Iliescu est jugé pour « crimes contre l’humanité ». Il doit répondre de la mort de plus de 800 personnes, dans les jours qui ont suivi la chute de Ceaușescu. Il est accusé d’avoir organisé la terreur pour asseoir sa prise de pouvoir.

Les institutions chargées d’ausculter la période communiste ont été mises en place tardivement : le Conseil national pour l’étude des archives de la Securitate, lancé en 1999, n’a bien fonctionné qu’à partir du milieu des années 2000, de quoi laisser du temps pour faire le tri dans ces archives et détruire les plus compromettantes. Créé en 2005, l’Institut d’investigation sur les crimes du communisme et la mémoire de l’exil roumain (IICCMER) a engagé un gros travail d’enquête et de mémoire.

En 2006, le président Băsescu a officiellement condamné le communisme, dans un discours au Parlement. Mais le travail de mémoire reste lacunaire. En dehors des initiatives de la société civile, comme le Mémorial de la révolution de Timișoara ou celui de Sighet, aucune institution publique n’a encore vu le jour pour relater ce passé, même si un projet de musée est sur le tapis, à Bucarest.

Corruption : la grande bataille

C’est l’un des maux les plus profonds dont souffre le pays : la corruption infiltre toute la société roumaine. Elle se manifeste au plus haut niveau, par des détournements de fonds publics, des conflits d’intérêt et autres abus de pouvoir. Mais elle touche aussi les citoyens dans leur quotidien, invités à verser la șpaga (pot-de-vin) pour un traitement médical plus rapide, un diplôme, une simple démarche administrative, un bon poste ou une amende plus raisonnable. L’indice de corruption perçue, calculé par l’ONG Transparency International, place chaque année la Roumanie parmi les mauvais élèves de l’Union européenne : en 2018, elle se situait au 61e rang mondial, un peu mieux que la Hongrie, la Grèce et la Bulgarie. Sous la pression de l’UE, la Roumanie a dû se doter d’un arsenal de lutte contre la corruption, qui a permis des avancées spectaculaires : les lois ont été durcies et des institutions spéciales ont été mises sur pied. Lancée en 2002, la Direction nationale anticorruption (DNA) a pleinement joué son rôle, notamment sous la direction de la procureure Laura Codruța Kövesi, entre 2013 et 2018. Des milliers de hauts fonctionnaires, élus locaux, députés, ministres et jusqu’au chef de gouvernement Victor Ponta en 2015 ont fait l’objet de poursuites et de condamnations. Codruța Kövesi est devenue l’une des personnalités les plus populaires du pays. Mais dès son retour au pouvoir en 2017, le PSD s’est attaché à assouplir la législation anticorruption, modifiant les lois, s’attaquant à l’indépendance de la justice et ferraillant avec Codruța Kövesi, jusqu’à la démettre de ses fonctions en 2018. Cette politique a déclenché une vague de contestation, illustration du ras-le-bol profond de la population vis-à-vis de ce phénomène, encore loin d’être éradiqué.

Enjeux économiques et sociaux

En 1989, à la sortie du communisme, l’économie était totalement exsangue, déséquilibrée et inadaptée aux besoins de la population. Hyperindustrialisée, nationalisée et strictement planifiée par l’État, elle accusait un retard considérable sur le reste de l’Europe, pays de l’Est compris. Obsédé par l’autarcie, Ceaușescu s’était mis en tête de tout produire et d’exporter au maximum, pour rembourser les dettes extérieures au plus vite, quitte à affamer sa population. Dans les premières années qui suivent l’effondrement du communisme, les progrès ont été lents. À partir du milieu des années 1990, un vaste mouvement de privatisations et de réformes est engagé, pour évoluer vers une économie de marché et attirer les investisseurs étrangers.

Depuis le début des années 2000, le chemin parcouru par la Roumanie est considérable. Son PIB par habitant est passé de 39 % de la moyenne européenne en 2006 à 63 % en 2017. Boostée par l’adhésion à l’UE, puis durement touchée par la crise de 2008, l’économie roumaine a renoué avec la croissance en 2013 : elle affichait même en 2017 le deuxième taux de croissance le plus élevé de l’UE (+ 6,9 %), grâce à la consommation des ménages, le principal moteur de l’activité. Le taux de chômage est très bas (3,9 % fin 2019) et les revenus ont bondi : le salaire moyen, qui n’était encore que de 200 € en 2005, atteignait 650 € fin 2019. Un effet de la pénurie de main-d’œuvre, due au vieillissement de la population et à l’émigration massive. Certaines professions mal rémunérées, comme les enseignants et le personnel soignant, ont bénéficié de fortes augmentations.

Malgré les progrès accomplis, la Roumanie reste le deuxième pays le plus pauvre de l’Europe, devant la Bulgarie. Un quart de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté. Les disparités régionales sont fortes. Des villes comme Bucarest, Sibiu, Cluj et Timișoara connaissent un vrai boom économique. Mais les petites villes et les villages sont à la peine, notamment dans certaines zones comme la Moldavie, qui figure parmi les régions les plus pauvres de l’UE.

Le taux d’inflation est l’un des plus élevés de l’Union, à plus de 4 % en 2019. Un vrai problème pour nombre de Roumains : par exemple, les prix des appartements à Bucarest se sont envolés, celui des denrées alimentaires aussi, sans que le niveau de vie ne suive. Les investissements publics et les infrastructures sont toujours à la peine : ainsi, la Roumanie ne comptait toujours, en 2019, que quelque 800 km d’autoroute, et les hôpitaux sont en mauvais état. Le pays peine à tirer pleinement parti des milliards de fonds européens qui lui sont alloués.