Femme lipovène dans le delta du Danube © Calin Stan - shutterstock.com.jpg
Jeunesse de la communauté hongroise en costume traditionnel (c) Stéphan SZEREMETA.jpg

Un peuple latin

Langue officielle, le roumain est la langue maternelle de 85 % de la population. Beaucoup de mots sonneront familièrement à vos oreilles et à vos yeux : comme le français, c’est une langue latine, proche de l’italien. Adopté par les Daces lors de la brève occupation romaine, le latin a évolué ici de façon originale, isolé des autres langues romanes. Le roumain a beaucoup emprunté à ses voisins slaves, mais aussi turcs ou grecs, surtout au niveau du vocabulaire. La structure, elle, est clairement latine, mâtinée de quelques influences, comme dans le cas des suffixes slaves -an et -ancă. L’amour (dragoste ou iubire) est slave, lui aussi. Le turc a laissé des mots du quotidien (dulap, armoire ; chibrit, allumette…) et de la cuisine (ciorbă, sarmale…), le grec quelques termes très usités, tels que ieftin (bon marché) ou frică (peur), tout comme le hongrois : gînd (pensée), oraș (ville)… D’autres vocables, dont l’origine n’a pu être identifiée, sont attribués au dace : brad (sapin), copil (enfant), bucurie (joie)… Au XIXe siècle, de nombreux mots français ont été importés, parfois tels quels : deja, vizavi, birou, coafor… Écrit en cyrillique jusqu’au XVIIIe siècle, le roumain comporte cinq lettres supplémentaires par rapport à l’alphabet latin : â ă î ș ț. Ces sonorités demandent souvent des efforts de prononciation aux étrangers, mais participent au charme de la langue roumaine.

Une mosaïque d’ethnies

Outre la majorité roumaine, le pays compte dix-neuf minorités nationales, qui représentent environ 10 % de la population. La Constitution reconnaît ces minorités et leur confère des droits : celui d’exprimer leur identité, d’avoir au moins un représentant au Parlement ou encore d’apprendre leur langue maternelle.

La Transylvanie est depuis longtemps un territoire multiethnique. C’est dans cette région que sont établis les Hongrois et les Saxons, deux des principales minorités historiques. Les premiers, qui fournissaient autrefois l’aristocratie de la région, sont plus d’un million et constituent la plus grosse minorité, après les Roms. Catholiques, unitariens ou luthériens, les Hongrois se divisent en différentes communautés. La principale est formée par les Sicules : majoritaires dans les départements d’Harghita et de Covasna, à l’est de la Transylvanie, ils revendiquent davantage d’autonomie. Les musées sicules de Miercurea Ciuc et de Sfântu Gheorghe vous permettront de mieux comprendre les spécificités de leur culture. On trouve aussi d’importantes communautés hongroises à Cluj et dans ses alentours, à la frontière hongroise ou encore dans l’ancienne ville minière de Rimetea. Des tensions mineures subsistent avec la majorité roumaine, liées au passé ou aux revendications autonomistes. Le principal parti hongrois, l’Union démocrate magyare de Roumanie (UDMR), est souvent intégré au gouvernement, quel que soit son bord.

Plus de 600 000 Saxons (Sași) étaient recensés en 1930. En 2011, ils n’étaient plus que 36 000. Venues coloniser la Transylvanie au XIIe siècle, ces communautés allemandes y ont bâti des villes d’importance comme Sighișioara, Sibiu et Brașov, ainsi que des villages dotés d’églises fortifiées, tels Saschiz ou Biertan. Les Saxons ont massivement quitté le pays après la Seconde Guerre mondiale, pour rejoindre la République fédérale d’Allemagne, qui devait, en échange, payer une rétribution au régime communiste. Une nouvelle vague de départs a suivi la chute de Ceaușescu. Aujourd’hui, les Saxons forment une petite communauté vieillissante, même si l’on observe un timide mouvement de retour : certains reviennent rénover les demeures familiales, pour en faire des résidences secondaires ou des maisons d’hôte. Le président Klaus Iohannis, ancien maire de Sibiu, est issu de cette minorité. Pour comprendre la culture saxonne, ne manquez pas de visiter l’église fortifiée de Viscri, qui comporte une très intéressante section ethnographique.

Avec la minorité saxonne, la communauté juive est celle qui a connu la plus importante baisse de population : elle comptait 750 000  personnes en 1930, pour tomber à 3 000 en 2011. Décimés pendant la Seconde Guerre mondiale, les Juifs ont massivement rejoint Israël dans les décennies suivantes, contre rétribution là aussi. Les relations entre les deux pays sont aujourd’hui étroites : nombre de Roumains ont émigré là-bas et beaucoup d’Israéliens investissent ou visitent la Roumanie. Pour en savoir plus sur cette communauté, vous pourrez visiter le musée d’Histoire juive à Bucarest, la maison-mémorial d’Elie Wiesel à Sighetu Marmației, mais aussi des synagogues et des cimetières un peu partout dans le pays (à Iași, Oradea, Timișoara, Bucarest, etc.).

Les Lipovènes (ou vieux-croyants) sont les descendants de communautés russes orthodoxes traditionalistes qui, ayant refusé les réformes religieuses conduites au XVIIe siècle, ont été persécutées. Une partie a trouvé refuge en Roumanie : en Moldavie, mais surtout en Dobrogea et dans le delta du Danube, où ils se sont faits pêcheurs. On y reconnaît aisément leurs maisons, peintes en bleu, notamment à Mila 23, Sfântu Gheorghe ou Jurilovca. Ce peuple slavophone a conservé ses traditions et une foi intense. Les vieux messieurs arborent toujours de longues barbes. Les Lipovènes sont un peu plus de 20 000 et représentent environ 5 % de la population du département de Tulcea.

Les Turcs et les Tatars, autour de 50 000, sont concentrés en Dobrogea, longtemps sous occupation ottomane. Dans le département de Constanța, ces musulmans représentent près de 6 % de la population. Plusieurs mosquées témoignent de cette présence historique : celle de Babadag est la plus ancienne.

Les Ukrainiens, qui sont environ 50 000 aussi, habitent principalement dans le Maramureș et en Bucovine, mais aussi dans le delta. Ailleurs dans le pays, on trouve également de toutes petites communautés serbes, croates, arméniennes, tchèques ou encore polonaises, notamment dans les régions frontalières (Banat, Bucovine…).

Enfin, les Aroumains, qui n’ont pas le statut officiel de minorité, sont les descendants de communautés qui ont fui le territoire de l’actuelle Roumanie au Moyen Âge, pour s’établir dans les Balkans. Au cours des siècles, ils ont formé leur propre langue, dérivée du roumain, et leur culture. De nombreux Aroumains ont gagné la Roumanie dans l’entre-deux-guerres et ils y conservent autant que possible leurs particularismes. Plusieurs personnalités ont des origines aroumaines, comme la championne de tennis Simona Halep ou le célèbre footballeur Gheorghe Hagi.

Les Roms, une minorité rejetée

La Roumanie est le pays d’Europe qui compte le plus de Roms. Selon le recensement de 2011, ils sont quelque 600 000. Un chiffre largement sous-estimé : par crainte de la stigmatisation, beaucoup de Roms ne se déclarent pas comme tels et ils seraient, en réalité, autour de 2 millions, ce qui en fait la principale minorité.

Partis d’Inde du Nord au Xe siècle, les Roms sont arrivés sur le territoire de l’actuelle Roumanie au XIVe. Ils y ont été maintenus en esclavage pendant cinq siècles, travaillant au service des monastères et des nobles, jusqu’à l’abolition de l’esclavage au milieu du XIXe siècle. Un épisode méconnu de l’histoire nationale, à peine évoqué dans les manuels scolaires. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le régime du maréchal Antonescu a déporté plusieurs dizaines de milliers de Roms en Transnistrie, où nombre d’entre eux sont morts. Sous le communisme, ils ont subi une assimilation forcée, obligés de se sédentariser.

Aujourd’hui, ils font toujours l’objet de multiples discriminations. Beaucoup sont cantonnés dans des ghettos à la périphérie des villes et des villages, dans des immeubles insalubres ou des masures parfois sans eau courante. Leurs conditions de vie sont précaires, le chômage endémique. De nombreux enfants sont déscolarisés, une grande majorité n’achève pas ses études secondaires. Le manque d’hygiène et de soins ampute leur espérance de vie, inférieure de douze ans à la moyenne nationale. Leur situation s’est toutefois légèrement améliorée ces dernières années. Une intelligentsia rom s’affirme et l’action des ONG a fait bouger les lignes. Des politiques de lutte contre l’exclusion ont été mises en place.

Une diaspora jeune

Chaque famille roumaine compte au moins un membre parti à l’étranger. Cette émigration est un phénomène récent : sous le communisme, il était très difficile de franchir les frontières, même pour des vacances. La Révolution a été suivie d’une première vague de départs, dans les années 1990. Le mouvement s’est accéléré dans les années 2000, avec l’adhésion à l’Union européenne et la liberté de circulation qui en a découlé.

Ainsi, trois à quatre millions de Roumains vivaient à l’étranger fin 2016. Ils se concentrent en Italie (un million), en Allemagne, en Espagne ou encore au Royaume-Uni. En France, ils sont autour de 100 000. C’est principalement le bas niveau des salaires qui pousse les Roumains à s’exiler. Les jeunes, diplômés et urbains, sont particulièrement concernés.

Cette hémorragie démographique a de lourdes conséquences : de nombreux villages, mais aussi les petites villes se vident de leurs forces vives, ne voyant rester que les anciens et les enfants, confiés à des proches. Au moins 100 000 enfants grandissent ainsi sans leurs parents : on les surnomme les « euro-orphelins ». La moyenne d’âge est passée de 35,1 ans en 1992 à 41,6 ans en 2018. Beaucoup de secteurs souffrent d’un manque de main-d’œuvre. Le domaine de la santé est particulièrement touché par la pénurie de médecins, infirmiers, dentistes ou pharmaciens, qui ont massivement quitté le pays.

D’un autre côté, les Roumains de l’étranger contribuent largement au développement économique du pays : ils envoient chaque année au moins 3 milliards d’euros à leur famille, soit environ 2 % du PIB. La diaspora joue aussi un rôle croissant dans la politique intérieure : de plus en plus mobilisée lors des élections, elle a manifesté en masse, en août 2018, contre la corruption et la mauvaise gouvernance, autres raisons qui poussent les citoyens à désespérer de l’avenir dans leur pays.

Les traces d’une folle politique nataliste

En 1966, un an après son arrivée au pouvoir, Ceaușescu adopte le décret 770, qui interdit l’avortement. Des contrôles gynécologiques sont instaurés, la vente de contraceptifs est fortement limitée. L’objectif du régime est de booster la natalité, dans le fantasme de bâtir un pays fort. Les conséquences sont dramatiques : de nombreuses femmes recourent à des avortements clandestins, parfois mortels. Les abandons sont encouragés par l’État : plus de 100 000 enfants se retrouvent dans des orphelinats lugubres, maltraités et délaissés.

À la chute de Ceaușescu, l’abrogation du décret 770 est l’une des premières mesures adoptées. La natalité baisse alors drastiquement, passant de 16 naissances pour 1 000 en 1989 à 8,7 pour 1 000 en 2018. Mais l’empreinte de cette politique reste prégnante et le taux d’abandons est toujours parmi les plus forts d’Europe.