Statue de Vlad III © Photosebia - shutterstock.com.jpg
Forteresse de Poienari © xalanx - iStockphoto.com.jpg

Vlad Țepeș, prince sanguinaire

Le personnage de Dracula tire son nom d’un célèbre voïvode de l’histoire roumaine, réputé pour sa cruauté : Vlad III, prince de Valachie du XVe siècle, surnommé Vlad l’Empaleur (Țepeș). Son sobriquet lui vient de son penchant pour le supplice du pal, qu’il infligeait volontiers à ses adversaires, entre autres atrocités. Il est le fils de Vlad II le Dragon (Vlad Dracul), surnommé ainsi en raison de son appartenance à l’ordre du Dragon, fondé par l’empereur Sigismond de Luxembourg pour défendre la chrétienté contre les Ottomans. D’où l’autre surnom de Țepeș : Dracula, « le fils du dragon ». En roumain, dracul peut aussi se traduire par « le diable ».

Né dans la ville saxonne de Sighișoara vers 1431, Vlad Țepeș a passé son adolescence comme otage chez les Ottomans, envoyé par son père comme gage de loyauté envers les suzerains turcs. Une captivité qu’il quitte en 1448 pour aller reconquérir le trône de Valachie, avec l’appui et les troupes du sultan. Il reprend le pouvoir aux Dănești, la dynastie rivale, qui le récupère deux mois plus tard. Țepeș le regagne en 1456 et le garde jusqu’en 1462. Pour asseoir son pouvoir, il instaure un régime autoritaire, basé sur la terreur. Son règne est aussi marqué par des affrontements avec les Ottomans. Vlad Țepeș refuse de payer le tribut aux Turcs, brisant le pacte d’allégeance scellé quelques décennies plus tôt, et leur inflige de sanglantes défaites. Il est finalement chassé du pouvoir en 1462 par son petit frère Radu le Beau, soutenu par les Turcs. Il s’enfuit et pense trouver refuge auprès de son allié Mathias Corvin, le roi de Hongrie. Mais celui-ci l’emprisonne pendant plus de dix ans. Libéré, Vlad Țepeș fait un bref retour sur le trône en 1476. Il est tué la même année, dans des circonstances troubles, et sa tête est envoyée au sultan.

Vlad Țepeș n’a sans doute pas volé sa réputation de tyran sanguinaire, mais elle a été largement accentuée par ses adversaires, via des pamphlets imprimés en Allemagne et qui se répandirent en Europe. Pour les Roumains, Țepeș figure parmi les héros de la nation, qui a défendu son indépendance contre les Ottomans. Il est perçu comme un souverain certes dur, mais juste. Le lien entre Vlad Țepeș et Dracula s’arrête au nom. Le premier était prince de Valachie, un État féodal situé au sud des Carpates, alors que le second est un comte sicule, établi dans le nord de la Transylvanie. Surtout, Țepeș n’a rien d’un vampire : il versait le sang, mais rien ne dit qu’il le buvait. Son goût pour l’empalement écarte définitivement l’hypothèse, puisque c’est justement l’un des seuls moyens, selon la légende, de tuer les vampires !

Les strigoi, vampires du folklore roumain

Bram Stoker a placé l’intrigue de son roman vampirique dans une région riche en folklore, en la matière : dans toute l’Europe de l’Est, les croyances liées aux vampires sont très répandues à l’époque, et particulièrement chez les Roumains, qui les appellent strigoi. Les strigoi sont des âmes tourmentées dont le corps ne se décompose pas. Ces morts-vivants sortent de leur tombe la nuit pour hanter leurs proches, voire le village entier : ils pompent l’énergie vitale, multiplient les maléfices, volent le lait et le blé, répandent des épidémies parmi les hommes et le bétail, provoquent des sécheresses ou font tomber la grêle. Plusieurs facteurs peuvent faire de quelqu’un un strigoi : mener une vie de pécheur, mourir noyé ou pendu… Deux nuits sont particulièrement propices aux manifestations des strigoi : la veillée de la Saint-André, du 29 au 30 octobre, appelée la nuit des revenants, et la Saint-Georges, le 23 avril. Ces soirs-là, on calfeutre la maison, on mange de l’ail, on en frotte les bords des fenêtres et les pis des vaches pour se protéger. Ces croyances sont très anciennes et subsistent jusqu’à aujourd’hui. Elles ont connu leur paroxysme entre le milieu du XVIIe siècle et le milieu du XIXe, une période marquée par les épidémies de peste puis de choléra. De nombreux cas de vampirisme ont été rapportés : des communautés villageoises, se plaignant d’être hantées par des strigoi, ont déterré les supposés revenants et leur ont infligé toutes sortes de traitements pour tenter de s’en débarrasser, souvent appuyées par le clergé local : pieu planté dans le cœur, cadavre brûlé ou découpé en morceaux… En 2004 encore, une famille d’Olténie a été condamnée pour avoir exhumé et brûlé l’un de ses membres morts peu avant, dont une nièce affirmait qu’il lui rendait visite la nuit. Dans son roman, Stoker fait référence à plusieurs reprises à ces croyances. En revanche, le mythe de Dracula n’a pas d’attache dans l’imaginaire des Roumains, qui l’ont adopté pour les seuls besoins du tourisme.

Et Stoker créa le mythe

Bram Stoker n’a jamais mis les pieds en Roumanie. L’écrivain irlandais a puisé son inspiration dans différents ouvrages sur l’histoire et le folklore locaux, ainsi que dans ses échanges avec son ami Arminius Vambery, un orientaliste hongrois. Il a aussi pu s’appuyer sur une riche littérature : au XIXe siècle, en pleine mode gothique, de nombreux romans ont déjà mis en scène des vampires. Mais c’est Bram Stoker qui popularise la figure du vampire avec son Dracula, publié en 1897. Ce roman épistolaire raconte – attention, spoiler ! – l’histoire de Jonathan Harker, un jeune notaire chargé de se rendre en Transylvanie, pour faire signer au comte Dracula l’acte d’achat d’une maison à Londres. Mais Harker réalise bientôt que son hôte est un vampire. Il est enfermé au château, tandis que Dracula part en Angleterre, où il vampirise la fiancée de Jonathan, Mina. Harker parvient à s’échapper, regagne Londres et entame une chasse au vampire, aidé de quelques amis, notamment le professeur Van Helsing. Le groupe finit par rattraper le comte et le tue, à coups de poignard dans le cœur. Mina est délivrée de son envoûtement. Le roman fait un tabac à sa sortie. Le personnage de Dracula et la figure du vampire deviendront un thème récurrent de la littérature et du cinéma : l’histoire est adaptée sur grand écran en 1931, avec l’acteur Bela Lugosi dans le rôle du comte, puis en 1958 avec Christopher Lee, et plus récemment avec Gary Oldman, dans le film de Francis Ford Coppola sorti en 1992. D’autres œuvres dans la veine vampiresque ont connu le succès et entretenu la fascination du public pour ces créatures (Twilight, Entretiens avec un vampire…). Dracula est ainsi devenu une attraction majeure de Roumanie.

Sur les traces de Dracula

De nombreux hôtels et restaurants exploitent le filon Dracula, généralement dans une veine très kitsch, à grand renfort de mises en scène moyenâgeuses ou pseudofantastiques. À Bistrița, vous pourrez séjourner à l’hôtel de la Couronne d’or, là où Jonathan Harker passe sa première nuit, dans le roman de Stoker. Sauf que cette grande bâtisse a peu à voir avec l’auberge de l’époque : elle a été érigée dans les années 1980 par le régime communiste, soucieux de contenter les voyageurs en quête du vampire. Idem pour l’hôtel Castel Dracula, construit à proximité du col de Borgo (Bârgău en roumain), où l’écrivain situe le château du comte. Reste que l’endroit, qui relie la Transylvanie à la Moldavie, est d’une beauté spectaculaire, offrant des vues panoramiques sur les reliefs alentour.

À Sighișoara, vous pourrez découvrir le lieu de naissance supposé de Vlad Țepeș, une grande bâtisse jaune en plein centre, où le futur voïvode aurait passé les premières années de sa vie, de 1431 à 1436. Vous pourrez même y dévorer un ragoût ou des grillades à la sauce Dracula : Casa Vlad Dracul a été transformée en restaurant, très touristique, mais de bonne tenue. Il recèle une fresque du XVe siècle représentant Vlad Dracul, seul portrait connu du père de l’Empaleur. À l’étage, moyennant un supplément, vous pourrez admirer l’une de ces mises en scène kitsch à souhait. À quelques rues de là, The Dracula Investigation est une expérience bien plus instructive. Cette exposition immersive vous plongera dans la vie du voïvode.

Présenté à tort comme le château de Dracula, le château de Bran n’a aucun lien ni avec le roman de Stoker ni avec l’histoire de Vlad Țepeș, qui n’y a probablement jamais mis les pieds. Seule la ressemblance avec la demeure du comte décrite par Stoker lui a valu ce label, destiné à appâter les touristes. Mais c’est de bonne guerre : le château de Bran, réaménagé par la reine Marie dans les années 1920, est l’un des plus beaux du pays. Son architecture biscornue, son emplacement au sommet d’un pic rocheux, au milieu des montagnes, rendent le lieu spectaculaire et propice à l’imaginaire. Vous y glanerez aussi des éléments sur Țepeș, Dracula et les strigoi, tandis que la chambre des tortures contentera ceux en quête de frissons.

Le vrai château de Țepeș serait plutôt la citadelle de Poenari, une forteresse juchée sur une crête des Carpates, au pied des monts Făgăraș. Vlad l’Empaleur en fit sa résidence secondaire et l’agrandit. Selon la légende, c’est là qu’il se réfugia, pour échapper aux Turcs en 1462, quand ils envahirent la région. Il faut grimper quelque 1 400 marches pour accéder à ces ruines, qui offrent une vue panoramique sur les montagnes alentour. Attention, la citadelle est fermée au public depuis 2019, pour des travaux de réhabilitation. Sa réouverture est prévue au plus tôt courant 2020.

À une trentaine de kilomètres plus au sud, Curtea de Argeș est la première capitale de la Valachie, fondée au XIVe siècle. C’est là que Vlad Țepeș aurait été couronné, en 1456. La cour princière comporte plusieurs monuments religieux, notamment un monastère qui abrite la nécropole royale. Deuxième capitale de Valachie, établie par Mircea l’Ancien, le grand-père de Țepeș, Târgoviște est un autre lieu emblématique de son règne. On lui attribue la construction de la tour de Chindia, symbole de la ville. Vlad III résida aussi à la cour princière de Bucarest (Curtea veche), dans le quartier de Lipscani. Ces ruines constituent le plus vieux monument médiéval de la ville. Le complexe, qui abrite un musée, est fermé pour travaux depuis 2015. Vous pourrez tout de même apercevoir un buste du voïvode.

À Hunedoara, ne manquez pas la visite du château de Mathias Corvin, roi de Hongrie. D’abord allié de Țepeș, il se retourna contre lui après sa défaite contre les Ottomans en 1462 et le retint prisonnier pendant plusieurs années. Avec son architecture gothique, c’est l’un des châteaux les plus impressionnants du pays.

Le périple Țepeș s’achève à Snagov, un monastère situé sur une île, au milieu d’un lac, à 40 km au nord de Bucarest. C’est là que le voïvode aurait été enterré, même si aucune preuve n’est venue le confirmer. Un caveau a bien été découvert dans l’église, lors de fouilles dans les années 1930, sous une pierre tombale dont l’inscription s’était effacée. Mais le corps qui s’y trouvait s’est décomposé en quelques minutes au contact de l’air, rendant impossible l’identification. Un mystère de plus dans la légende de Dracula.