Vers 30 000 ans av. J.-C

Paléolithique : l’arrivée d’Homo sapiens

Homo sapiens s’installe définitivement en Grèce et en Bulgarie il y a environ 50 000 ans, se propageant ensuite au reste de l’Europe via le Danube et la Méditerranée. Le peuplement de la Bosnie-Herzégovine va ainsi débuter vers 30000 ans av. J.-C. avec des tribus s’installant aussi bien au nord sur la Save (bassin du Danube) qu’au sud (près de l’Adriatique). Parmi les plus anciens sites figurent celui de la colline de Kadar, le long de la Save, et celui de Velika Gradina (sur le lac de Prozor-Rama), en Herzégovine, où l’on a retrouvé l’un des premiers ateliers de métallurgie au monde. L’Herzégovine abrite aussi l’un des plus anciens monuments humains des Balkans : la grotte de Badanj, près de Stolac. Elle est ornée d’une gravure murales réalisée il y a environ 14 000 ans.

iStock-1338937279.jpg

6200-4500 av. J.-C

Néolithique : cultures de Kakanj et de Butmir

La Bosnie-Herzégovine foisonne de sites de cette période qui ne sont, hélas, pas mis en valeur mais qui passionnent les archéologues. La révolution néolithique (agriculture, sédentarisation) parvient en Bosnie-Herzégovine vers 7000 av. J.-C. Le territoire est alors dominé par deux sociétés : la culture de Starčevo, originaire du Danube, et l’impresso-cardial, issu de l’Adriatique (et qui se propagera dans le sud de la France). De la rencontre de ces deux sociétés naît la culture de Kakanj (6200-4900 av. J.-C.) avec six sites en Bosnie centrale qui ont livré de belles céramiques monochromes aux formes variées que l’on peut voir au Musée national, à Sarajevo. En parallèle, dans la région de Tuzla (Bosnie orientale) commence l’exploitation d’une des plus anciennes mines de sel d’Europe, à Donja Tuzla, vers 5300 av. J.-C. Mais c’est surtout la culture de Butmir (5100-4500 av. J.-C.) qui connaît le plus fort développement avec 35 sites autour de Sarajevo et en Bosnie centrale, notamment ceux de Butmir (Ilidža) et d’Okolište (Visoko). Cette société se distingue par son raffinement, produisant une céramique dont le décor possède une ressemblance troublante avec l’art minoen que l’on trouve en Crète trois mille ans plus tard. Émergent ensuite de nouvelles cultures couvrant surtout le sud du pays et la Dalmatie (Croatie) : la culture de Danilo (4700-3900 av. J-C) et la culture de Hvar-Lisičići (3500-2500 av. J-C).

Du 3e millénaire au Ier siècle av. J.-C

Tribus illyriennes

Le troisième millénaire avant notre ère est marqué par l’arrivée de peuples indo-européens, parmi lesquels les Illyriens qui colonisent toute la côte adriatique. Sur le territoire bosnien, ceux-ci se mêlent aux tribus locales ainsi qu’aux Celtes. À partir du VIIe siècle, ils nouent des relations avec les Grecs et s’organisent en petits royaumes. La moitié sud du pays est alors occupée par sept peuples illyriens. La tribu hellénisée des Daorses est la seule à avoir laissé des vestiges importants : les murs cyclopéens de Daorson, leur capitale, près de Stolac.

Du Ier siècle av. J.-C. au IVe siècle apr. J.-C

Période romaine

Romains et Illyriens nouent des contacts à partir du IVe siècle av. J.-C. Mais les relations se tendent au siècle suivant, lorsque les Ardiéens de la Neretva se transforment en pirates de l’Adriatique. Dotés d’une flotte puissante, ils perturbent le commerce et s’emparent de territoires jusqu’en Grèce. Rome réplique en lançant les guerres illyriennes (229-127 av. J.-C.). Cette série de trois conflits se déroule surtout dans l’actuelle Albanie et s’achève par l’anéantissement des Ardiéens. Le territoire bosnien passe peu à peu sous contrôle de Rome et, en 32 av. J.-C., il est intégré à la province de Dalmatie. Mais dès l’an 6 de notre ère débute une révolte dirigée par deux chefs de tribus de Bosnie : Baton le Dæsitiate et Baton le Breuce. Cette « guerre des Batons » (Bellum Batonianum) est courte et peu connue. C’est pourtant l’un des plus importants conflits menés par Rome qui mobilise jusqu’à quinze légions face à un million de guerriers illyriens et pannoniens. Après plusieurs défaites en Croatie et Serbie, les troupes de l’empereur Tibère saccagent la Bosnie-Herzégovine pour affamer les insurgés et obtiennent leur reddition en l’an 9. Le retour à la paix ne se traduit pourtant que par un faible développement. Si les Romains créent la cité minière d’Argentina (Srebrenica) et quelques villes de garnison, ils n’érigent aucune grande infrastructure (voie pavée, théâtre…). Les seuls vestiges notables sont ceux de la colonie d’Aquae Sulphurae, à Ilidža, et de la villa rustica de Mogorjelo, près de Čapljina. La présence romaine entraîne toutefois une arrivée précoce du christianisme, dès la fin du Ier siècle.

shutterstock_561511279.jpg

IVe-Xe siècles

Le temps des invasions

En 395, face aux invasions qui menacent l’Empire romain, celui-ci est divisé en deux : à l’ouest, l’Empire romain d’Occident est dirigé par Rome ; à l’est, l’Empire romain d’Orient, dit byzantin, a pour capitale Constantinople. Si le territoire bosnien dépend en théorie de l’Empire d’Occident, ce dernier se montre incapable de refouler les Wisigoths qui déferlent sur le pays (375), suivis par les Huns (422-452). Après la chute de Rome (476), le territoire est ravagé par les Ostrogoths (478-480), puis accueille les premiers peuples slaves, dont les Croates (vers 520). En 535, le général byzantin Bélisaire parvient à reprendre la partie sud qu’il place sous la juridiction du diocèse de Ravenne (Italie). Cela explique que l’Herzégovine et la Tropojle soient devenues des terres d’influence latine et catholique. Mais la partie nord passe sous le contrôle des Lombards et des Avars en 567. L’empereur byzantin Héraclius parvient à y rétablir son autorité. En 610, il invite d’autres peuples slaves, dont les Serbes, à s’y installer afin de contrer une nouvelle invasion des Avars. Cette stratégie se retourne contre lui : en 626, les Avars et les Slaves assiègent Constantinople et manquent de faire chuter l’Empire. L’Église byzantine parvient toutefois à rechristianiser les Serbes qui resteront désormais attachés à l’orthodoxie. Mais ceux-ci sont organisés en principautés qui ne parviennent pas à s’unir. Si bien que la Bosnie est envahie par l’Empire carolingien (vers 810), l’Empire bulgare (870), le royaume de Croatie (960), puis de nouveau les Bulgares (997). Lorsque l’empereur byzantin Basile II parvient à reconquérir les Balkans en 1018, son expansion est stoppée par le royaume de Hongrie qui occupe depuis l’an mil la partie ouest de l’actuelle Bosnie-Herzégovine.

1154-1377

Banat de Bosnie

Le terme « Bosnie » apparaît au IXe siècle. L’idée d’un État bosnien indépendant émerge deux siècles plus tard. Le territoire est alors disputé entre l’Empire byzantin et le royaume de Hongrie. Mais compte tenu du relief difficile, ces grandes puissances n’y exercent qu’une autorité limitée. C’est ainsi qu’en 1154, la Hongrie accorde la quasi-indépendance à la Bosnie dirigée par un noble croate, le ban Borić. Lorsque les Byzantins reprennent la main en 1166, le Banat est confié à un autre noble croate, le ban Kulin. Celui-ci s’émancipe et prend la décision d’accueillir en Bosnie le mouvement révolutionnaire chrétien des bogomiles, chassé du reste des Balkans pour « hérésie ». Cela provoque la colère des souverains chrétiens, mais Kulin parvient à éviter la guerre jusqu’à sa mort en 1204. Toutefois, en 1238-1241 a lieu la croisade de Bosnie. Ordonnée par le pape et menée par les Hongrois, celle-ci donne lieu à des massacres en Bosnie centrale. En réaction, le Banat rompt avec Rome. En 1252, l’Église bosnienne est fondée. Ce schisme et l’adoption de l’alphabet cyrillique bosnien au XIIIe siècle traduisent la volonté d’émancipation qui anime alors les bans de Bosnie.

1377-1463

Royaume de Bosnie

Depuis 1267, les bans de Bosnie sont les vassaux du royaume de Hongrie. Mais en 1366, le ban Tvrtko Kotromanić refuse de prêter allégeance. Il profite d’un conflit de succession en Hongrie pour se faire couronner roi de Bosnie le 26 octobre 1377 à Visoko. Tvrtko Ier ne se contente pas de donner l’indépendance à son pays, il lui offre de nouveaux territoires. Alors que le royaume se résumait à la Bosnie centrale, il annexe l’Herzégovine, la Bosnie orientale et une portion du Monténégro. En 1390, il étend son territoire à une partie de la côte dalmate. Cette extension est peu contestée : les États voisins sont affaiblis par l’avancée fulgurante des Ottomans dans les Balkans. À sa mort en 1391, dans la forteresse royale de Bobovac, Tvrtko laisse un pays riche, grâce aux mines d’argent de Fojnica et de Srebrenica, et uni, malgré les trois religions qui se côtoient (orthodoxie, catholicisme et Église de Bosnie). Mais ses treize successeurs vont se perdre en une série de conflits internes. En 1388, les Ottomans lancent les premiers raids contre le royaume, puis grignotent peu à peu le territoire sans rencontrer de réelle résistance. En mai 1463, après la reddition de la ville de Jajce, Stjepan Tomašević, dernier roi de Bosnie, est décapité.

1463-1878

Au temps de l'Empire ottoman

Les Ottomans s’emparent de la Bosnie-Herzégovine en 1463. Mais dès 1464, le roi hongrois Matthias Corvin reprend Jajce et fonde des principautés bosniennes qui tiennent jusque dans les années 1530. Quant à Bihać, elle ne tombe qu’en 1592, défendue par la Croatie, vassale des Habsbourg d’Autriche. Ces derniers parviennent même un temps à contrôler la Bosnie (1718-1739). Pour autant, les Ottomans mettent fin au système féodal et organisent la province en deux régions : le sanjak de Bosnie et celui d’Herzégovine qui sont confiés à une élite locale. Cette période est aussi marquée par un développement urbain avec la création de Sarajevo (1461) et la généralisation du modèle de la charchia, complexe à la fois commercial et religieux installé au cœur des villes, comme Baščaršija, à Sarajevo, et le quartier du Vieux-Pont, à Mostar. L’autre fait marquant est l’islamisation. Environ un tiers de la population est convertie, principalement pour éviter le haraç (impôt dû par les non-musulmans) et le devşirme (levée d'enfants chrétiens destinés à l’armée et à l’administration ottomanes). Par pragmatisme, les Ottomans accordent une large autonomie aux autres religions. En 1541, ils accueillent à Sarajevo des Juifs chassés d’Espagne qui sont souvent des artisans et des marchands qualifiés. Ils se reposent aussi sur le clergé orthodoxe pour percevoir le haraç. Mais ce système fait naître des inégalités entre musulmans (élite urbaine, propriétaires terriens) et chrétiens (paysannerie), mais aussi parmi les chrétiens, puisque les catholiques sont défavorisés par rapport aux orthodoxes. Les trois grandes communautés du pays se mettent alors en place : les Serbes (orthodoxes), les Bosniaques (musulmans) et les Croates (catholiques). Au XIXe siècle, l’Empire connaît une grave crise. Incapable de se moderniser, il suscite la colère des populations. Les propriétaires terriens bosniaques se révoltent en 1831-1832. Au même moment, la Grèce devient la première nation des Balkans ottomans à accéder à l’indépendance, suscitant une montée du sentiment national chez les autres peuples chrétiens. C’est ainsi qu’éclate la Grande Crise orientale (1875-1878) avec le soulèvement des Serbes en Bosnie et en Herzégovine et une série de guerres dans la péninsule. Acculé par les grandes puissances, l’Empire ottoman doit signer le traité de Berlin (13 juillet 1878) qui reconnaît la souveraineté de la Serbie, de la Roumanie et du Monténégro. Ce traité confie aussi le sort de la Bosnie-Herzégovine à l’Empire austro-hongrois.

1878-1918

Empire austro-hongrois

Jusqu’en 1908, la Bosnie-Herzégovine demeure officiellement ottomane. Mais ce sont bien les Austro-Hongrois qui gouvernent la province à partir de 1878. Ceux-ci lancent un programme de modernisation avec la construction de voies ferrées, de systèmes d’égouts ou encore de bâtiments publics, comme la Vijecnica de Sarajevo (1896), qui adopte un style néomauresque censé se fondre dans un paysage urbain dominé par l’architecture islamique. Tout est fait pour assurer une continuité avec les Ottomans et, surtout, promouvoir une identité bosnienne : trois religions, certes, mais un seul peuple. Cela passe notamment par une représentation politique égalitaire des trois grandes communautés. Si les Bosniaques (37 % de la population) adhèrent globalement, les Croates (18 %) se sentent déçus par cet empire catholique qui ne les favorise pas davantage. Quant aux Serbes (43 %), ils se montrent d’autant plus hostiles aux Austro-Hongrois que ceux-ci entretiennent des relations houleuses avec le royaume de Serbie. Ainsi, ce sont les services secrets de la Serbie qui organisent l’assassinat de l’héritier du trône des Habsbourg, l’archiduc François-Ferdinand, à Sarajevo, le 28 juin 1914. Cet événement est l’étincelle qui provoque la Première Guerre mondiale. Le conflit entraîne la mort de 10 % des Bosniens et la disparition de l’Empire austro-hongrois.

1818-1941

Royaume de Yougoslavie

En 1918, la Bosnie-Herzégovine est intégrée à la Yougoslavie, d’abord appelée royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Les Serbes, qui ont été le peuple européen le plus meurtri par la Première Guerre mondiale (20 % de morts), dirigent d’une main de fer cette monarchie constitutionnelle à la tête de laquelle est placé un roi serbe. Les musulmans (Bosniaques, Albanais…), qui représentent 30 % de la population yougoslave, sont relégués au second plan. De profondes reformes agraires suscitent le mécontentement en Croatie et chez les propriétaires terriens bosniaques. En 1929, le royaume devient une monarchie quasi absolue, change de nom pour devenir le royaume de Yougoslavie et un nouveau découpage administratif fait disparaître la Bosnie-Herzégovine. Celle-ci se retrouve éclatée entre quatre entités : la banovine de la Drina (Bosnie centrale, Bosnie orientale, ouest de la Serbie), la banovine du Vrbas (Krajina bosnienne), la banovine du Littoral (Tropolje, Herzégovine occidentale, nord-ouest de la côte dalmate) et la banovine de Zeta (Herzégovine orientale, Monténégro, Serbie centrale, sud-est de la côte dalmate). Alors que le régime traque les militants communistes et indépendantistes, l’illettrisme touche 80 % des Bosniens. La colère grandit, notamment chez les Croates. Le roi Alexandre Ier est assassiné lors de son arrivée à Marseille, le 9 octobre 1934, par un Macédonien manipulé par l’extrême droite croate. Une régence de plus en plus pronazie s’installe alors au pouvoir.

1939-1941

Seconde Guerre mondiale

Si la Yougoslavie est restée neutre au début du conflit, le coup d’État qui renverse le régime pronazi, le 27 mars 1941, provoque l’invasion du royaume par l’Allemagne en onze jours (avril 1941). La Bosnie-Herzégovine se retrouve occupée par le nouvel État indépendant de Croatie, pronazi, qui persécute les Serbes, les Juifs et les Roms. En août 1941 est créé le camp de concentration de Jasenovac-Donja Gradina, où environ 100 000 personnes trouveront la mort. Les massacres ont aussi lieu dans les villes et les villages, menés par les soldats allemands et croates, les oustachis (nationalistes croates), et des supplétifs bosniaques. La position des Bosniaques est toutefois à nuancer. Présentés par la propagande croate comme des « Aryens » ou des « Croates musulmans », plusieurs milliers d’entre eux s’enrôlent dans la division SS Handschar en 1943. Mais dès 1941, une centaine d’imams bosniaques condamnent la persécution des Serbes. De nombreux musulmans viennent aussi en aide aux victimes, sauvant même la Haggadah de Sarajevo, précieux livre médiéval de la communauté juive. Surtout, les Bosniaques s’engagent massivement aux côtes des Serbes au sein de la résistance communiste dirigée par Josip Broz, dit Tito (1892-1980). La Bosnie-Herzégovine devient d’ailleurs le principal théâtre d’opérations yougoslave. L’impressionnant monument de la bataille de Sutjeska rappelle les grands affrontements qui se déroulèrent ici à partir de 1942. Dans le sud du pays, où Tito avait son quartier général, les partisans possédaient même une ligne de train reliant Bihać et une base aérienne à Glamoč. C’est ainsi que la Yougoslavie parvint, presque sans aide extérieure, à se libérer en mai 1945. Toutefois les derniers combats furent fratricides, puisque le second mouvement de résistance, celui des tchetniks (nationalistes serbes), s’allia aux Allemands contre les troupes de Tito. Sur les 14,5 millions d’habitants que comptait la Yougoslavie en 1939, un million trouvèrent la mort, dont un tiers en Bosnie-Herzégovine (environ 170 000 Serbes, 75 000 Bosniaques, 65 000 Croates, 10 000 Juifs, 5 000 Roms et 4 000 membres des minorités).

1945-1980

Yougoslavie socialiste (1) : l’apaisement

Au sortir de la guerre, la Bosnie-Herzégovine intègre la République fédérale socialiste de Yougoslavie dirigée par Tito. Elle bénéficie d’une large autonomie au même titre que les cinq autres républiques socialistes (Serbie, Croatie, Slovénie, Monténégro et Macédoine). Si les Serbes ont une nouvelle fois été les principales victimes de la guerre, Tito entend ne pas réitérer les erreurs du royaume de Yougoslavie et fait taire les nationalismes. Les oustachis, les tchetniks et les « nationalistes musulmans » (bosniaques et albanais) sont condamnés, de même que les stalinistes après la rupture avec l’URSS en 1948. La Yougoslavie opte alors pour le modèle du collectivisme, se rapproche du bloc occidental et garantit la plupart des libertés individuelles. Les religions sont tolérées, mais encadrées, en particulier le clergé catholique croate qui a largement collaboré avec l’État indépendant de Croatie. Les Bosniaques bénéficient de la « nationalité musulmane » qui leur garantit les mêmes droits que les Serbes ou les Croates. République la plus pauvre en 1945, la Bosnie-Herzégovine profite du formidable essor économique yougoslave : 10 % de croissance par an de 1950 à 1965. Mostar, Konjic et Bugojno concentrent les usines d’armement, dont peu de choses subsistent aujourd’hui. Mais on peut toujours visiter le bunker de Tito, à Konjic, et l’immense base aérienne souterraine de Željava, près de Bihać. Le pays se dote aussi de routes, d’hôpitaux, d’universités, de centres culturels et de grands quartiers d’habitation comme Novo Sarajevo et Mostar-Ouest dans les années 1960-1970.

1980-1992

Yougoslavie socialiste (2) : vers la guerre

Après la mort de Tito en 1980, la Yougoslavie est en proie à une grave crise financière et les nationalismes resurgissent. Les premiers troubles apparaissent dans la province serbe du Kosovo en 1981 : les Albanais, majoritaires, réclament le statut de république. Cela favorise l’ascension des nationalistes serbes à Belgrade qui s’immiscent aussi dans les affaires de la Bosnie-Herzégovine. En 1983, ils obtiennent la tenue d’un grand procès à Sarajevo où quatorze intellectuels bosniaques sont condamnés, dont le juriste Alija Izetbegović (1925-2003), auteur d’un pamphlet « islamiste ». L’année suivante, en février 1984, Sarajevo accueille les Jeux olympiques d’hiver. Ce sera le dernier symbole d’unité de la Yougoslavie. Car partout, les nationalistes s’emparent du pouvoir, comme Franjo Tuđman (1922-1999) en Croatie et Slobodan Milošević (1941-2006) en Serbie. En 1990, après six années de prison, Izetbegović devient quant à lui le président de la Bosnie-Herzégovine et prépare la cessation de la Yougoslavie. Il est devancé par la Croatie et la Slovénie qui déclarent leur indépendance en juin 1991, provoquant l’intervention de l’armée yougoslave contrôlée par les Serbes. C’est le début des guerres de Yougoslavie (1991-2001). En Slovénie, le premier conflit est court (26 juin-7 juillet 1991), peu meurtrier (63 morts) et se conclut par la reconnaissance de l’indépendance du pays par la Yougoslavie. Mais en Croatie, les habitants serbes réclament la sécession de certaines régions. La guerre va durer quatre ans (17 août 1991-12 novembre 1995), faire plus de 22 000 morts et déborder sur la Bosnie-Herzégovine.

shutterstock_428895145.jpg

6 avril 1992

Guerre de Bosnie (1) : le déclenchement

Le conflit européen le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale débute dès la proclamation d’indépendance de la Bosnie-Herzégovine, le 6 avril 1992. Le même jour, le leader des Bosno-Serbes Radovan Karadžić (né en 1945) annonce la création d’une République serbe de Bosnie et ordonne le bombardement de la capitale bosnienne. Déjà formée et équipée grâce à la capture des dépôts d’armes, son armée de 80 000 soldats a commencé dès la veille à encercler Sarajevo avec le soutien de l’armée yougoslave afin d’obliger le président Izetbegović à renoncer à l’indépendance. Le plus long siège de l’histoire moderne va durer trois ans, huit mois et neuf jours, entraînant la mort de plus de 8 000 personnes. En face, l’armée nationale bosnienne (surtout composée de Bosniaques) compte alors environ 90 000 volontaires. Mais elle est mal équipée et mal formée. Le président Izetbegović doit ainsi se résoudre à confier des commandements à des repris de justice et à des chefs de gangs peu fiables. Malgré le déploiement de 39 000 casques bleus de la Force de protection des Nations unies (Forpronu) à partir de juin 1992, le conflit se propage rapidement au reste du pays. Car la Russie, alliée à la Serbie, a tout fait pour limiter le mandat des soldats de la paix au Conseil de sécurité.

18 octobre 1992

Guerre de Bosnie (2) : la guerre dans la guerre

La guerre change de dimension le 18 octobre 1992. Tout d’abord, l’ONU obtient que l’armée yougoslave se retire. Mais celle-ci laisse derrière elle une grande partie de ses officiers et de son matériel à l’armée bosno-serbe. Le même jour commence un autre conflit au sein du pays : la guerre croato-bosniaque. Une armée bosno-croate d’environ 40 000 soldats s’est en effet formée et entre en action dans le Sud avec le soutien de l’armée croate. Un accord secret vient en effet d’être conclu entre les présidents Milošević (Serbie) et Tuđman (Croatie) pour se partager la Bosnie-Herzégovine. Sur le terrain, les forces bosno-serbes et bosno-croates pratiquent le « nettoyage ethnique », chassant les habitants qui ne sont pas de leur communauté, principalement les Bosniaques, occasionnant au passage des viols quasi systématiques et parfois des tueries. Les Bosno-Serbes se rendent ainsi maîtres de plus de la moitié du pays. Ils sont en revanche chassés de certaines villes comme Livno et Stolac. À Mostar, les Bosno-Croates s’allient d’abord avec l’armée bosnienne contre les Bosno-Serbes, puis se retournent contre l’armée bosnienne. Mais cette dernière résiste. Le siège entraînera la mort de 2 000 personnes et d’importantes destructions, dont le célèbre Vieux-Pont en novembre 1993.

18 mars 1994

Guerre de Bosnie (3) : le tournant

À partir de janvier 1994, l’armée bosnienne parvient à prendre l’avantage face aux Bosno-Serbes et aux Bosno-Croates. Ces derniers acceptent alors de signer l’accord de Washington, le 18 mars 1994, qui met fin à la guerre croato-bosniaque. Dès lors, les anciens ennemis unissent leurs forces (environ 250 000 soldats) contre l’armée de la République serbe de Bosnie (moins de 100 000 combattants). Dans les mois qui suivent, celle-ci doit reculer et commet de plus en plus d’atrocités, notamment le massacre de Srebrenica en juillet 1995, où plus de 8 300 Bosniaques sont tués. Elle s’en prend aussi davantage aux casques bleus. Malgré leur mandat limité, ceux-ci commencent à répliquer. C’est le cas le 27 mai 1995, lorsque des casques bleus français reprennent le pont de Vrbanja, à Sarajevo, lors d’un assaut mené baïonnette au canon. Mais l’événement qui marque alors l’opinion internationale est le bombardement du 28 août 1995 qui frappe le marché Markale, à Sarajevo, faisant 37 morts. Les États membres de l’Otan réagissent et lancent une vaste opération de bombardement aérien du 30 août au 20 septembre 1995 contre l’armée bosno-serbe. Cela favorise alors les armées bosnienne et bosno-croate qui s’emparent de villes occupées pendant trois ans comme Sanski Most, Kupres, Jajce, Zavidovići et Mrkonjić Grad, où aura lieu l’un des rares massacres de Bosno-Serbes (181 morts en octobre 1995). Mais leur avancée est stoppée nette par les accords de Dayton.

14 décembre 1995

Guerre de Bosnie (4) : la fin des combats

Les accords de Dayton, signés à Paris le 14 décembre 1995, mettent fin à la guerre après trente-quatre jours de négociations dans une base militaire américaine située près de Dayton, dans l’Ohio. Les dirigeants de Bosnie-Herzégovine, de Yougoslavie et de Croatie cosignent le document ainsi que les représentants des Bosno-Serbes et des Bosno-Croates. Si, après trois ans de refus, Milosević et Karadžić acceptent la paix, c’est que, sur le terrain, les troupes bosno-serbes sont sur le point de s’effondrer. Ils reconnaissent certes l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine, mais l’entité semi-indépendante de la République serbe de Bosnie est, elle aussi, officialisée. Comme le diront plus tard des négociateurs français et américains, les accords de Dayton sont une victoire pour le camp serbe. Ces mêmes accords définissent aussi les institutions de la Bosnie-Herzégovine, qui sont parmi les plus complexes au monde. Ils prévoient enfin le déploiement d’un contingent de 55 000 soldats de l’Otan chargés du maintien de la paix : l’IFOR (Implantation Force), qui est aujourd’hui remplacé par la force de l’Union européenne Althea (1 600 militaires). Au total, la guerre de Bosnie a causé la mort ou la disparition d’environ 101 000 Bosniens : 62 100 Bosniaques (dont 31 600 civils), 25 300 Bosno-Serbes (dont 4 200 civils), 8 500 Bosno-Croates (dont 2 500 civils) et 5 100 personnes non identifiées (des corps continuent d’être découverts chaque année). Par ailleurs, environ 2 millions d’habitants ont été déplacés, dont près de la moitié à l’étranger. Le pays comptait 4,4 millions d’habitants en 1991, contre 3,5 millions en 1996.

Depuis 1995

Guerre de Bosnie (5) : la justice

Année après année, le pays suit toujours les procès des responsables de crimes commis durant la guerre de Bosnie. Entre 1996 et 2021, 89 Bosniens ont été reconnus coupables par la justice internationale (cour de La Haye, aux Pays-Bas) ou par la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine de génocide et/ou crime contre l’humanité et/ou crime de guerre et/ou infractions graves à la convention de Genève. Les deux plus hauts responsables, Radovan Karadžić (président de la République serbe de Bosnie de 1992 à 1996) et Ratko Mladić (commandant de l’armée bosno-serbe), ont quant à eux été condamnés à la prison à vie, l’un en 2019, l’autre en 2021. Toutefois, la majorité des Bosno-Serbes ayant commis des massacres, dont celui de Srebrenica, n’ont pas été poursuivis. Enfin, certains inculpés sont morts avant leur verdict. C’est le cas du président serbe Slobodan Milošević qui est décédé à La Haye après cinq ans de procès en 2006.

Depuis 1995

Un pays en crise

Les accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre ont non seulement provoqué la division du pays, mais aussi une crise économique. Sous l’influence des États-Unis, la Bosnie-Herzégovine est passée du collectivisme au modèle libéral. Tandis qu’une minorité d’habitants s’est enrichie dans des conditions souvent troubles, nombre d’entreprises ont fermé, faisant grimper le taux de chômage en flèche (31 % en 2006). Face à cette situation, au blocage des institutions et à la corruption généralisée, en février-mars 2014, les grandes villes industrielles de Tuzla et de Sarajevo ont été secouées par de vastes manifestations spontanées. Ce mouvement, appelé le « printemps bosnien », n’a hélas débouché sur aucune réforme majeure. Il s’est même traduit en République serbe de Bosnie par une dérive autocratique et indépendantiste de la part de l’élite nationaliste bosno-serbe. Alors que le pays est toujours en proie au chômage (37 % de la jeunesse est sans emploi) et à un fort déclin démographique, la seule perspective semble être l’Union européenne. Celle-ci est déjà le principal soutien économique et politique de la Bosnie-Herzégovine. En 2022, elle a aussi accordé le statut de « candidat officiel » au pays. Le chemin à parcourir pour devenir membre de l’UE reste long, mais cela apporte enfin une vraie lueur d’espoir aux habitants.