Les musiques et danses traditionnelles

S’il y a une tradition de Bosnie qui reflète tout à fait le tempérament de ses habitants, c’est bien la sevdalinka, la chanson d’amour passionnel bosnienne. Née dans la Bosnie ottomane, elle est une des traditions les plus anciennes – si n’est la plus ancienne. Parfois abrégé sevdah, cette chanson, chargée d’émotion, se distingue par sa mélancolie profonde – elle pourrait être perçue comme un fado bosnien – et la tristesse avec laquelle elle aborde des sujets importants comme l'amour ou la mort. Si elle est traditionnellement interprétée avec un saz (un luth oriental à manche long), on l’entend aujourd’hui la plupart du temps accompagnée à l’accordéon. Un très bon exemple de sevdah est Kad ja pođoh na Benbašu, l'hymne officieux de Sarajevo.

Les grands chanteurs traditionnels de la première vague de sevdalinka – Hašim Muharemović, Emina Ahmedhodžić ou Muhamed Mešanović-Hamić – sont toujours populaires mais moins que les stars du genre : Hanka Paldum, Beba Selimović, Zehra Deović, Zaim Imamović ou Silvana Armenulić (la « reine du sevdalinka »). Tradition toujours aussi populaire, la sevdah continue de séduire sans faillir la jeune génération. Elle est par exemple au cœur des créations du jeune groupe Divanhana qui la mélange avec des influences slaves et orientales. Une manière – saluée dans toute l’Europe – d’unir par l’art les esthétiques des différentes communautés présentes en Bosnie. Autrement, la sevdah peut aussi être entendue là où on ne l’attend pas forcément comme le festival de blues et de rock de Mostar. Pas uniquement porté sur le blues ou le rock, ce rendez-vous peut aussi convier la grande esthétique nationale, surtout quand s’y produit le plus grand groupe de la ville, le Mostar Sevdah Reunion, connu pour son mélange de blues et de sevdah.

Originaire des montagnes de Dalmatie – à cheval sur la Croatie et la Bosnie-Herzégovine –, la ganga est un style polyphonique crié particulièrement impressionnant. Cousin éloigné du chant bulgare ou des polyphonies corses, ce chant de gorge se singularise par sa puissance et sa brièveté (généralement une trentaine de secondes par chant), rappelant qu’originellement il était pratiqué par les bergers entre les vallées comme moyen de communiquer à distance (d’où le volume). Un style très physique donc, réclamant un grand investissement corporel, le chanteur devant s’impliquer tout entier. Pratiqué dans les bars, les fêtes ou en famille, ce chant vise à renforcer les liens entre ceux qui l’exécutent et peut aborder tout type de sujets, aussi bien le quotidien d’un village que la politique ou la religion.

Dans la ville de Grude en Herzégovine, se tenait autrefois le Ganga Fest, consacré à l’événement. Cela dit, il semblerait que le rendez-vous n’ait pas survécu aux diverses vagues de Covid.

Parmi les instruments traditionnels les plus courants, mentionnons le fifre, le diple (sorte de cornemuse), le zurle (un hautbois) ou encore la gusle, répandue dans tous les Balkans, également utilisée pour accompagner les anciens poèmes épiques slaves.

Aussi, on verra volontiers une sorte de synthèse – et surtout une immense vitrine – des traditions locales dans la musique (et le succès) de Goran Bregović. Pas uniquement bosnienne mais panbalkanique, la musique du plus célèbre des compositeurs de Bosnie, collaborateur éternel d’Emir Kusturica, n’est pas devenu un emblème sans raison (voir paragraphe « musique populaire »).

Côté danse, les traditions chorégraphiques du pays s’axent pour la plupart sur des rondes (les kolo) ou en arc de cercle, souvent en se tenant la main et parfois en employant de grands mouvements de bras pour répondre aux franches ruptures rythmiques. La ronde de l’ancienne Bosnie (starobosansko kolo), par exemple, voit un couple se détacher et venir danser au centre, soutenu alors par le reste de la troupe.

La musique populaire

Si l’on pose « musique » et « Bosnie » dans une même phrase, impossible de ne pas penser à Goran Bregović. Enfant d’un couple serbo-croate, Goran naît à Sarajevo en 1950. Son premier groupe de rock Bjelo Dugme (« Le Mouton Blanc ») connaît un franc succès en Yougoslavie dès la sortie de son premier album dans les années 1970. Jusqu’à la fin des années 1980 et en quelque neuf albums, le rock survolté de Bregović emporte tout sur son passage et surtout l’adhésion du public. En 1989, Goran se lance dans une nouvelle aventure : il compose la bande originale du Temps des Gitans, troisième film de son ami cinéaste Emir Kusturica. Un virage majeur dans sa carrière qu’il poursuit dans les années 1990 avec ses diverses BO, d’abord pour son ami Emir (Arizona Dream, notamment, et le fabuleux In the Death Car, en duo avec Iggy Pop), mais aussi pour La Reine Margot de Patrice Chéreau en 1994. L’année suivante, il compose la BO d’Underground (Kusturica, encore) qui empoche la Palme d’or. Fin des années 1990, nouveau virage réussi avec la fondation de l’Orchestre des mariages et des enterrements, ensemble gigantesque dédié à la musique des Balkans avec lequel il va tourner pendant des années dans toute l’Europe. La carrière couronnée de succès d’un artiste qui a popularisé comme nul autre la musique des peuples roms et la culture tzigane dans le monde.

Dans un autre registre, bien que le genre soit d’origine serbe, le turbo-folk connaît aussi un succès réel en Bosnie. Née dans les années 1980 et 1990, cette musique envoûtante, synthétique et très « orientalisante » assemble esthétiques traditionnelles et éléments électroniques (surtout eurodance et hip-hop). Fédératrice, elle est un plaisir partagé par toutes les couches de la société, sans frontière d'âge ou de classe. Cela étant dit, ses détracteurs lui opposent régulièrement son image kitsch et vulgaire et son discours vain et mercantile. En Bosnie, les grands noms du genre se nomment Lepa Brena (une star dans toute la Yougoslavie des années 1980), Goran Žižak, Indira Radić ou Kemal Malovčić.

La musique classique

Si la musique classique locale n’a pas produit de noms dont la réputation a traversé les frontières, le domaine compte un épisode important qui mérite d’être raconté. En 1992, l’incendie de la Vijećnica (causé par des bombardements serbes) suscite une vive émotion au sein de la communauté internationale. L’émoi est tel que des artistes du monde entier se rendent sur place pendant des années pour voir et témoigner aux côtés des journalistes. Parmi eux, le chef d’orchestre français Hugues Reiner, un habitué des représentations dans des conditions extrêmes (il vient par exemple de diriger un concert depuis le sommet du mont Blanc pour la fête de la Musique quelques mois plus tôt), arrive en novembre 1993 et choisit de rester sept semaines dans la capitale assiégée. Son objectif n’est pas seulement de donner un concert, mais de reconstituer l’Orchestre de la radiotélévision de Sarajevo. Composé d’habitants de toutes origines et confessions, celui-ci s’est disloqué dès les premiers mois de la guerre. Alors, avec l’aide de musiciens locaux, il part à leur recherche, tente de les faire revenir et, quand cela n’est pas possible, fait passer des auditions pour les remplacer. Ce qu’il leur propose, c’est de jouer ensemble, malgré leurs différences, un seul morceau, la troisième symphonie de Beethoven, la Symphonie héroïque. Celle-ci sera jouée dans les ruines de la Vijećnica ouverte à tous, le 31 décembre 1993. Mais l’événement, filmé seulement par une équipe de télévision française, passera alors inaperçu, Barbara Hendricks donnant elle aussi un récital ailleurs dans la ville le même soir. L’orchestre est, depuis, toujours en activité et enregistre de temps en temps certains de ses concerts.

Les musiques actuelles

Les musiques d’aujourd’hui sont bien vivantes en Bosnie. Tous les courants mondiaux sont représentés à commencer par le jazz, qui a pioché ici quelques-uns de ses grands noms comme le pianiste Sinan Alimanović, souvent considéré comme un des meilleurs de sa catégorie et qui a été un musicien particulièrement important en Bosnie. Citons aussi Bojan Z, pianiste lui aussi, bien connu des Français puisqu’il vit en France depuis les années 1990, ou encore Srđan Ivanović, percussionniste également installé en France.

La scène hip-hop est quant à elle plutôt bien portante, emmenée par la figure charismatique et engagée de Frenkie, sans doute le plus aimé et écouté des rappeurs du pays. Enfin, impossible de ne pas mentionner cet artiste inclassable et fabuleux qu’est Mario Batković, le « Philip Glass de l’accordéon », un prince de son instrument qui peut donner la chair de poule aux plus endurcis d’entre tous.

Une bonne occasion de goûter à la vitalité de la scène locale et de participer à l’événement Les Nuits de Baščaršija, se tenant dans le quartier du même nom tout le mois de juillet et proposant de nombreux concerts, aussi bien de musique traditionnelle des Balkans que de rock ou de musique classique.