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Travail et emploi du temps en Géorgie

L'économie dans sa version soviétique n'est pas si loin dans le passé géorgien. Pourtant, avec une croissance de 5 %, le pays part de loin et ne s'en sort pas si mal. Mais la vie est dure et les inégalités restent criantes. Une exploration dans le pays le reflète bien. Les immeubles futuristes du centre-ville à Tbilissi ou à Batoumi au bord de la mer Noire contrastent avec les paysages ruraux. Les routes encombrées de chevaux, cochons, vaches ou moutons longent parfois d'imposantes usines, rouillées, vestiges des temps soviétiques. Ces images reflètent bien un pays à deux vitesses, une Géorgie tournée vers le monde et le futur à marche forcée, alors que beaucoup d'habitants sont oubliés le long du chemin.

Depuis la dislocation du bloc soviétique, la société géorgienne a subi un choc pour le moins violent : ceux qui dépendaient de la société planifiée selon les codes soviétiques ont perdu leur emploi et leurs revenus. Sur le marché de l'emploi, l'économie s'articule en deux axes : le secteur public et le secteur privé. Le marché du travail en Géorgie se révèle pour le moment hors de contrôle. Tout jeune diplômé rêve de décrocher un emploi dans une entreprise publique, réputée pour offrir de bons salaires, parfois plus élevés que dans le privé, et la sécurité de l'emploi. Ce secteur dispose encore d'un nombre très élevé d'emplois superflus, mieux payés que dans une entreprise privée. Avoir un bon réseau a une importance primordiale : pour avoir les meilleures chances de trouver un travail, il faut avoir des connexions haut placées – une personne pauvre aura bien plus de mal.

Survivre

Alors il faut vivre, ou survivre, à tous les niveaux. Une journée de travail en entreprise commence en général vers 10h ou 11h pour se terminer tard en soirée. Les employés géorgiens ne comptent pas leurs heures de bureau, on travaille tard le soir. Ceux-ci reviennent travailler le week-end si nécessaire, ou même malades. On travaille en général quarante heures par semaine. Il est même souvent considéré comme suspect de quitter le bureau trop tôt ! En Géorgie, rien n'est dû. Chaque membre d'une même famille cherche à travailler – un enfant géorgien peut commencer à travailler avec l'accord parental à partir de 14 ans dans les rues de Tbilissi, tard le soir, été comme hiver, tous les jours. Des dames âgées vendent des graines d'arachide ou de tournesol, ou tout ce qu'elles peuvent, tricotent dehors… Il faut vendre leurs productions. Ainsi, elles apportent leur part dans le revenu familial.

Quelques chiffres

En janvier 2020, le salaire moyen s'élève à 728 GEL (soit 226 €). Le taux de chômage est de 13 % et concerne 27 % des jeunes. Les hommes partent à la retraite à 65 ans et les femmes à 60 ans. Le prix d'un loyer à Tbilissi en centre-ville pour un appartement de trois pièces s'élève à 1 775 GEL, en dehors de la ville, à environ 1 000 GEL. Depuis novembre 2018, l'Agence française de développement basée à Tbilissi aide le gouvernement à implanter un système de réformes dans le système de protection sociale et de la santé. Une couverture universelle a été introduite en 2014 et une réforme de la retraite récemment mise en place, une nécessité quand le montant mensuel d'une retraite est de 200 GEL. Au début des années 2000, la couverture sociale était quasi inexistante. Le système de santé reste encore déficient ou hors de prix.

Une autre option : entreprendre !

À choisir entre un salaire moyen mensuel de 500 GEL pour un jeune diplômé qui employé dans une banque et créer son entreprise, il n'y a qu'un pas que beaucoup de jeunes Géorgiens franchissent. 45 % de la jeunesse géorgienne est ainsi auto-entrepreneur. Dans le secteur du tourisme, en plein boom, il y a de quoi faire ! C'est pour cela que Tbilissi regorge de guest houses. La législation n'est pas trop exigeante pour ouvrir une guest house ou créer sa propre entreprise. Conduire des touristes en véhicule privé et gagner en quelques jours ce qu'un cadre en entreprise gagne en un mois, le dilemme ne dure pas longtemps… Il faut néanmoins tenir compte des aléas de l'offre et de la demande dans le marché touristique. Les sociétés occidentales implantées en Géorgie attirent beaucoup les jeunes diplômés géorgiens. Elles offrent en effet de meilleures conditions de travail et un meilleur salaire. Au sein de la société, travailler dans une société occidentale est considéré comme prestigieux.

Vie collective et apparence sociale

Malgré la dureté de leurs conditions de vie, les Géorgiens des gens très fiers. Ils sont fiers de Tbilissi, de leur pays, de leur culture, de leur gastronomie, de la richesse de leur patrimoine, d'appartenir à un pays qui a connu une histoire aussi mouvementée et fait l'objet de si nombreuses invasions, d’être ressortissant d'un pays qui, contre vents et tempêtes historiques, existe toujours.

La base de la société : le clan

Le clan est l'épine dorsale de la société géorgienne avec le réseau, notamment les relations que l'on entretient avec les gens considérés comme « importants ». Ainsi, le système d'entraide est primordial. On s'appuie sur son réseau familial pour tout, trouver un travail ou un logement. On s'échange des privilèges afin d'obtenir une faveur. Cela dit, depuis 2003, ce que l'on pourrait appeler ni plus ni moins de la corruption n'a plus le vent en poupe, même si pour beaucoup ces considérations constituent un mode de vie. La famille au sens large est la base inconditionnelle et la structure incontournable de la société géorgienne. La Géorgie est encore sujette à une grande pauvreté, la classe supérieure et moyenne est infime. On compte sur le système D. Que ce soit en affaires ou dans la vie sociale en général, communiquer est le mot d'ordre. Des structures sociales à la base de tout expliquent donc cette passion pour aller déjeuner, dîner ou prendre un verre. Ainsi, les fêtes traditionnelles géorgiennes sont particulièrement appréciées. La plus importante est le supra, le fameux banquet géorgien. N'importe quelle occasion est la bonne pour en organiser un. En Géorgie, on aime manger et boire, se retrouver entre collègues dans un restaurant en vue d’instaurer de bonnes relations.

Showing off

En Géorgie, le statut est important. Même si, parfois, il peut être loin de représenter la réalité, il faut montrer et se montrer, s’afficher dans une belle voiture de luxe, mettre en évidence un téléphone portable haut de gamme, porter des vêtements de marque. La grosse majorité des Géorgiens étant très loin de rouler sur l'or, on aime bien afficher des marques de richesse pour donner l’illusion qu'on appartient à cette infime classe de privilégiés.

Les femmes et la vie matrimoniale en Géorgie

C'est un monde d'hommes. Ils dominent une société patriarcale. Au temps de l'Union soviétique, l'idéologie communiste prônait l’égalité hommes-femmes. Après l'indépendance, on revendiqua une société très traditionnelle. En Géorgie, l'égalité hommes-femmes est un vrai enjeu. On en est encore loin. Dans les vieilles mentalités, la femme est la gardienne du foyer, la mère, elle se marie et s'occupe des enfants. La statue de la mère patrie à Tbilissi, dominant la ville, incarne tout cela. Paradoxalement, la présidente actuelle, Salome Zourabichvili, est une femme, et des femmes se trouvent de plus en plus à des postes de prise de décision au sein du gouvernement ou dirigeantes à la télévision géorgienne. Il n'en demeure pas moins que les hommes dominent, et la femme, censée être jolie, se retrouve souvent cantonnée dans les travaux de secrétariat et les tâches administratives.

Les dés sont jetés dès la naissance

Personne n'est logé à la même enseigne. Le statut de la femme au sein de la société géorgienne dépend de plusieurs critères, selon le milieu où elle vit, urbain ou rural, au sein d’une minorité ou non, éduquée et favorisée ou non. Une femme vivant en milieu rural, soumise au diktat de la société traditionnelle, a peu de possibilités de carrière. Les femmes en ville autant que les hommes ont accès aux études supérieures. L'origine sociale est déterminante en termes d'opportunités : une femme issue de la classe moyenne éduquée peut acquérir une indépendance économique. Au sein de la famille, la petite fille doit souvent aider sa mère aux tâches ménagères, le petit garçon est souvent, quant à lui, élevé comme un enfant roi. Rien n'est fait pour aider la mère de famille à travailler ; peu de places en crèche ne facilitent pas son accès au marché du travail. Ainsi, environ 55 % des femmes travaillent contre 73 % des hommes. La différence de salaire est flagrante : celui d'un homme peut être de 88 % supérieur à celui d'une femme, dans le secteur public ou privé. Dans le domaine politique, l'accès aux femmes est encore plus compliqué. Il existe seulement 23 députées sur un total de 150 députés. Mais le phénomène le plus dramatique reste encore la violence conjugale, encore largement répandue, surtout dans les milieux ruraux, mais aussi dans les milieux urbains et dans les camps de réfugiés. Ce qui est inquiétant, c'est qu'elle est largement acceptée dans les mentalités des hommes géorgiens. Le poids de la religion rend la société très sexiste ; un viol est un délit mineur. En résumé, la femme est encore cantonnée aux tâches domestiques au détriment d'une position sociale publique.

Mariés ou non : la famille, le vrai noyau social

Avant le mariage, on cohabite encore rarement et peu de couples restent non mariés. En milieu rural, notamment au sein des minorités, la femme peut être mariée et devenir mère bien trop tôt, à peine adolescente parfois. Rien ne change le poids des traditions, aussi scandaleuses soient-elles. Les hommes partent travailler à l'étranger et les femmes deviennent le chef du foyer et la seule source de revenus. Beaucoup de progrès à faire donc : des cas très variés selon les origines et des mentalités n'évoluant que très lentement. Si l'institution du mariage reste centrale, « un pilier social » reflet d'un système patriarcal très hiérarchisé, le divorce devient à l'inverse un phénomène assez commun. Difficile de comparer ainsi une femme cadre supérieure au sein de la société géorgienne et une jeune fille azérie vivant au fond de la campagne et mariée de force à 12 ans.

Habitat et vie familiale

À l’indépendance, le pays connaît avec la libéralisation de l'économie une hausse considérable du coût de la vie. Un drame social pour beaucoup. Les aides de l’État disparaissent, les infrastructures comme les crèches ou les institutions publiques telles que les hôpitaux se délabrent. Les loyers sont si chers que les couples mariés viennent habiter chez les parents de l'époux. En vue de contrebalancer la cherté et la difficulté de la vie, l'entraide familiale est particulièrement importante. Les hommes géorgiens vivent souvent avec leurs parents. Dans l'autre sens, les parents sont pris en charge par le frère aîné dans la fratrie. Un homme peut rester habiter chez ses parents avec sa femme ou divorcé. Il n'est pas rare qu'un homme reste habiter chez ses parents et la tradition veut qu'il les aide financièrement quand ils ne sont plus en capacité de s'occuper d'eux-mêmes.

Route de la soie, route de la drogue

Encore et toujours une position idéale : la Géorgie, par sa position géographique, est le point de passage idéal de la drogue entre la Russie, la Turquie et l'espace Schengen, dans les deux sens : opiacés d'Asie centrale, opiacés de synthèse comme l’héroïne, entre autres, produits en Azerbaïdjan, filières turques, iraniennes ou « Krokodil », une amphétamine produit pour sa consommation personnelle, « subutex » importé d'Europe. Le cannabis est la drogue la plus consommée en Géorgie. Face à la dureté de la répression du gouvernement contre le trafic, les drogues « faites maison » ont le vent en poupe. Depuis 1991, le trafic et la consommation de drogue ont explosé : 53 000 toxicomanes sur une population de 3,7 millions d'habitants. En face, un pouvoir adepte de la tolérance zéro : deux mois de salaire de base comme amende ou de huit à vingt ans de prison si un Géorgien est pris en possession d'un gramme d’héroïne. Face aux abus de pouvoir d'une police dépassant largement ses prérogatives pour attraper, condamner ou faussement faire condamner n'importe quel citoyen, depuis quelques années un débat s'est instauré. Si la politique de « tolérance zéro » ne marche pas, n'est-il pas temps d'aborder le problème sous un autre angle : tolérer l'usage de la drogue ? En Géorgie, elle est un véritable fléau, la réponse au débat est en suspens..