Chanteurs de Svanétie © Maros Markovic - Shutterstock.Com.jpg

La Géorgie, née sous le signe du chant

Enraciné dans la culture populaire, le chant est omniprésent dans le pays. Il accompagne chaque étape de la vie des habitants du pays. Chaque moment est l'occasion de chanter. Tous ensemble, entre amis, en famille, lors des dîners, de fêtes, pour accueillir un visiteur… Tous chantent ces fameux chants polyphoniques, si beaux à entendre. Toute occasion est bonne ; lors des travaux aux champs, on chante les naduri, pour célébrer les efforts physiques. À Noël, on chante les alilos.

Qu'appelle-t-on un chant polyphonique ?

Ce sont des mélodies qui se superposent, à deux, trois, plus rarement quatre voix : la haute, la moyenne et la basse, autrement dit, la première, la deuxième et la troisième voix. Généralement, la deuxième voix entame la mélodie. Celles-ci sont indépendantes, vocales ou instrumentales, en harmonie ou pas. Chaque chanteur place instinctivement sa voix. Associée à d'autres, ces voix, uniques, donnent naissance à une musique sublime.

Ensemble, c'est tout

Chaque occasion est bonne pour chanter : quand on se sépare, quand on se retrouve, lors des moissons ou des vendanges, lors des funérailles, lors d'un baptême, d'un mariage.

Les plus célèbres de ces chants polyphoniques sont les chants de table, ou les chants à boire, auxquels appartiennent les mravaljamieri (« longue vie » en géorgien). Ceux-ci sont originaires des régions viticoles à l'est de la Géorgie.

Lors des supras, les célèbres banquets, la tradition veut que le tamada, le maître de la table, lance pléthore de toasts à ses convives qui doivent lui répondre par des éloges éloquents. Les chanteurs invoquent, lors de mélodies graves, l'histoire mouvementée de la Géorgie, sujette à tant d'invasions au fil des siècles. Les voix masculines chantent les grandes épopées et le travail. Les voix féminines, quant à elles, consistent en des berceuses ou des supplications à la guérison. En effet, dans le passé, on croyait que les boutons rouges apparaissant sur le visage de l'enfant étaient le signe que ce dernier était possédé par un esprit. On chantait alors non seulement pour sa guérison, mais aussi pour chasser l'esprit.

Les chants mixtes sont rares, les chansons étant essentiellement interprétées par les hommes et les femmes étant cantonnées à chanter les mélodies relatives au foyer. Les hommes évoquent les chants militaires et les chants de table.

Une page d'histoire

Ces chants polyphoniques remontent au VIIIe siècle. Liés au culte de la vie, ils ont connu leur apogée entre le Xe et le XIIe siècle. Ceux-ci connurent un tel succès que des monastères dans le Sinaï, en Palestine et en Bulgarie l'adoptèrent. Les plus vieilles chansons géorgiennes remonteraient à 3 000 ans. Sargon II, roi d’Assyrie en 714 av. J.-C., ferait mention de « chansons joyeuses » au royaume d'Ourartou, ancêtres de la Géorgie, lors des travaux.

Trois types de polyphonie

Selon leur région d'origine, les chants villageois ont des caractéristiques différentes.

Dans le Grand Caucase, en Svanétie, on pratique la polyphonie complexe. Une voix solitaire est secondée par deux autres voix. Les chanteurs exécutent également des rondes svanes. Cette région conserverait les harmonies les plus anciennes. Les voix adoptent le même rythme. Si vous participez à un supra, ces fameux banquets reflétant si bien la culture géorgienne, vous entendrez le chakrulo, chanté lors des cérémonies et des fêtes.

Celui-ci fait recours à la métaphore, son yodle (on passe de la voix de poitrine à la voix de fausset), le krimanchuli, tout comme le cri du coq, chanté avec une voix de fausset. Ce serait d'ailleurs les supras qui auraient permis de perpétuer ces chants.

En Kakhétie, à l’est, on est plus adepte du dialogue polyphonique, sur un bourdon de basse. On entend aussi des mélismes (on change une syllabe sur de nombreuses notes) et des modulations. Deux parties sont chantées par des solistes. Ces mélodies, simples, ont une consonance très orientale, caractérisée par une ou deux voix s'élevant au-dessus d'une basse qui se prolonge.

Dans l’Ouest géorgien, en Iméréthie, en Gourie, en Adjarie et en Mingrélie, la polyphonie contrastée est la plus répandue. Elle inclut trois parties chantées partiellement improvisées. Il peut s'agir aussi de chants à deux voix au-dessus d'une basse bourdonnante. En Gourie, les chants peuvent aller jusqu'à sept voix. Alors que les voies plus aiguës sont chantées par les solistes, les voies de basse sont chantées en groupe. Les chants peuvent être accompagnés de percussions.

Le panduri et le chonguri, des luths traditionnels à trois cordes, le tchangouri (irsth à quatre cordes) ou encore la flûte de Pan (larchemi) et la flûte (salamuri), longue flûte à bec utilisée initialement par les bergers, enfin le doudouki, sorte de hautbois utilisé dans la région du Caucase, accompagnent ces chants.

L’Église, bien sûr, à travers ses chants liturgiques, intégra les chants polyphoniques. Les polyphonies religieuses, écrites au fil des siècles, sont les plus complexes. Elles sont toujours a capella, sans accompagnement instrumental. On allie le chant au texte, la tradition orthodoxe exigeant que la mélodie lui soit soumise. Le pope est accompagné presque toujours par un chœur, rendant l'ensemble très solennel. Les chanteurs doivent savoir rester humbles, ne pas mettre en avant leur personnalité, avec une interprétation de ces mélodies sobres. Ces chants sont si beaux qu'ils ont été intégrés par les champs liturgiques byzantins. La Russie tsariste les bannit au XIXe siècle, puis sous les Soviétiques au siècle dernier, mais ils furent sauvegardés par le patriotisme géorgien. La pratique du chant géorgien est transmise par voie orale uniquement, en famille et dans la communauté : pas de cours de chant, donc, mais « l'apprenant » doit apprendre par osmose auprès des porteurs de cette tradition.