Entrée de la cathédrale Saint-Laurent de Trogir © Vladimir Korostyshevskiy -shutterstock.com.jpg
Le Divan de Vlaho Bukovac, 1905. © wikimedia commons.jpg
L’arrivée des Croates à la mer de Ferdinand Quiquerez, 1870. © wikimedia commons.jpg

De la période hellénistique à Byzance

Si les premières sculptures apparaissent sur le sol croate au néolithique et à l'âge de cuivre, c’est au IVe siècle avant J.-C. que la Croatie développe des liens forts avec les cultures méditerranéennes grecques, sur les îles de Vis, Hvar et Korčula. L’Apoxyomène, le bronze haut de 2 m d’un athlète nu à sa toilette, a été découvert en 1996 au large de l'île de Vele Orjule. Restauré à Zagreb, il a rejoint le giron du musée de l’Apoxyomène de Veli Lošinj.

Province de l’Empire romain, la Dalmatie, située autour de Split (Salona), possède son école de sculpture qui produit nombre d’œuvres dont un buste en marbre blanc de l'empereur Auguste, découvert à Nin au XXe siècle. Après la chute de l'Empire d’Occident, la Dalmatie reçoit l'influence byzantine et les reliefs du baptistère et les sarcophages de la basilique de Split ou les mosaïques de la basilique de Poreč en sont les meilleurs témoignages. Des manuscrits enluminés du Musée sacré de Zadar et les évangéliaires de la cathédrale de Split datent des VIe et VIIe siècles.
En Istrie, les fresques dans l'église de Saint-Jérôme (Hum), de style byzantin, et celles de l'église Sainte-Foška près de Peroj, de style roman, suivant les modèles français, datent du XIIe siècle. Le crucifix de bois sculpté et peint du monastère de Saint-François à Zadar est le plus ancien que l'on ait découvert. Le visage du Christ s’anime davantage et le style s’éloigne de l’icône byzantine. Ils marquent le début de l'art roman.

En plein gothique international, l'école Dalmate s'illustre à Trogir ou Korčula, avec les œuvres de Blaž Jurjev, notamment. Son polyptyque sur bois de l'église de Tous-les-Saints, parfaitement restauré, témoigne de l'influence italienne. La peinture enlumine aussi les manuscrits, de manière sophistiquée. Le plus fameux est l’évangéliaire de Trogir (1231-1250).

Pendant l'époque romane, les basiliques à plusieurs nefs avec absides comme à Rab, Zadar et Trogir possèdent des portails très ouvragés de bas-reliefs et sculptures, relatant les épisodes de la Bible. Ainsi le portail de la cathédrale de Split, dont la porte en bois est signée de l'atelier du maître Buvina, celui de Trogir, au tympan ouest, sculpté par maître Radovan en 1240. Par ailleurs, au XIIIe siècle, les peintres et les ateliers se multiplient, la personnalité du maître d’œuvre s'affirme tout comme le rayonnement de son influence.

Du XIIIe au XVe siècle, le style gothique est présent au nord de la Croatie (cathédrale de Zagreb). En Dalmatie, le développement du style gothique rayonnant et flamboyant voit émerger la signature de l'architecte et sculpteur Juraj Dalmatinac, qui a fait ses écoles à Venise. Cet artiste complet a travaillé à Split, Dubrovnik, Zadar, mais c'est dans la cathédrale de Šibenik, classée par l'Unesco au patrimoine mondial, que l'on a trouvé son mystérieux baptistère (1443), décoré de structures réticulaires et de sculptures en forme de stalactites, faisant penser à une grotte.

De la Renaissance à l’Art nouveau

L'avènement du nouveau style trouve un terrain favorable à Raguse (Dubrovnik), où les sculpteurs et les peintres collaborent, s'inspirant des artistes italiens du Quattrocento sans oublier les leçons du gothique. Au milieu du XVe siècle, Lovro Dobričević fait, le premier, entrer la tridimensionnalité dans la représentation de ses personnages. Il faudra attendre le XVIe siècle, avec les peintres Mihajlo Hamzić ou Nicola Božidarević, pour s'émanciper des structures traditionnelles, des aplats de dorure et dégager l'espace derrière les figures.

À partir du XVIIe siècle et jusqu’au XVIIIe, le baroque se développe au nord du pays dans les églises jésuites et les demeures privées (Zagreb, Varaždin, Trški Vrh, près de Krapina, les châteaux de Hrvatsko Zagorje). Sur la côte adriatique, les échanges avec Venise seront bénéfiques aux peintres ; Federico Benković (1677-1733), notamment, sera influent dans toute l'Europe centrale. D'autres peintres ragusains, Stay et Matejević (Mattei), choisissent Rome ou Naples pour se former. On assiste à l'apparition de la peinture illusionniste sur des murs où s'accrochent dorures et moulures, personnages en apesanteur, angelots virevoltants.

Vlaho Bukovac (1855-1922), né à Cavtat, au sud de Dubrovnik, vit de son art comme dessinateur et portraitiste avant de partir pour San Francisco et de prendre des cours de peinture. De retour à Dubrovnik, l'évêque Strossmayer lui offre une bourse pour aller à Paris où il fréquente les ateliers de Tcheramok et de Cabanel. On assiste chez lui à l’apparition de la peinture symbolique. Il retourne à Zagreb avant d'être nommé professeur à Prague. À Cavtat, sa maison familiale est devenue un atelier-musée avec nombre de ses peintures exposées, qui représentent ces nouvelles tendances de la Zagrebačka šarena škola et influencent la formation du mouvement sécessionniste en Croatie, avec Josip Račić, Bela Čikoš-Sesija, Crnčić.

Le tir sur tableau, un art populaire et profane au XIXe siècle. À la fin du XVIIIe siècle, la multiplication des sociétés de tir en Europe centrale est à l’origine d’une pratique étonnante : le tir sur tableau. Fondée en 1786, la société de tir de Zagreb rassemble des citoyens distingués, aristocrates ou marchands, qui se retrouvent au cours de réunions mensuelles et de concours de tir. L’attraction et le divertissement sont les objectifs principaux de ces événements en plein air, du printemps à l’automne, où se mêlent danses, bals, fêtes populaires, lectures et autres jeux. Encore aujourd’hui, le musée de la Ville de Zagreb et celui de Varaždin présentent un bon nombre de ces cibles bien que cette pratique quelque peu dangereuse, si elle n’est pas réglementée, ait fort heureusement disparu depuis. Exposées au musée de la Chasse et de la Nature à Paris en 2012 à l’occasion de la saison culturelle croate, elles avaient beaucoup inspiré la célèbre et ténébreuse philosophe française Annie Le Brun qui avait préfacé le catalogue. Méconnues, ces cibles ont été particulièrement bien conservées en Croatie si tant est que cette pratique n’était pas spécifique à la région. À l’époque, ce jeu aux règles très strictes était tout à fait profane et les tableaux peints sur des canevas ronds pouvaient représenter des anges et des animaux tout aussi bien que des scènes mythologiques, allégoriques ou comiques, des armoiries ou des paysages. Les tableaux montrent que tout peut devenir cible : le roi, les dieux, les monuments, le temple et même le globe terrestre. Soit destinées à être choisies par les vainqueurs des concours de tirs, soit commandées pour être attribuées aux meilleurs tireurs, et bien qu’elles fussent peintes par des auteurs anonymes, elles sont un témoignage authentique d’un temps passé et d’une pratique sociale réservée à l’élite, pourtant populaire en Croatie. Les artisans qui les ont peintes, souvent sur commande, car dédiées à des tireurs émérites, ont laissé également une vision de la société croate et austro-hongroise, dont il n’est pas négligeable de prendre connaissance pour mieux saisir ce qu’a pu être ce pays à l’histoire mouvementée. Par ailleurs, c’est voir à quel point la peinture était populaire, même si ces cibles ne se contemplaient qu’une fois criblées. Trophées d’orgueil et de virilité pour ces hommes qui s’adonnaient à cette pratique, ces cibles n’ont malheureusement pas été visées par des femmes, qui étaient exclues du jeu. C’est voir aussi à quel point le droit des femmes dans la région s’est vu censuré, et qu’elles ont été tout à fait soumises à des règles d’une société dominée par les hommes, longtemps après le XIXe siècle. Heureusement, le jeune État croate d’aujourd’hui a beaucoup progressé à ce sujet.    

La fin du XIXe siècle en Croatie est marquée par les mouvements révolutionnaires actifs en Europe. Inspirés par la Sécession autrichienne et allemande, les peintres entrent de plain-pied dans l'Art nouveau, qui se dresse contre le traditionalisme en art. Les arts graphiques deviennent un mode d'expression autonome grâce au développement des techniques de la lithographie (Tomislav Krizman), de l'affiche, du papier peint, et du lettrisme. Les sculpteurs Robert Frangeš-Mihanović et Rudolph Valdec développent des thèmes funéraires et symboliques propres au style Sécession. À cette époque, le sculpteur Ivan Meštrović, celui que l'on nomme le Rodin croate, développe un style expressionniste personnel.

Des modernes à la photographie croate

Au début du XXe siècle, la Croatie suit la mode artistique européenne du paysage sur le motif (impressionnisme) tout en développant une thématique identitaire liée au renouveau de la conscience nationale (Quiquerez, Mašić, Iveković). Les modernistes croates ont fait leur école à Paris ou Munich (Josip Račić Kraljević, Becić).

C’est à Zagreb en 1939 que fut créé le premier département de la photographie au musée des Arts appliqués. La naissance de la Zagreb School a entériné l’engagement artistique et poétique des photographes tels que Bella Csikos Sessia, un peintre symboliste qui faisait des études photographiques préalables à ses tableaux, ou Franjo Mosinger, un des premiers photographes d’avant-garde d’Europe. Quant à eux, Duro Janekovic (1912-1989) ou Tošo Dabac (1907-1970) inaugurent un âge d’or du photo-reportage pour la presse écrite. Les magazines étrangers, Life, Stern, Paris Match, Elle, Tempo et Gente, ont ainsi beaucoup engagé de photographes croates, parmi eux Tošo Dabac, connu pour son travail durant la Grande Dépression de 1929, Frank Horvat, photographe de mode et reporter, qui sont publiés dans le monde entier. Depuis 1970, le musée d’Art contemporain de Zagreb conserve un important fonds de photographies remontant aux années 1920.

Du réalisme socialiste au street art

Pendant l’entre-deux-guerres, la Croatie connaît aussi les modes picturaux expressionnistes, cubistes, abstraits (Tartaglia, Šulentić, Gecan) mais les dogmes du réalisme socialiste des années 1950 ont freiné les développements de l’avant-garde. L'ère du réalisme socialiste des années 1950-1960 voit s'ériger nombre de statues de figures illustres ou populaires partout dans le pays. Parallèlement, avant et après la Seconde Guerre mondiale, une école d'art naïf est fondée à Koprivnica, un bourg à la frontière hongroise. La galerie Hlebine et le musée dédié à Zagreb présentent l'histoire de ces artistes ruraux, les pionniers Ivan Generalić, Franjo Mraz, Mirko Virius, la seconde génération, Dragan Gazi, Ivan Vecenaj, Mijo Kovačić, Franjo Filipović, Martin Mehke, Krsto Hegedušić, et le grand Ivan Generalić. Toute une tradition de peintres populaires qui ont créé un art régional, imagé, original.

Au début des années 1960 débute l’époque de la « seconde avant-garde » avec ses bouleversements conceptuels. L'abstraction lyrique d’Edo Murtić, les aplats colorés et craquelés de Drazen Grubišić, la peinture brute de Zlatko Keser, les installations avec sérigraphies d’Antun Maračić ou les nouvelles technologies du multimédia interrogent la place de l'art dans les galeries, le rôle de l'artiste dans la société. Peu, parmi eux, ont réussi à percer sur le marché international, excepté Zoran Mušič ou Andréa Andriya Filipovic. 

La photographie croate s’illustre encore aujourd’hui par le regard d’artistes contemporains comme Ivan Faktor qui travaille entre la photographie, la vidéo et la performance, et a notamment participé à la 46e Biennale de Venise en 1995, ou encore l’artiste conceptuel et actif sur la scène croate jusque très récemment Antun Maračić, mais aussi Boris Cvjetanović qui, avec Ana Opalić, a représenté la Croatie à la 50e Biennale de Venise en 2003. Mladen Stilinović est sans doute le plus connu de ces artistes à l’international car il est représenté par plusieurs galeries étrangères, notamment française. Il est un artiste multimédia très engagé politiquement qui utilise la photographie mais aussi toutes les techniques que les installations conceptuelles requièrent. Les instantanés de Pavo Urban, mort sous les bombes à Dubrovnik en 1991, alors qu'il exerçait son métier de reporter, sont saisissants. L’arrivée massive du numérique contribue à l’émergence sur la scène croate d’une nouvelle scène de très jeunes artistes photographes comme Bojan Mrdenović, Luka Kedzo, Davor Konjikušić ou encore Sinisa Glogoski.

Pour les amateurs de street art, la capitale compte de superbes murs signés Slaven Kosanović aka Lunar, né en 1975 à Zagreb, qui peint des fresques à la bombe depuis 1993, ou OKO (« l’œil » en français). 

Les graffeurs Morka, Dengan Skor, Mosk, Pejac sont originaires de la ville balnéaire de Rijeka, capitale européenne de la culture en 2020. À cette occasion, des manifestations culturelles sont au programme partout dans les rues et les musées.