Site de Salona ©  ansharphoto - Shutterstock.com .jpg
Basilique Euphrasienne de Porec ©  ansharphoto - Shutterstock.com.jpg
Le palais Sponza ©  Yana Georgieva - Shutterstock.com.jpg
Archives nationales de Zagreb © Ilija Ascic - Shutterstock.com.jpg
Cimetière de Mirogoj à Zagreb © anz-shop - Shutterstock.com.jpg
Le Salut du Soleil de Nikola Basic © .jpg

Trésors antiques

Pharos (actuelle Stari Grad) fut une puissante colonie grecque à partir de laquelle se diffusèrent les techniques urbanistiques hellènes. On peut encore y apercevoir des traces du cadastre grec dans la plaine environnante, classée au patrimoine mondial depuis 2008. Mais c’est surtout au savoir-faire romain que la Croatie doit son urbanisation. De l’Illyricum, riche province romaine, on peut encore admirer de superbes témoins, comme à Pula, qui regorge de monuments parfaitement conservés, tels son arc de triomphe des Serge (qui inspira les maîtres Michel-Ange et Andrea Palladio), son temple d’Auguste et surtout son amphithéâtre qui compte parmi les six plus vastes du monde. De nombreuses agglomérations croates, à commencer par Poreč et Zadar, se sont établies sur le plan en damier romain et leur decumanus est souvent resté leur artère principale. Routes, ponts, grandes exploitations agricoles, aqueducs et thermes comptent parmi les trésors laissés par les Romains que l’on peut admirer par exemple sur le site archéologique de Salona (Solin). Mais le témoin le plus impressionnant de cette présence romaine est bien sûr le palais de Dioclétien à Split qui, avec ses 38 000 m2, est le plus vaste édifice antique du pays. Ville dans la ville, il comprenait des appartements impériaux, des bâtiments militaires et religieux, des commerces, et son péristyle était le cœur névralgique de la cité.

À partir du IVe siècle, et malgré les persécutions lancées par Dioclétien, le culte chrétien se répand, notamment sur le littoral qui se couvre de centaines d’églises. Basiliques et cathédrales sont également construites dans la plupart des grandes villes romaines. À cette époque, l’Empire romain d’Occident est supplanté par celui d’Orient dont l’influence marque profondément l’architecture religieuse croate d’alors. Le plus beau chef-d’œuvre byzantin est sans conteste la basilique Euphrasienne de Poreč, dont on admire l’harmonie et la simplicité. Ce vaste complexe épiscopal réunit un baptistère et une basilique à trois nefs disposés autour d’un élégant atrium aux colonnades de marbre. Autre témoin étonnant de cette évolution vers la chrétienté : la cathédrale Saint-Domnius de Split érigée… sur l’ancien mausolée de Dioclétien, au cœur même de son palais !

Du Haut Moyen-Age à l’époque romane

Au carrefour des grandes puissances, la Croatie est convoitée par les deux grands empires carolingien et byzantin. Les Francs et leurs églises monumentales à triple abside se sont surtout implantés en Istrie et à l’intérieur des terres, comme en témoignent les vestiges de l’église du Saint-Sauveur à la source de Cétina. Les Byzantins, eux, sont davantage présents sur le littoral et dans les îles. Leurs édifices religieux se caractérisent par leurs rotondes comme à la Sainte-Trinité de Split. Parfois ces deux influences se rejoignent comme dans l’église Saint-Donat de Zadar. Son déambulatoire et ses trois absides sont de style carolingien, tandis que sa rotonde donnant accès à des annexes latérales est d’inspiration byzantine. À cette époque, les ordres monastiques se développent également et dotent le pays de nombreux monastères et oratoires.

La transition avec l’art roman se fait par le biais d’un style que l’on pourrait qualifier de « vieux croate », basé sur le réemploi de matériaux et techniques antiques et sur des savoir-faire locaux qui se traduisent notamment par de superbes décors de pierre ciselée et de mosaïque tout en entrelacs et volutes. À l’époque romane, on reconstruit les basiliques paléochrétiennes qui vont se parer de couleurs lombardes, toscanes ou vénitiennes. L’église Saint-Chrysogone de Zadar, avec sa superbe crypte et sa nef rythmée de colonnes et piliers à faisceaux, porte la marque toscane ; tandis que le campanile de Sainte-Marie, avec ses chapiteaux supportant des voûtes d’ogives, lui, est lombard. La cathédrale Saint-Laurent de Trogir est un des plus beaux chefs-d’œuvre de l’art roman, notamment grâce au portail sculpté par le grand sculpteur Radovan. Position stratégique, la côte adriatique est très convoitée, notamment par la puissante Venise qui va apposer sa marque dans de nombreuses villes qui connaissent un réel essor. Le lion de Saint-Marc décore alors les façades des édifices municipaux et autres loggias édifiés autour de places publiques.

Du gothique à la Renaissance

Le premier gothique apparaît dès le XIIIe siècle et trouve sa plus belle réalisation dans la cathédrale de Zagreb, reconstruite sur un plan qui rappelle celui de la cathédrale de Troyes. Les ordres monastiques – cistercien et franciscain notamment – participent à l’essor de ce style qui se lit tout particulièrement dans le portail de la cathédrale de Zadar et dans l’autel de la cathédrale Saint-Domnius de Split. À Porec, c’est une architecture gothique civile qui se développe. Parmi les plus beaux témoins, notons la Goticka Kuca, maison aux fenêtres à colonnes, la maison des Deux Saints, et surtout la place de la Nation avec son hôtel de ville dressé sur une élégante loge gothique.

La Renaissance, elle, est marquée par l’avènement d’une école dalmate d’architecture qui prône l’intégrité du matériau (pas de couleurs, même pierre utilisée à l’intérieur et à l’extérieur) et l’unité entre architecture et décor (qui doit être sculpté sur les éléments mêmes de la construction), tout en imaginant une nouvelle méthode d’assemblage innovante sans mortier. La construction de la cathédrale de Šibenik, démarrée à la période gothique, a été continuée selon ses principes par Georges le Dalmate (dont on peut admirer également l’incroyable cordon de 72 têtes sculptées) et achevée par Nicolas le Florentin (qui était déjà à l’origine du superbe portail aux Lions de style gothique fleuri). C’est à ce dernier que l’on doit également la chapelle du Bienheureux-Jean-de-Trogir et son incroyable ensemble sculptural. Ce mélange gothico-Renaissance est très visible au palais Sponza de Dubrovnik avec ses arcades et son fronton Renaissance et son premier étage au gothique flamboyant. Mais à Dubrovnik, les idéaux de la Renaissance vont surtout se lire dans les élégantes villas que se construisent nobles et marchands. Loin du tumulte de la ville, l’homme cultivé s’y retire pour y communier avec la nature très présente. Se développe, en effet, un véritable art des jardins. Clos par des murs, ils abritent des essences variées et constituent de véritables oasis de calme.

La Renaissance est aussi une période marquée par la pression constante de l’Empire ottoman qui convoite les terres croates. On construit alors de nombreuses forteresses selon des principes bien définis : plan carré avec tours cylindriques, murs plus épais et plus bas pour résister à l’artillerie, présence de plateformes pour supporter les canons. Ston se dote d’une des plus longues fortifications d’Europe (quarante tours, cinq forteresses). Mais l’une des plus remarquables architectures défensives est surtout à voir au château de Veliki-Tabor qui présente cinq tours semi-circulaires monumentales et trois étages d’arcades toscanes, ouverts sur une cour ovale.

La Croatie baroque

Art total, le baroque intervient autant sur l’architecture que sur l’urbanisme. C’est à cette époque que la cité fortifiée d’Osijek est créée de toutes pièces, à l’image des grandes places fortes de l’Empire austro-hongrois sous l’influence duquel se trouve désormais la Croatie. Dubrovnik porte également la marque du baroque. Touchée par un séisme en 1667, ses palais gothiques et Renaissance sont remplacés par des créations baroques, comme sur le Stradun (« grand-rue » en vénitien) dont on peut admirer l’unité architecturale avec ses façades de calcaire blanc. Le baroque va être très largement diffusé par les Jésuites, alors en pleine bataille de la contre-Réforme. Pour construire leurs édifices, ils font appel à des artistes italiens ou autrichiens qui apposent leur marque comme dans la cathédrale Sainte-Catherine de Zagreb ou la cathédrale de l’Assomption de Varaždin, ville considérée comme la capitale du baroque. Stucs, sculptures dorées et colonnes torses y sont utilisés en abondance. À Dubrovnik, l’Italien Andrea Pozzo érige l’église Saint-Ignace, l’un des plus beaux complexes baroques de la côte. Les églises de pèlerinage se développent également, comme l’église Sainte-Marie-de-Jérusalem à Trški Vrh. Son clocher, avec ses nombreux décrochements et son bulbe tout en mouvement, ainsi que sa nef monumentale et ses coupoles en font un chef-d’œuvre du baroque. Les savants jeux de lignes convexes et concaves sont l’une des grandes caractéristiques de ce style.

Du néoclassicisme au modernisme

Le XIXe siècle marque un renouveau urbanistique en Croatie. De nombreuses fortifications sont démantelées et remplacées par des promenades et jardins, tandis que les cœurs des villes se dotent de nouveaux édifices municipaux et culturels. C’est le cas notamment à Zagreb où l’on construit la ville basse, qui s’organise autour du « fer à cheval » de Milan Lenuci, une suite d’espaces verts en forme de U, jalonnée d’édifices publics imposants tels le Théâtre national et l’Académie croate des arts et des sciences. Cette transformation urbaine s’accompagne d’un puissant courant historiciste qui se traduit par l’apparition de styles « néo ». Le néoclassique est porté par l’architecte Bartol Felbinger, à qui l’on doit de nombreux hôtels particuliers et le palais du baron Vrkljan à Janusevec, près de Zagreb, dont on admire la façade décorée d’atlantes et la vaste loggia sur colonnes. Herman Bollé, lui, va développer un style éclectique, dont le cimetière de Mirogoj à Zagreb est le chef-d’œuvre. Fruit de l’urbanisme moderne et d’un style néo-Renaissance, il impressionne par ses dimensions monumentales, son enceinte pensée tel un rempart et son intérieur peuplé d’arcs cintrés et de colonnes qui se déploient à l’infini.

Le début du XXe siècle sera marqué par la Sécession viennoise. Version autrichienne de l’Art nouveau, ce style est marqué par un recours plus systématique aux formes géométriques. Parmi les grandes réalisations de style Sécession : les immeubles de l’avenue de l’Europe à Osijek, dont le cinéma Urania avec ses motifs géométriques floraux, et surtout le fonctionnel mais richement décoré bâtiment des Archives nationales à Zagreb, conçu par Rudolf Lubynski. Viktor Kovačić, disciple du Viennois Otto Wagner (célèbre pour son usage des lignes épurées et des volumes géométriques), proche du style Sécession, va progressivement glisser vers le modernisme. Rompant avec l’historicisme du siècle précédent, il prône une architecture fonctionnelle et s’intéresse aux nouveaux matériaux de construction comme le béton armé, comme en témoignent les formes pures de la Bourse de Zagreb. Mais les témoins les plus marquants de ce courant moderniste sont les villas Pferferrmann et Krauss, construites dans les années 1930. La première avec ses surfaces lisses et son toit rectiligne est caractéristique du fonctionnalisme radical. La seconde, largement influencée par l’œuvre de Le Corbusier, placée sur ses étroits piliers, semble comme en lévitation.

Depuis 1945

Au sortir de la guerre, les architectes de l’école de Zagreb tentent de faire la synthèse entre les courants fonctionnalistes et organiques, créant une architecture croate fondée sur une expression personnelle forte. Mais il est difficile de sortir des lourds codes formels et collectivistes du socialisme. Le musée d'Art contemporain de Zagreb, de l'architecte Igor Franić (1954), fut l'un des rares grands projets publics réalisés durant cette période. Dans les années 1960, Novi Zagreb sort de terre. La création de cette ville nouvelle a été largement influencée par les principes modernistes de Le Corbusier.

Aujourd’hui, une nouvelle scène architecturale croate se dessine. Cherchant à briser le carcan formel des décennies précédentes, elle n’en garde pas moins un profond attachement pour le passé, qu’elle réinvente au gré d’œuvres novatrices et souvent très minimalistes. Le chef de fil de cette nouvelle scène est Nikola Bašić, originaire de Zadar. Toute son œuvre est liée à la mémoire de la nation et au respect du patrimoine et de l’environnement. Ses maîtres mots : continuité, contextualité et communication. Dans toutes ses créations, il utilise ainsi la pierre blanche, si indissociable de l’histoire du pays (les célèbres carrières de calcaire blanc de Brač sont utilisées depuis l’Antiquité). C’est à lui que l’on doit la chapelle Notre-Dame-du-Carmel à Okit, dont le minimalisme fait directement référence aux églises paléochrétiennes. On lui doit également le champ de croix sur l’île de Kornat, hommage aux soldats du feu qui ont péri lors de la « tragédie des Kornati » en 2007. Ces croix, de 25 m de long et 15 m de large, ont été construites de mains d’homme, sans machinerie, selon les techniques traditionnelles des murs en pierres sèches. Mais sa plus belle réalisation reste l’aménagement du port de Zadar. Il y a conçu deux installations urbaines uniques au monde. D'un côté, Les Orgues maritimes fonctionnent grâce à des tubes logés sous les marches monumentales et qui produisent une musique variant au gré des changements d’intensité des mouvements de la mer. De l'autre, Le Salut au Soleil utilise l'énergie solaire pour animer un cercle au sol, de 22 m de diamètre. La nuit tombée, le cercle renvoie un jeu de faisceaux lumineux aux multiples couleurs. Un bel ouvrage chromatique et écologique ! L’agence d’architecture 3HLD, basée à Zagreb, est également très prolifique. On lui doit le Memorial Bridge de Rijek, promenade piétonne symbolisant le chemin de la nation vers l’indépendance ; mais aussi la V2 House, superbe villa conçue pour maximiser les ouvertures sur l’océan, l’aquarium d'eau douce de Karlovac quasiment enfoui dans l'herbe, ou bien encore l'aménagement élégant du bord de mer à Rovinj. Autre villa étonnante à ne pas manquer, la villa Gumno à Krk. Géométrique et minimaliste, elle impressionne notamment par son étonnante terrasse tout en angles surplombant l’entrée de la maison. On peut citer également la villa Issa Megaron de l’agence PROARH pour son originalité. Cette résidence de béton se fond littéralement dans les collines de l’île de Vis, incrustée dans les anciens murs de pierres. Ses toits et terrasses ont été recouverts de pierres et de plantes pour parfaire le camouflage. Une maison qui n’est pas sans rappeler certains habitats primitifs.

Une architecture contemporaine qui souligne les richesses du passé et ouvre aussi résolument le pays vers l’avenir !