18_part_156466.JPG
iStock-1018066820.jpg
Village tata somba © Cora Unk Photo - Shutterstock.com.jpg

Architecture royale et rituelle

Dans l’histoire du Royaume du Dahomey, la dynastie des Rois d’Abomey occupe une place particulière. De 1625 à 1900, 12 rois se succédèrent à la tête du royaume, chacun se construisant un palais fortifié. Désormais classés au Patrimoine mondial de l’Unesco, ces palais se comptent au nombre de 10, certains édifices s’étant superposés à d’autres. Le site de 47 ha est une véritable ode à la puissance et à la solidité de l’architecture de terre aux belles teintes ocrées. A l’intérieur de ce site fortifié, chaque palais, établi sur un seul niveau et rehaussé de bas-reliefs, est lui-même ceint de murailles et s’organise autour de 3 cours (extérieure, intérieure, privée). Le passage de l’une à l’autre se fait via d’étonnants portails construits à cheval sur les murs d’enceinte principaux, dans un jeu d’imbrication illustrant le précepte édicté par le grand Houegbadja, fondateur de la cité royale : « Que le Royaume soit toujours fait plus grand ». En plus des palais, le site abrite des édifices au pouvoir sacré : le djexo, la case abritant l’esprit du roi, et l’adoxo, la tombe du roi. Dakodonou, le second roi de la Dynastie d’Abomey, est également célèbre pour avoir fait construire d’étonnantes caves aux formes géométriques variées creusées 10 m sous terre. Découvert en 1998, le site est officiellement appelé « village souterrain d’Agongointo Zoungoudo », mais les Béninois l’appellent communément ahouando, littéralement « trous de guerre ».

Porto-Novo, elle, abrite les vestiges des palais d’une autre dynastie, celle des Rois du Hogbonou, dont subsiste notamment le Palais des Initiations. La ville est également riche d’un patrimoine véritablement unique, celui de la culture vodoun (ou vaudou en français). Les places vodoun sont des lieux cérémoniels et identitaires forts. Au centre se trouve toujours un arbre fétiche, tandis qu’autour se déploient le couvent (lieu de formation des initiés) et des cases abritant les divinités, tout ceci étant réalisé en terre de couleur ocrée sur laquelle sont apposés des motifs décoratifs géométriques ou figuratifs, y compris sur les murs d’enceinte. L’ensemble est protégé par un legba, monticule de terre de forme humaine à qui l’on fait des offrandes. Sur près de 40 places recensées dans la ville, 8 seulement ont été restaurées depuis 2015... Mais le plus étonnant site vodoun du Bénin se trouve à Ouidah. Il s’agit du Temple des Pythons. Un temple vodoun se compose généralement d’une cour ou d’un péristyle accessible au public où se déroulent les cérémonies et les sacrifices, et d’un couvent en forme de petite hutte pointue contenant l’autel et abritant l’esprit de la divinité où seuls les initiés sont conviés. Ici, la première cour renferme un bâtiment en forme de cône tronqué abritant les pythons, de même qu’une case ronde au toit de chaume et un bâtiment de terre au toit de tôle ondulée abritant les divinités protectrices, tandis que la seconde cour est clôturée d’une enceinte de ciment peinte en rose. La tradition des fresques et peintures murales aux couleurs vives et aux étonnants pictogrammes est très répandue dans la culture vodoun. Une culture qui confère à l’habitat une dimension quasi spirituelle, transformant les maisons individuelles en véritables sanctuaires. C’est là, au cœur de l’intimité des foyers, que se déploie toute la diversité de cette culture, qu’il s’agisse de petits autels modestes faits de bric et de broc, ou d’étonnants bâtiments à étages se déployant dans de grandes cours et pièces funéraires carrelées pour les familles les plus aisées.

Période coloniale

L’histoire du Bénin est indissociable de celle de l’esclavage. Le pays a donc décidé de mettre en lumière « les sites marquants de la route de l’esclave au Bénin », notamment dans les départements du Zou, des Collines, du Plateau et de l’Atlantique, qu’il s’agisse de forts (comme le Fort Saint-Jean-Baptiste-d’Ajuda, fort portugais avec ses entrepôts d’esclaves), de lieux de rassemblement et de tri des esclaves (comme la Place Singbodji à Abomey), ou de lieux de refuge et de résistance contre les razzias menées par les Rois du Dahomey (comme le site de Yaka à Dassa-Zoumé avec les Grottes du Roi et de la Reine, les remparts végétaux, les tours de guet, et le temple érigé en l’honneur de divinités protectrices). Une visite émouvante et nécessaire. Cette période est également marquée par une intéressante évolution des styles architecturaux. A Ouidah notamment, les premiers négociants portugais ont érigé un certain nombre de constructions reconnaissables à leur galerie extérieure couverte, au badigeonnage des murs extérieurs et intérieurs et à la présence de moulures en stuc encadrant l’entrée. Pour réaliser leurs constructions, ces marchands importaient les matériaux de leurs colonies au Brésil, notamment la pierre et la brique cuite qui étaient ensuite liées par un mortier réalisé à partir de la cuisson de coquillages. Pour accroître la taille et la solidité des charpentes, ils importaient également du Brésil des bois extrêmement résistants.

En parallèle de ces demeures pour le moins fastueuses, ils ont aussi développé une architecture plus modeste, en terre, semblable à l’architecture locale. Mais dans tous les cas, ces commerçants « possédaient » des « esclaves de case » qui logeaient dans des constructions en terre au toit en paille ou en feuilles de palmier séchées et séparées du reste de l’habitation par une enceinte.

Puis, sous l’impulsion des commerçants, autant que des anciens esclaves des colonies brésiliennes revenus au Bénin, s’est développée, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, une architecture dite afro-brésilienne. Entrepôts pour stocker les marchandises, maisons de commerce avec le rez-de-chaussée réservé à la boutique et l’étage aux habitations, ou maisons purement résidentielles placées au cœur d’une parcelle délimitée par une enceinte et s’inspirant de l’architecture des grandes propriétés du Brésil… les réalisations afro-brésiliennes sont multiples. Parmi leurs caractéristiques phares, notons : utilisation quasi systématique de la brique de terre cuite pour les murs ou emploi d’une charpente à piliers sur lesquels sont ensuite fixés des panneaux de bois, murs protégés par un crépi, fondations en brique ou en pierre, architecture compacte compensée par de grandes ouvertures et présence de combles pour créer un vide d’air et donc une aération permanente, galerie en façade, jalousies ou volets ajourés. Mais ce qui rend cette architecture afro-brésilienne véritablement unique est le soin apporté à la décoration, que beaucoup décrivent comme la rencontre de l’effervescence du baroque et de la richesse du savoir-faire local. Emphase des décors de plâtre, éclat des couleurs vives des badigeons de chaux, jeux sur horizontalité et verticalité, formes géométriques ou symboliques, courbes, volutes, colonnades, surlignage des ouvertures par des moulures de stucs blanches ou colorées, jeux d’arcatures animant la façade, peintures, fresques et bas-reliefs, et attention donnée au portail avec ses frontons, linteaux et pinacles colorés… tout n’est que foisonnement décoratif.

Parmi les édifices les plus étonnants de ce style, notons : la Villa Avajon de Ouidah ; et surtout la Grande Mosquée de Porto-Novo, inspirée d’une mosquée afro-brésilienne nigériane, elle-même inspirée de l’église de San Salvador de Bahia ! Voyez ses porches moulurés, arqués et décorés de fleurs, ses corniches et pilastres, ses tours et, à l’intérieur, sa sublime voûte étoilée. Porto-Novo abrite également des centaines de demeures afro-brésiliennes… qui sont pour la plupart dans un terrible état de délabrement. En 2008, la mairie a réhabilité une première maison, puis trois autres en 2020, dont une qui accueillera un musée du patrimoine afro-brésilien… mais de nombreux habitants lancent aujourd’hui un appel pour sensibiliser les héritiers de ces demeures et les pousser à en réaliser l’indispensable restauration. Pour leurs édifices publics, les colons français, eux, ont privilégié une architecture résolument européenne, passant du néoclassicisme, à l’éclectisme historicisant, avant de faire place aux lignes plus modernes de l’Art déco ou du fonctionnalisme. Enfin, cette période coloniale est également marquée par le rôle joué par les missionnaires catholiques qui ont établi missions, séminaires, églises et basiliques, transposant au Bénin une architecture religieuse typiquement européenne, comme en témoignent la Basilique Notre-Dame de l’Immaculée Conception de Ouidah, édifice néogothique aux grandes baies géminées éclairant un imposant vaisseau central de 58 m de long et 14 m de large ; et la Cathédrale Notre-Dame-de-la Miséricorde de Cotonou à la façade couverte de carreaux de céramique formant une alternance de bandes blanches et rouges.

Richesse vernaculaire

2022 sera l’année du grand verdict… le Bénin saura si la demande d’extension de l’inscription du Koutammakou sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco sera acceptée ! Le riche patrimoine des Batammariba, déjà classé au Togo, s’étend en effet au-delà de la frontière, au nord-ouest du Bénin… le pays espère donc pouvoir en faire un atout culturel ! Le nom même de ce grand peuple signifie « ceux qui façonnent la terre », « les bons maçons ». Le panthéon spirituel des Batammariba est régi par Kuiye, grande figure solaire et tutélaire et architecte suprême qui est connu pour s’être construit une Tata Somba ou maison fortifiée dans son village solaire à l’ouest du Ciel. Sur Terre, son peuple en reproduit toutes les caractéristiques (les maisons sont toujours orientées à l’ouest) dans une architecture mêlant savoir-faire, technicité et spiritualité. Les matériaux utilisés pour construire ces authentiques châteaux sont la terre crue (banco), l’argile, le sable, le bois, la pierre, la paille de millet et l’eau pour façonner la terre. Ces maisons, tourelles arrondies à deux étages, avec des toits plats ou au contraire coniques et en chaume, s’organisent en village comprenant également des espaces cérémoniels, des sources et rochers sacrés et des sites réservés aux rites initiatiques. De l’extérieur, ces maisons fortifiées sont quasiment aveugles, n’offrant que de rares petites ouvertures permettant de voir sans être vu et de tirer des flèches sur d’éventuels assaillants. Le peuple Zarma élabore, lui aussi, des villages protégés par des enceintes fortifiées où se déploient des habitations rondes ou rectangulaires, réalisées en brique de boue et surmontées d’un toit de chaume. Les éleveurs peuls imaginent, eux, des maisons mobiles en forme de dômes réalisées en tiges de mil ou nattes de roseau selon la saison… même si beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui contraints de se sédentariser.

Mais l’habitat vernaculaire le plus célèbre au Bénin reste sans aucun doute celui des villages lacustres qui se sont développés depuis quatre siècles sur le Lac Nokoué. Ces lieux de refuge pour les esclaves fuyant les razzias se sont progressivement développés en d’authentiques petites villes sur l’eau. On peut y voir trois types de cases : le Kiho, avec une toiture en feuilles de palmier raphia ; le Sansanho, case couverte de paille (la plus répandue) ; et le Ganho, avec une toiture en tôle ondulée. Dans les deux premiers types de cases, planchers et parois verticales sont remplis de tiges et de branchages appelés Hoba et Hounkpa. Ces constructions ont une durée de vie de 15 ans en moyenne. A Ganvié, les pêcheurs créent même des parcs à poissons en poteaux de bambou et branchages dont le pourrissement progressif attire les poissons qui viennent s’y nourrir et s’y reproduire ! A Lowe, hameau semi-lacustre de la Vallée de l’Ouémé, les habitants remplacent progressivement le bois et le bambou par du béton. Si dans ce village, son utilisation se fait encore raisonnée, ce n’est pas le cas dans la banlieue de Cotonou par exemple, où se multiplient les constructions de béton dans des zones inondables… Parpaing et tôle ondulée sont également monnaie courante dans les concessions en ville, ces terrains clos regroupant autour d’une cour un ensemble d’habitations occupées par une même famille.

Architecture contemporaine

Comme de nombreux autres pays africains, le Bénin a connu une très forte croissance urbaine difficile à juguler, voyant se greffer aux quartiers coloniaux « à l’Européenne », des zones d’habitations précaires, souvent sans eau ni électricité, créant une ségrégation spatiale très forte. En parallèle, se sont aussi développés de nombreux immeubles et les premiers gratte-ciel, notamment à Cotonou, dont le BCEAO Building, avec ses 57 m, est le plus haut. Mais face à cette occidentalisation de l’architecture, certains ont fait le choix de lier tradition et modernité, comme avec le Palais des Congrès de Cotonou dont la structure s’inspire des Tata Somba du peuple Batammariba. Le Palais a d’ailleurs fait l’objet d’un vaste plan de réhabilitation achevé en 2020.

En 2021, le gouvernement a également lancé une vaste campagne d’investissements destinés à financer de nouvelles routes, la rénovation de l’aéroport international, ainsi que la création de grands centres maritimes et industriels. Avec le projet « Bénin révélé », le pays s’est aussi lancé dans de vastes projets culturels, comme la redynamisation de la ville de Ouidah avec la restauration du Fort Portugais, et surtout la construction du Musée International de la Mémoire de l’Esclavage qui se composera notamment d’un jardin du souvenir et d’une réplique d’un navire négrier. Ouverture prévue fin 2022. Autre musée phare très attendu, le Musée des Amazones et des Rois du Dahomey qui se dévoilera en juillet 2024 en plein cœur du site des Palais Royaux d’Abomey. Il s’agit d’un projet mené par l’architecte franco-camerounaise Françoise N’Thépé qui a souhaité travailler avec des artisans locaux pour sublimer l’architecture de terre crue. Autre projet très attendu, celui de l’Assemblée nationale du Bénin imaginé par l’architecte burkinabé Diébédo Francis Kéré, récipiendaire du prestigieux Prix Pritzker 2022 (le Nobel d’architecture), qui s’est ici inspiré de l’arbre à palabres sous lequel, dans la tradition africaine, les décisions concernant la communauté sont prises. Plus grand projet de l’architecte à ce jour, l’édifice mettra en valeur une architecture profondément ancrée dans l’esprit du lieu et durable, soulignée par des lignes et des volumes élégants et élancés. Certains architectes imaginent, eux, des projets plus modestes mais toujours en lien avec la communauté, à l’image de Habib Mémé, fondateur de l’ONG « L’Atelier des Griots » qui regroupe architectes, urbanistes, dessinateurs et habitants, tous ardents défenseurs d’une architecture locale, pratique et écologique. Se basant sur les savoir-faire vernaculaires, privilégiant le recyclage des matériaux, imaginant des ateliers créatifs et participatifs, l’ONG dessine des projets pensés par et pour tous, comme celui de la Maison des Jeunes du quartier d’Akpakpa-Dodomey à Cotonou.