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Au départ, des « culs par terre » informels

Ils sont nés au début des années 1950 à l’initiative des mères de famille ghanéennes, relayées par les femmes baoulé. Basés sur un échange de bons procédés, les maquis se présentaient à l’origine comme des espaces d’accueil visant à recréer un semblant de cour familiale pour les ouvriers venus de toute la sous-région, à une époque où la Côte d’Ivoire drainait une main-d’œuvre importante.  Les mères de famille qui géraient ces cantines populaires en retiraient un complément financier leur permettant d’augmenter le budget consacré à la maisonnée.

Ces petites gargotes, que l’on appelait autrefois « culs par terre », appartenaient au départ au secteur informel. Gérés de façon familiale et privée, ces petits restaurants fonctionnaient souvent dans l’illégalité la plus totale. Il s’agissait en effet d’écouler de la viande de brousse et de l’alcool local à l’abri du fisc et des contrôleurs de qualité, d’où l’appellation « maquis » (une autre interprétation explique l’origine de ce terme par le fait que sous le Parti unique, les membres de l’opposition « prenaient le maquis » et se retrouvaient dans ces lieux pour échanger et débattre de politique).

Les différents types de maquis

Les maquis se présentent comme des espaces aménagés donnant le plus souvent sur la rue, où les gens peuvent se restaurer et boire un verre en regardant la télévision ou en écoutant de la musique autour de tables simples le plus souvent armées d’une foule de chaise en plastique. Lieux incontournables de la vie ivoirienne populaire, ils proposent en outre toute une variété de plats et de boissons locaux à des prix défiant toute concurrence. La période de récession de la fin des années 1980 (connue sous le nom de « conjoncture ») qui a suivi le miracle ivoirien, peut également expliquer le succès grandissant que connurent alors les maquis, dont le principal atout, outre la convivialité et l’ambiance qui y régnaient, était de proposer à des prix plus qu’abordables une bonne synthèse des plats typiques de la gastronomie ivoirienne.
Avec le temps, certaines cantines sans prétention sont devenues de véritables réceptifs gastronomiques qui rivalisent parfois avec les meilleures tables pour la qualité de l’assiette. Espace démocratique par excellence, on y croise aussi bien l’ouvrier que l’homme d’affaires venu traiter d’importants dossiers. Le maquis se décline aujourd’hui en de multiples variantes : qui va du « maquis-cour » d’origine, généralement réservé aux connaisseurs et habitués, au maquis « cul-par terre » et au kiosque où l’on se sustente à la sauvette, en passant par le maquis itinérant, avec ses braiseuses à l’affût du travailleur de chantier, jusqu’au « maquis-ministre », plus chic. Leur popularité en fait même un système alternatif pour se repérer en ville, en l'absence d’un marquage urbain de noms de rue efficace.

Les 1 000 maquis de fête à Marcory

Le maquis festif est appelé l’ « hyper », modèle au-dessus des autres avec ses flots de décibels tonitruants, ses DJ et physio-videurs, comme ceux que l’on trouve rue des Mille maquis à Marcory. Si dans les années 2000 la rue princesse à Yopougon était la plus en vue, celle-ci a été détruite en 2011 pour travaux d’assainissement. D’autres coins plus en vogue ont pris le relais. Marcory est particulièrement prisée des Abidjanais et les amateurs d’authenticité aujourd’hui. Quartier très important dans la culture musicale moderne ivoirienne, il a servi de point de départ à plusieurs artistes de coupé-décalé. Les touristes optent en général pour la Zone 4, qui regroupe une grande quantité de restaurants, bars et boîtes à la mode (plus de 70 sur un carré d’à peine 1 km de côté !).

Maquis, mode d’emploi

Il n’est peut-être pas nécessaire de le préciser, mais on vous le dit quand même pour le cas où ce serait votre première fois en Afrique : n’y allez pas dans l’état d’esprit d’un inspecteur HSE. Ces petits établissements populaires qui poussent comme des champignons un peu partout offrent généralement un confort et une hygiène rudimentaires. Cours ou terrain sablonneux, chaises et tables en plastique ou en bois, éventuellement agrémentées d’une nappe en toile cirée. Avant de vous servir votre plat, on vous apportera la plupart du temps un seau d’eau afin que vous puissiez vous rincer les doigts. Celui-ci attend bien sagement par terre à vos côtés et, complété d’un petit sachet de lessive Omo ou Nil, se révélera bien utile pour le dégraissage de phalanges post-ripaille.

En général au maquis, on mange des plats cuisinés à la demande : le temps d’attente peut être assez long et varie en fonction du plat choisi. Les grillades et braisés sont beaucoup plus longs à préparer que les sauces (graine, arachide, feuille, etc.). Un gourmand averti en vaut deux. Téléphonez une demi-heure à l’avance pour passer votre commande peut s’avérer efficace. Une fois sur place, vous n’avez plus qu’à mettre les pieds sous la table et attendre que vos plats arrivent en savourant une petite bière bien fraîche histoire de vous mettre en appétit.

Que mange-t-on dans les maquis ?

Il arrive qu’il y ait une nette différence entre la carte, qui propose un large choix de plats et l’offre réelle, nettement plus restreinte. L’usage voudrait que le staff de salle fasse le point avec la cuisine de ce qui est disponible ou non avant le service, mais ce n’est pas encore une pratique très répandue en Côte d’Ivoire, donc ne vous étonnez pas si le serveur revient vers vous tout penaud quelques minutes après que vous avez passé commande, pour vous signifier que le plat que vous avez choisi n’est pas ou plus disponible ce jour. Idem pour ce qui est des ingrédients de certains plats, dont beaucoup de serveurs ne seront pas au fait si vous leur posez la question (« Si vous voulez bien patienter, je vais me renseigner en cuisine »).

Les spécialités ivoiriennes. Les brochettes de viandes ou de poisson, les plats braisés, ou encore les soupes de poisson (avec crabe, et fruits de mer). Chaque adresse a ses spécialités.

L’Alloko. Certains maquis sont d’ailleurs voisins des « allocodromes », véritable institution de l’alloco (bananes plantains frites). Le plus connu à Abidjan est l’allocodrome de Cocody.

 L’attiéké. Ou semoule de manioc, spécialité de la basse côte ivoirienne. Dans les maquis et chez les braiseuses, on l’achète traditionnellement sous la forme de petits sachets plastiques, « boules » de 100 grammes vendues 100 FCFA l’unité, d’où la fréquente question : « Tu veux l’attiéké pour combien ? »

Viande(s) de brousse. Les gibiers rattachés à cette catégorie sont généralement braconnés en brousse : cela va du populaire agouti, dont la chair est très prisée des Ivoiriens et qui se cuisine à peu près à toutes les sauces, à la biche (terme générique utilisé pour tous types d’antilopes) et au serpent, en passant par le phacochère, le porc-épic (que l’on appelle ici hérisson) ou encore le tatou, la chauve-souris, le pangolin et même le chimpanzé. Officiellement bannie des assiettes et cuisines ivoiriennes en septembre 2014 à cause du virus Ebola, la venaison a opéré un retour fracassant dans les maquis en septembre 2016, avec la levée de « l’embargo » ayant frappé la viande de brousse pendant deux ans. Comme quoi le bonheur des uns fait le malheur des autres : pour le gibier, dont la chasse est censée avoir été interdite par un arrêté promulgué en... 1974, le répit aura sans doute été de trop courte durée… L’arrivée de la covid-19 a encouragé l’État à promulguer à nouveau « l’interdiction stricte » de consommation de viande de brousse en mars 2020, le pangolin étant un réservoir du virus et circulant sur les étals de marchés ivoiriens.

Les maquis, « institutions » pour manger à Abidjan

Certains maquis sont loin d’être des petits bars pour descendre une bière bien fraîche en papotant. Ce sont de véritables tables culinaires de référence pour goûter une cuisine ivoirienne authentique, où les brochettes et les plats à la braise sont légion.

Chez Ambroise - Marcory Centre. On vient ici déguster « les meilleures brochettes d'Abidjan », bœuf, mérou, escargots, poisson ou poulet braisé avec attiéké, frites d'ignames ou d'alloco. Braiseurs survoltés, spectacles de danses folkloriques touristiques animent les lieux.

Maquis du val - Cocody Ambassades. Spécialités ivoiriennes, africaines, européennes, et plats-signature maison comme le riz aux olives, le garba du Val et les brochettes de mérou figurent sur l'alléchante carte de cet établissement incontournable prisé à la fois des locaux et des expatriés.

Maquis Sole Plus - Treichville Arras. Jamais vous n’avez mangé pareilles soles : énormes, dotées d’une chair fondante et savoureuse à souhait, qu’elle soit grillée ou braisée, le tout accompagné de la traditionnelle salade oignons-tomates et des garnitures de votre choix (alloco, attiéké, igname, etc.).

Le débarcadère - Treichville lagune. Un cadre bucolique particulièrement magique au coucher du soleil et la nuit. En bord de lagune dans un jardin luxuriant et coloré, il offre l’une des plus belles vues de la ville. Au menu grillades et brochettes aux sauces et kédjénous, salades et plats français

Chez Ernest - Cocody Anono. Dans ce petit établissement sans prétention, vous pourrez savourer un bœuf fondant, parfaitement cuit et délicieusement assaisonné, accompagné de frites, riz ou autre, ainsi que de grandes et belles salades servies avec une succulente vinaigrette. 

Chez Tantie Alice - Marcory Poto Poto. Chez la VM (la Vieille Mère) Tantie Alice, on déguste d'excellents poissons, crabes, crevettes frits, cuits au four ou préparés en soupe, accompagnés de bon alloco et d'attiéké du pays, ou encore de spécialités régionales comme l'akassa ou l’ablo.

Chez Arthur - Marcory centre. La table est très prisée à Abidjan ! La spécialité ici : l’assiette du pêcheur (soupe de poisson, escargots, calamars, écrevisses et crabes), avec attiéké nature ou à l'huile rouge, l'étouffé de mâchoiron et la queue de bœuf braisée.

Chez Miss Zahui - Cocody Riviera Palmeraie. Miss Zahui fait office de référence abidjanaise en matière de préparation du poisson, particulièrement le très populaire poisson grillé-attiéké-alloco, sa spécialité. L’endroit étant très couru et souvent bondé.