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Masques ivoiriens traditionnels. shutterstock - Mltz.jpg
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Premiers pas

L'art contemporain ivoirien commence avec la colonisation. D'abord issu de l'académisme occidental, et plus particulièrement français, il s'émancipe au début des années 1950 grâce à la prise de conscience panafricaine impulsée par le mouvement de la Négritude. Parmi les pionniers de l'art moderne ivoirien figure le sculpteur Christian Lattier, dont les compositions cordées défraient la chronique en bousculant les conventions de la sculpture traditionnelle. Délaissant les habituels matériaux nobles pour du fil de fer et des ficelles, il se détache de l'héritage des ancêtres et de celui des Blancs, dans une pratique qu'il baptise « expérience sculpturale ». Surnommé « l'Arbre tutélaire », le peintre Michel Kodjo est le premier artiste ivoirien à exposer seul à l'Hôtel de Ville d'Abidjan, trois ans avant l'indépendance du pays. Ses œuvres, qui incarnent la fusion de l'art traditionnel et contemporain, seront notamment exposées à Paris, New York et Francfort.

Souffle d’indépendance

Peu après l'indépendance, la jeune Côte d'Ivoire s’empresse de constituer une culture nationale forte pour se hisser sur la scène internationale. L'accent est mis sur la formation. La fondation de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts d'Abidjan est confiée en 1961 au sculpteur Marcel Homs. Christian Lattier et le céramiste Yao Dogo sont les premiers artistes ivoiriens à intégrer le corps professoral. L'école accueillera les futurs grands noms de l'art ivoirien, dont le groupe d'étudiants à l'origine du Vohou Vohou, courant basé sur une remise en cause des canons esthétiques importés de France.

Peintres naïfs

Le futur Conservatoire régional des arts et métiers d'Abengourou est à l'origine d'un important courant de l'art contemporain ivoirien : les naïfs. Leurs tableaux, concentrés de fraîcheur et d'innocence, livrent un art immédiatement lisible qui ne se prend pas au sérieux. Peinture des petits riens dont l'extension hyper-démocratique trouve son inspiration jusque dans la rue, elle a l'avantage de parler à tout le monde, ce qui explique que les naïfs soient si populaires en Côte d'Ivoire. Parmi ses illustres représentants, Augustin Kassi, connu pour ses Ivoiriennes opulentes et ses scènes de marché ; Camille Kouakou, ses couleurs douces-acidulées et sa vertigineuse profusion de détails, et l'un des maîtres incontestés du genre, Idrissa Diarra, dont l'œuvre prolifique se caractérise par une remarquable complexité architecturale et une extraordinaire pureté du trait et des couleurs.

Vohou-Vohou

Ce courant déterminant de l'art ivoirien naît en 1985 avec l'exposition-manifeste organisée au Centre culturel français par de jeunes peintres « dissidents ». Vohou Vohou, « n'importe quoi » en dialecte, se présente comme un art de la récup’, de l'empiècement et du collage sur châssis de matériaux hétéroclites mettant à l'honneur les richesses naturelles du terroir ivoirien : tapas (écorce de bois battue), cauris, rotin, sable, colle, plumes, arêtes de poisson... En rejetant le matériel onéreux importé de France pour lui substituer une matière première locale, les membres du Vohou Vohou entendent promouvoir une esthétique purement africaine libérée de l'académisme, ouvrant ainsi la voie à une liberté créatrice qui débouchera sur l'art abstrait.

Cavaliers solitaires

On distingue quelques beaux parcours individuels, comme ceux de Jacques Samir Stenka et Ouattara Watts. Originaire de Bingerville, Stenka se considère comme un mystique abstrait et a à son actif plus de 25 000 toiles, dont certaines ont rejoint le fonds muséal du quai Branly. Premier peintre africain à intégrer les Beaux-Arts de Paris, il met en scène les personnages stylisés d'une cosmogonie personnelle où figurent en bonne place la femme et les ancêtres égyptiens. Son langage pictural serait le fruit d'un voyage dans l'au-delà à travers les grandes civilisations perdues, marquées de façon indélébile par l'homme noir. Passeur de messages de « l'Autre-Monde », son langage a été qualifié de « médiationnisme ». De son côté, Ouattara Watts est le plus américain des artistes ivoiriens. Initié par son grand-père guérisseur aux mystères de la nature et du cosmos, le peintre est une légende parce qu'il a contribué à ouvrir les portes des galeries aux artistes noirs, mais aussi pour son amitié avec Jean-Michel Basquiat, qui l'a convaincu de tenter sa chance à New York. Ses toiles-sculptures, imposantes et rythmiques, interrogent sa relation au monde dans un entrelacs de symboles cryptiques, matériaux et objets chinés, parés de couleurs sombres ou lumineuses. Sans nier son héritage africain, l'artiste-plasticien l’enrichit des « ailleurs » et des « autres » qui l’inspirent.

Personnalité incontournable de l'art contemporain et passeur de la sagesse du continent, Frédéric Bruly-Bouabré (1921-2014) échappe à toute classification et se pose en monument du patrimoine national toutes catégories confondues. Avec Ouattara Watts, il fait partie des artistes ivoiriens les mieux cotés depuis plus d'un quart de siècle. À l’écoute de ses impulsions, cet autodidacte inscrit son art dans une démarche néanmoins intellectuelle et philosophique. À la fois dessinateur, scribe, philosophe et poète mystique, Bouabré est le génial inventeur d'une « poégraphie » élaborée à partir des signes naturels inscrits dans les pierres de son village natal. Son alphabet pictographique composé de 448 signes lui sert à retranscrire les grands récits mythologiques du peuple bété. Naïveté d'outre-monde, pureté tombée des cieux, son « dire » se décline en écriture automatique dans d'étranges petits tableaux enfantins, tous réalisés au même format, avec un stylo-bille et des crayons de couleur, sur des cartons servant à emballer les mèches de cheveux importées d'Asie dont se parent les Abidjanaises. Quelques-unes de ses œuvres sont exposées au Musée des civilisations de Côte d'Ivoire et à La Rotonde des arts contemporains.

Tendances croisées

Nombre d'Ivoiriens s'improvisent aujourd'hui artistes dans la seule optique de produire des « best-sellers » à destination des touristes et autres potentiels clients. On trouve ainsi un peu partout du pseudo-naïf inspiré des grands maîtres de l'école d'Abengourou, ou du sous-Vohou approximatif. Les véritables talents rencontrent souvent leur public à l'étranger et ceux qui peuvent s'expatrient. Face au peu d'implication de l'État, ce sont les galeristes, mécènes et structures privées qui prennent le relais. L’énergie créative se concrétise par l'émergence de talents comme Aboudia – souvent comparé à Basquiat –, connu pour ses toiles monumentales sur la bataille d'Abidjan, et dont les « peintures nouchi » bariolées, sauvages et enfantines ont rejoint les cimaises de la prestigieuse galerie Saatchi ainsi que la collection privée d'art contemporain africain de Jean Pigozzi. On retient également le sculpteur Demba Camara et ses « art toys », fétiches revisités à la sauce manga ; le peintre Pascal Konan, extraordinaire interprète de la ville africaine et de ses émotions, et le plasticien Yéanzi, auteur d'incroyables « portraits recyclés ». Du côté de la photographie, Abidjan voit se développer depuis une petite décennie une scène dynamique et éclectique. Si les aînés (Ananias Leki Dago, Macline Hien, Franck Abd-Bakar Fanny, François-Xavier Gbré, Seybou Traoré, Dorris Haron Kasco...) ont fait leurs preuves, ils confirment un talent qui se bonifie avec le temps. La relève est assurée avec éclat par de jeunes photographes tels que Joana Choumali, Paul Sika ou encore Phillis Lissa (Ly LaGazelle).

Réseau privé

Les galeries et salles d'expositions se multiplient à Abidjan pour accueillir la scène artistique émergente. Parmi les promoteurs incontournables des beaux-arts, citons Simone Guirandou (LouiSimone Gallery), Yacouba Konaté (La Rotonde des arts), Illa Donwahi (Fondation Charles Donwahi), Thierry Dia (galerie Houkami Guyzagn), Jacob Bleu (LeBasquiat Art Gallery), Werewere Liking (Village Ki-Yi), Marie-Josée Hourantier (Bin Ka Di So), Cécile Fakhoury (galerie Cécile Fakhoury), Monique Kaïdin Le Houelleur (Villa Kaïdin). Moins connus du grand public, de jeunes gens passionnés agissent à leur échelle pour faire bouger les choses et mettre en lumière les talents prometteurs. Ainsi de l'association A'Lean & Friends qui organise Cité des Arts, une manifestation lancée en 2016 grâce à laquelle le public a pu découvrir Halidou (peinture), Essoh Sess (peinture, poésie, street art) et Ly LaGazelle (photographie), ou encore Isabelle Zongo, qui nous a apporté une aide précieuse dans l'élaboration de ces pages, et a lancé fin 2017 la première plateforme numérique de promotion des arts et de la culture avec un focus sur l'Afrique, la Fondation ORIGINVL (www.originalfound.com).

Messager public

Le goût pour la création qui caractérise les Ivoiriens les a naturellement conduits à s’exprimer dans l’espace public. D’abord mal perçu, l’art des rues se fait aimer en tant que valeur ajoutée au territoire. Après quoi, son rôle dans l’éducation et l’information des populations, sous la forme de graffitis en saynètes, lui ouvre la voie de la reconnaissance. Depuis une vingtaine d’années, le street art est littéralement entré dans les mœurs, allant jusqu’à s’institutionnaliser comme à Abobo. Les élèves de cette commune sont à l’origine du gbôchôli, sorte de signatures constituées de noms et de chiffres visibles dans le quartier Plaque de la localité. L’engouement pour le street art explose sur les murs d’Abidjan. Parmi les fresques géantes, repérez les femmes dignes et distinguées peintes par l’artiste YZ. D’origine franco-britannique, elle allie art et politique dans son projet Street Vendors qui dépeint les vendeuses de rues dans différents quartiers de la ville. À voir également, les œuvres exécutées par de jeunes graffeurs invités à s’exprimer sur les murs de l’ancien Village des Partenaires de Treichville. Plusieurs dizaines de réalisations abordent des thèmes variés à travers ce projet précurseur à Abidjan.