Les gamelan est un instrument de musique traditionnel © LuckyBusiness - iStockphoto.com.jpg
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La musique traditionnelle

Bien qu’également caractéristique de la musique javanaise, le gamelan est de loin l’emblème de la musique balinaise. Venant du terme javanais gamel qui signifie « marteau » et du verbe tenir, frapper ou manipuler, le terme gamelan désigne un ensemble instrumental – un grand corps sonore – composé de gongs, de métallophones à lames et éventuellement des xylophones en bronze et en bambou. D’ailleurs, même s’il existe plusieurs types de gamelans conviant des flûtes, des vielles à cordes (rebab) et des tambours – portant tous un nom spécifique de gamelan – cet ensemble balinais reste indéniablement associé à l’idée de percussions et à celle de métallophones.

Inhérente au gamelan est l’idée d’un ensemble fonctionnant comme un seul corps. Le gamelan est presque, même, un seul et même instrument dont chaque musicien est en charge d’une partie de la ligne mélodique générale. De plus, il n’y a pas de chef d’orchestre proprement dit, même si le kendang (tambour) joue un rôle de leader. Cet esprit de corps est accentué par le fait que tous les instruments d’un gamelan doivent être fabriqués en même temps et par le même forgeron – le pandé. C’est ce dernier qui accorde d’une manière définitive, les instruments du gamelan. Il s’agit donc d’un son unique d’ensemble et on ne peut pas créer un autre gamelan en le composant d’instruments dispersés appartenant à d’autres gamelans. Aussi, dans tout gamelan, certains instruments sont couplés (mâle / femelle) et accordés de telle façon que joués seuls, sans leur binôme, ils sonnent faux.

Autre point important, le gamelan sert avant tout une fonction rituelle. On n’écoute peu ou pas le gamelan en concert. Sa représentation s’accompagne toujours d’offrandes et de rites. Parmi les formes modernes du gamelan balinais, une des plus importantes (et des plus exportées) est le kebyar, style fameux pour son énergie. C’est via le kebiyar (ou gong kebiyar) que l’on peut goûter le mieux à l’art du jeu, la coloration de l’orchestration, la complexité rythmique et toute la vitalité de la musique balinaise. La musique jouée par le kebiyar consiste essentiellement en de nouvelles compositions librement adaptées de morceaux anciens. Le style du Sud est plus conservateur et délicat que celui du Nord, lequel est un peu criard, syncopé avec des tendances révolutionnaires. Visible dans les concours, le gamelan gong kebyar est devenu un élément essentiel des cérémonies hindoues modernes de Bali. Il est requis pour les cérémonies annuelles d’anniversaire des temples, ou en accompagnement des danses sacrées.

Manifestement le gong kebiyar est une forme moderne du gong gedé, ancien grand orchestre de gamelan datant des XVe et XVIe siècles, indispensable aux cérémonies publiques et fêtes de temple, jouant toute la nuit. Les mélodies du gong gedé sont joués avec de grands gongs, et exhalent une majesté grave et uniforme, dépourvue des délicates modulations du kebiyar. Datant approximativement de la même époque, le gamelan semar pegulingan est une ancienne structure issue du XVIIe siècle, jouant à l’origine près des chambres à coucher du palais pour endormir le roi et ses concubines – le nom est dérivé de Semara, dieu de l'amour dans la mythologie balinaise. Désormais, le semar pegulingan sert essentiellement à accompagner le legong (voir le paragraphe « La danse ») et on peut le voir et l’entendre à Peliatan (village justement célèbre pour la qualité de son legong).

Autre style très visible à Bali : le gamelan beleganjur. Plus ou moins équivalent de la fanfare militaire occidentale, le but originel du beleganjur était d’accompagner les armées au combat. Néanmoins, il a aujourd’hui perdu sa vocation guerrière et se joue dans les festivals ou concours et demeure essentiel aux cérémonies religieuses hindoues de Bali, telles que les parades ogoh-ogoh qui précèdent le Nouvel An balinais, Nyepi.

Moins traditionnel et plus profane dans ses racines mais parfaitement authentique, le joged bumbung est une variante de gamelan où les instruments sont principalement fabriqués en bambou. L’ensemble tire son nom du joged, une danse tout en flirt qui consiste pour des femmes à inviter dans l’assistance un partenaire masculin en lui tendant une ceinture. Elles choisissent généralement le timide qui cherche à se cacher ou le frimeur pour qu’il soit la cible des moqueries de ses amis. Les chorégraphies sont le plus souvent improvisées mimant des scènes de ménage, ou d’autres plus osées. Cette danse – et par extension le gamelan l’accompagnant – est devenue très populaire à Bali et l’on peut voir facilement des jogèd bumbung dans les villages de toute l’île.

Le gamelan est partout à Bali et la moindre cérémonie est l’occasion d’entendre l’un de ces ensembles. Même dans des fêtes inattendues comme Nyale, sur la plage de Kuta, grand rituel où des milliers de Sasaks se rassemblent pour récolter des vers marins fluorescents puis les manger (en grillade ou cru). La fête dure toute la nuit, ponctuée par des spectacles de gamelan. Autrement, certains villages sont réputés pour leur gamelan, comme Ubud ou Sebatu, dont l’orchestre est apprécié des Français car il tourne régulièrement dans l’hexagone depuis longtemps. Un passage à Sebatu est l’occasion d’entendre son extraordinaire semar pegulingan. Hors des festivités, il est bon de noter qu’à Sanur, le restaurant Tandjung Sari a la réputation de proposer quelques belles représentations de gamelan de temps en temps.

La danse

Avec le gamelan, la danse est l’autre grande discipline nationale. Voilà comment le pays soulève une telle passion et une telle richesse et parvient à atteindre pareil degré de perfection. Au cours des siècles, la danse a atteint ici un niveau technique hors du commun, nourri par une formation et une pratique rigoureuses. Elle ne laisse aucune place à l’improvisation ou à la performance individuelle. Cependant, le danseur jouit d’une certaine marge de liberté en fonction de sa renommée ou son charisme.

Historiquement, à Bali, la danse est un art populaire et, surtout, un art religieux qui puise sa force dans les cérémonies et tout particulièrement les odalan, les anniversaires de temples.

À titre comparatif, à Java, le danseur est un homme de cour ou même quelquefois le prince lui-même, tandis qu’à Bali, le danseur est la plupart du temps un villageois, quelle que soit sa caste. La danse est ici en mouvement, fortement campée sur la rapidité des nouveaux modes de musique et souvent spectaculaire par la violence des émotions, l’ardeur, le déchaînement musical et la succession des gestes. Une culture de l’excellence permise par un apprentissage sacerdotal pouvant durer des années, jusqu’à ce que l’élève soit imprégné de l’esprit de chaque geste, de sa signification dans l’ensemble de la danse et de son éventuelle autonomie par rapport au gamelan.

En 1971, les autorités balinaises ont décidé de classifier les danses du pays en trois catégories : 

Les « sacrées » wali, qu’on ne peut montrer que dans les cérémonies qui nécessitent une purification : gabor, sanghyang dedari, rejang, baris gedé, sanghyang legong, berutuk, mendet, baris pendet.

Les danses « cérémonielles » bebali, qui accompagnent la cérémonie, mais ne sont pas la cérémonie elle-même : gambuh, topeng pajegan, wayang wong.

Les danses profanes balih-balihan, qu’on peut vendre au tout venant (entendre « les touristes ») : sendratari, legong, kebyar, janger, tari tani, parwa, arja, baris, panyembrana, topeng panca, prembon, jogèd, abuang kalah, gebyog, cakapung, godogan, taruna jaya).

Parmi ces dernières quelques-unes sont essentielles à connaître (et voir), à commencer par le barong. Possiblement la plus puissante des figures mythologiques balinaises, le barong est une sorte de lion, « Seigneur de la forêt » et chef des forces du bien. Durant la représentation – cérémonie purificatrice - il est généralement représenté par une armature en rotin couverte de poils et un masque magnifique de lion, portés par deux hommes qui ont pour mission de le faire danser. S’en suit une chorégraphie complexe et très codifiée, axée autour de transes impressionnantes.

Autre incontournable, le legong est exécuté lors de certaines fêtes, publiques ou privées. Il ne s’agit en aucun cas d’une danse sacrée. Accompagnée du gamelan et exprimant la quintessence de la féminité et de la grâce, cette danse très codifiée impose des gestes précis aux danseuses vêtues de tissus de brocards verts rehaussés d’or et aux têtes couronnées. C’est sans surprise la danse préférée des touristes qui se bousculent pour en voir notamment à Ubud.

Également accompagné du gamelan, le baris est une danse martiale imitant les mouvements du guerrier. En solo, la danse s’appelle le baris Tunggal, fascinante du point de vue technique d’autant plus que ses mouvements sont devenus la base de toute danse balinaise masculine. Il existe une vingtaine de sortes de baris sur l’île dont la plupart sont collectives. Ces dernières rassemblent douze à vingt danseurs exécutant un certain nombre de mouvements assez rudimentaires comme simuler une bataille avec leurs lances.

Dans les années 1930, un jeune danseur allait bouleverser le paysage chorégraphique balinais avec une nouvelle danse qui alliait la virilité farouche des danses épiques comme le baris à la délicatesse du legong. La nouveauté tenait au fait que le danseur ne se levait jamais, ne bougeant qu’au-dessus de la taille en accentuant ainsi les mouvements du torse, des bras et des mains et concentrant l’attention sur l’expression du visage du danseur. Cette danse s’appelle le kebyar duduk, elle naquit en écho aux rythmes rapides du gamelan gong kebyar et elle a inscrit à tout jamais le nom de Mario dans l’Histoire balinaise.

Contemporain du kebyar, le kecak (prononcer « kechak »), apparaît dans les années 1930 et demeure parmi les chorégraphies emblématiques de l’île. Basée sur l'histoire du Ramayana (le grand poème épique balinais), la danse kecak est également connue sous le nom de « chant du singe » et voit un chœur d’une centaine d’hommes, torses nus et habillés du tissu poleng, assis en cercles concentriques et chanter « chak » de manière percussive en bougeant leurs mains et leurs bras. Les mots, gestes et onomatopées ont pour but d’exorciser les mauvais esprits. Dans les années 1930, Walter Spies, peintre et musicien allemand, s'est profondément intéressé à ce rituel alors qu'il vivait à Bali. Il l’a chorégraphié afin d’être joué devant un public de touristes occidentaux. C’est cette chorégraphie que l’on voit aujourd’hui partout sur l’île, notamment au Pura Luhur d’Uluwatu.

Autre chorégraphie créée par Mario, oleg tambulilingan ou la « danse de l’abeille » est souvent représentée dans un spectacle de legong. Au départ, la danse était un solo puis fut ajouté par la suite le rôle du bourdon qui vient flirter avec la belle abeille. La danse fait ressortir les caractères de coquetterie et les caprices de la douce jeune fille tandis que l’homme tente de la séduire en imitant les poses et gestes du kebyar.

Remontant au XVIe siècle, le gambuh est sans doute la plus ancienne danse balinaise, encore qu’il faille plutôt la ranger dans le répertoire du théâtre chanté. Probablement originaire de Java, le gambuh raconte l’histoire du prince javanais Panji, prince de Koripan qui veut épouser Raden Galuh, princesse de Daha. D’une beauté majestueuse, ce théâtre chanté et dansé n’avance pas grâce à une trame narrative, mais par la présentation successive de personnages, précédés et accompagnés de leurs serviteurs. Une représentation complète de gambuh compte environ 25 acteurs et danseurs et dure de 7 à 9 heures selon le répertoire. Traditionnellement, le gambuh n’était dansé que par des hommes, mais à présent, hommes et femmes peuvent l’interpréter.

Se situant également à la frontière de la danse, le rejang est à ranger parmi les rites. Uniquement exécutée dans un temple, elle concerne le genre féminin dans son ensemble, quel que soit l’âge. Toutes dansent ensemble, alignées dans un mouvement très lent processionnel et enchaînent deux pas en avant puis un pas en arrière. Les mouvements des mains sont exécutés assez bas, à hauteur des hanches et consistent en de longs retournements de la face des mains.

Le rejang peut notamment se voir à l’odalan du Pura Dalem de Batuan. C’est d’ailleurs à Batuan que sont nés et que vivent encore les plus grands danseurs de Bali. Autrement, Ubud est une des grandes villes balinaises de la danse et son Palais Royal, donne chaque soir des représentations de danse. À l’est d’Ubud, on trouve le Pura Abianbase, où des danses traditionnelles sont souvent représentées grâce à une dizaine de troupes qui rivalisent de virtuosité. Elles vous permettront de voir les legong, barong kedingkling, wayang wong et le vrai cak, l’ancêtre du kecak. Citons aussi le Aman Budaya Ou Art Center de Kuta qui offre une bonne synthèse de ce que les artistes contemporains balinais peuvent produire dans les arts de la danse, de la musique et de la peinture et qui, chaque année, entre mi-juin et mi-juillet, accueille un grand festival de danses classiques ou contemporaines : le Bali artFestivasl.

Le théâtre

Partagé avec Java, le wayang kulit, le théâtre d’ombres est une grande spécialité balinaise. Dans ce théâtre, les marionnettes - en cuir de vache, finement ciselées et colorées – sont manipulées par le dalang (récitant) devant un écran. Le dalang prête sa voix à tous les personnages, chante et dirige l’orchestre de gamelan qui se tient – généralement - derrière lui. Il est littéralement un homme-orchestre, à la fois compositeur, linguiste, danseur, orateur et bien sûr acteur pour valoriser le texte, les évènements et situations épiques. Les représentations du wayang ont lieu lors de cérémonies diverses (yadnya) mais néanmoins importantes, comme les mariages ou les limages de dents. Le wayang est à la fois un divertissement mais aussi un concentré de culture, de jeux de mots, d’à propos politiques, de mysticismes et de croyances religieuses qui ravissent les Balinais, grands et petits.

À Bali, on peut distinguer cinq types de wayang : Ramayana, Parwa, Calonarang, Gambuh et Cupak. Les wayang s’inspirant du Ramayana et du Parwa sont plus ancrés dans l’imagination collective que les trois derniers. Le théâtre d’ombres figure le monde. Il met en scène le principe des contraires et de l’équilibre (Ruwa Bineda).

Pratique nocturne, le wayang peut également se jouer en plein jour. Dans ce cas, les figures sont plantées dans le tronc d’un bananier ou d’un palmier et les marionnettes sont manipulées au vu et au su de tous. Le wayang de jour s’appelle le wayang lemah.

Certains villages sont réputés pour la qualité de leur wayang kulit. C’est par exemple le cas de Sukawati. La bourgade est un des centres artistiques de Bali et abrite, par exemple, de nombreux brahmanes qui ont pérennisé l’art du dalang. Autrement, à Denpasar, on peut parfois, au temple de Jagatnatha (Pura Jagatnatha), assister à un spectacle de marionnettes traditionnelles en cuir devant l’entrée. Citons également Oka Kartini, hôtel d’Ubud, où est joué régulièrement un spectacle d’ombres chinoises.