Vignes aux alentours de Bourrouillan, Bas Armgnac © PhilippeGraillePhoto - stock.adobe.com.jpg
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Aux origines

L’armagnac n’aurait peut-être jamais vu le jour sans un savant brassage culturel. Il est communément admis que les Celtes, les Romains et les Vascons ont permis, sans le savoir, l’élaboration de cette eau-de-vie très ancienne. Les premiers ont inventé le fût de bois cintré à chaud. Il permettait la conservation de la cervoise et le transport de liquides comme l’eau potable. Les deuxièmes, en envahissant la Gaule aquitaine en 56 av. J.-C., nous ont laissé la culture de la vigne en héritage. Les troisièmes, peuple ibère aux racines ancrées dans les Pyrénées méridionales, entrent en conflit à de nombreuses reprises avec les Wisigoths et les Francs dès le Ve siècle. L’expansion du califat omeyyade dans la péninsule ibérique au début du VIIIe siècle pousse les Vascons à occuper le sud de l’Aquitaine. Ils amènent avec eux une invention arabe des plus intrigantes : l’alambic. Les Gascons disposent désormais de tout le nécessaire pour mettre au point l’armagnac, et même son nom. Le chevalier Herreman, compagnon de Clovis, se voit octroyer un fief dans le Sud-Ouest vers l’an 500. Son nom est latinisé en « Arminius » qui deviendra Armagnac en gascon. Au Moyen Âge, nombreux sont les alchimistes en quête d’un élixir de longue vie, qu’ils espèrent obtenir par distillation de boissons fermentées. Mais il faut attendre 1310 et la plume fertile de Maître Vital Dufour, prieur d’Eauze et de Saint-Mont, pour rapporter les bienfaits d’une aygue ardente concoctée maison. Il rapporte dans son manuscrit en latin « Pour garder la santé et rester en bonne forme » que son eau-de-vie compte 40 vertus thérapeutiques. Parmi celles-ci, « elle cuit un œuf, les viandes cuites ou crues, elle les conserve. […] Elle aiguise l’esprit si on en prend avec modération, […] rend l’homme joyeux au-dessus de tout, conserve la jeunesse et retarde la sénilité. » L’armagnac ne se consomme pas encore, mais il est utilisé en gargarismes pour lutter contre la toux, la fièvre ou encore la surdité. Son haut degré d’alcool permet de désinfecter les plaies. Il se commercialise comme potion médicinale et le succès est tel que les Cadets de Gascogne s’en procurent avant de monter au front contre les Anglais en 1429. Les alambics se multiplient en Gascogne. L’essor véritable de l’eau-de-vie comme boisson débute au XVIIe siècle. Les Hollandais se montrent friands de vins venus de France. Les Anglais présents en Aquitaine interdisent le transport du vin, mais pas celui de l’alcool. Par conséquent, les Hollandais font remonter de nombreuses barriques d’armagnac par voie fluviale. Le métier de bouilleur de cru fait son apparition pour pourvoir à la demande. Au XVIIIe siècle, l’armagnac fait son apparition comme digestif sur la table du roi Louis XV. Un siècle plus tard, en 1857, le terroir de production est officiellement délimité et il compte plus de 100 000 hectares de vignes. Le phylloxera porte un coup d’arrêt brutal à la production d’armagnac à la fin du XIXe siècle. Le puceron dévaste le vignoble en moins de 3 ans, à l’exception du Bas-Armagnac naturellement protégé par son sol sablonneux. Une loi de 1909 élargit l’aire de production et crée un cahier des charges encadré par l’INAO, destiné à mettre fin aux fraudes. L’eau-de-vie obtient l’AOC en 1936 et le Bureau National Interprofessionnel de l’Armagnac (BNIA) voit le jour sous Vichy.

Les cépages de l’Armagnac

L’armagnac est réalisé à partir de vins blancs distillés vieillis en fût de chêne. Le décret de Fallières du 25 mai 1909 qui délimite le territoire de production fixe l’encépagement. Il faut replanter la vigne après la terrible attaque du phylloxera et 10 cépages sont retenus. Au fil des vendanges, des assemblages et des modes, les viticulteurs n’en retiennent que 4 : l’ugni blanc, la folle blanche, le colombard et le baco 22 A. Ces raisins ont pour avantage commun de se montrer résistants et d’offrir des rendements appréciables. L’ugni blanc emporte les suffrages avec 55 % des surfaces plantées. Le cépage d’origine toscane offre un rendement de 100 à 150 hectolitres à l’hectare et délivre des notes fines et légères une fois distillé. La folle blanche est le cépage emblématique de l’Armagnac. Venu des Charentes, il est mieux connu sous le nom de gros plant en pays nantais et se fait surnommer piquepoult en gascon. Il était le cépage phare avant la dévastation des vignes par le phylloxera. Aujourd’hui il ne représente plus que 5 % à 8 % des surfaces cultivées. Sa fragilité et sa faible résistance au gel en font un cépage délaissé par les vignerons, même s’il reste apprécié pour ses arômes floraux délicats. Le colombard, un autre cépage venu de Charente et très dominant dans la production de cognac, est largement cultivé, mais surtout commercialisé en vin blanc sec. Il dégage des notes épicées, une belle rondeur, mais ne produit que rarement des armagnacs monocépages. Enfin, le baco 22 A est né de l’hybridation de la folle blanche et du noah. En 1898, un instituteur landais, François Baco, entreprend des greffes de cépages français sur des pieds de vignes américains. Il sauve ainsi et relance la production armagnacaise. De ses 6000 essais, il retient le 22e pied de la rangée A, qui semble se plaire dans les sols sablonneux du Bas-Armagnac. Le baco résiste bien au mildiou, à l’oïdium et au gel. Controversé par sa nature hybride, il est interdit en 1992, mais vite réintégré au cahier des charges de l’INAO. Ses propriétés permettent de réduire l’usage intensif de produits phytosanitaires. Le baco représente aujourd’hui 30 % des surfaces plantées en Armagnac.

Les secrets de fabrication

L’élaboration de l’armagnac suit un processus long et technique. Les raisins sont récoltés en septembre, éraflés, puis pressés. Les jus sont vinifiés sans ajout de sucre ou de soufre. Les lies, levures contenues dans le raisin, vont transformer le sucre en alcool et apporter de la rondeur à l’eau-de-vie. La distillation peut commencer 10 jours après la fermentation et doit impérativement être achevée le 31 mars suivant la vendange. L’hiver, les alambics chauffent à plein et les bouilleurs de cru n’ont que peu le temps de dormir. Ils obtiennent 15 à 20 litres d’armagnac avec 100 litres de vin blanc. L’alambic armagnacais breveté en 1818 permet une distillation en continu. Il est constitué de deux tours en cuivre. La première comprend une cuve de charge dans laquelle le vin est versé. Celle-ci surmonte le réfrigérant traversé par un serpentin qui permet de condenser les vapeurs d’alcool. Le vin entre dans le réfrigérant par le bas et circule autour du serpentin. En remplissant la tour, il se réchauffe au contact du serpentin, avant de se déverser dans la seconde tour. Un tuyau le conduit au sommet de la tour de chauffe. Le vin descend dans la chaudière où il sera mis à bouillir en traversant une série de plateaux. Les vapeurs d’alcool remontent en gouttelettes dans le corps de chauffe. Elles se chargent des arômes du vin en traversant les plateaux. Un col de cygne transfère les gouttelettes vers le serpentin réfrigérant. La condensation s’opère et une pièce d’armagnac, ou fût, attend le précieux distillat à la sortie du serpentin. Si le gaz est de plus en plus utilisé pour la régularité de sa flamme, certains préfèrent la traditionnelle chauffe au bois. Celle-ci nécessite une grande maîtrise technique et plusieurs essences sont utilisées pour garantir une flamme régulière. À la sortie de l’alambic, l’eau-de-vie est incolore. Elle prend sa couleur ambrée après un vieillissement en fût de chêne de 420 litres. Surveillé comme le lait sur le feu, l’armagnac est régulièrement dégusté au cours de cette période qui dure d’un an à… l’infini. Cela permet de procéder aux assemblages nécessaires et de transférer l’eau-de-vie d’une barrique neuve à un fût ancien au moment opportun. L’armagnac retire des fûts neufs les tanins du bois et les notes vanillées ; des fûts ancien la douceur. Les assemblages de cépages ou de millésimes permettent d’obtenir le « goût maison ». L’année renseignée sur un flacon d’armagnac est toujours la plus récente. Une fois mis en bouteille, l’armagnac ne vieillit plus. Il est alors commercialisé sous diverses dénominations qui correspondent à la durée de vieillissement. Le V.S. (Very Special) correspond à un assemblage de millésimes dont le plus jeune a au moins un an ; le V.S.O.P (Very Special Old Pale) correspond à un assemblage qui a passé au moins quatre ans en fût de chêne ; le X.O (Extra Old) et Hors d’Âge ont vieilli au moins 10 ans en fûts dans l’ombre des chais.

L’art de la dégustation

L’eau-de-vie complexe qu’est l’armagnac se déguste en verre ballon ou tulipe, pour des arômes plus concentrés. Il est inutile de chauffer le verre dans le creux de la main, mais ceux qui redoutent le feu de l’aygue ardente ajoutent une cuillère d’eau fraîche pour faire ressortir les saveurs et diminuer les éthers. Il est également conseillé de le servir 10 à 15 minutes avant de le déguster, afin de lui permettre de s’ouvrir. L’armagnac se boit traditionnellement en digestif et s’accompagne à merveille d’un carré de chocolat noir ou d’un cigare. Les plus audacieux n’hésitent pas à servir un armagnac jeune en apéritif ou un Hors d’Âge sur du fromage. Selon l’assemblage, le millésime et le producteur, l’eau ambrée révèlera des notes de fruits frais ou confits, de fleurs (lilas, violette, rose…), d’épices (vanille, poivre, réglisse…), de cacao, de tabac ou encore de cuir. Il faut dans un premier temps faire tourner le breuvage dans le verre pour en tapisser les parois. L’armagnac se déguste d’abord par le nez, sans trop rapprocher le verre, sous peine de s’anesthésier. Les notes les plus volatiles se dégagent. Dans un troisième temps, le verre se porte à la bouche en prenant soin de saliver avant de faire couler le liquide sur la pointe de la langue. Cela a pour effet de diminuer la sensation de feu de la première gorgée. Plus les notes sont longues en bouches, meilleur est l’armagnac. Dans tous les cas, il doit être dégusté avec parcimonie.