L’art des tapas

C’est une surprise pour personne, les Espagnols mangent très tard pour nos standards français. Bien que les restaurants dans les villes les plus visitées du pays étendent leurs horaires d’ouverture pour s’adapter aux touristes, il est rare de voir les Madrilènes déjeuner avant 13h30 et dîner avant 21h – voire 22h30 – les week-ends. Il faut dire que les Espagnols en général sont très attachés au rituel du tapeo. Un bout de jambon dans un bar, quelques calamars dans le suivant, un verre de vin et une bière et ainsi de suite. De quoi se mettre en appétit avant de commencer à dîner bien plus tard.

Les tapas sont variées et on retrouve à Madrid les grands classiques venant de toute l’Espagne, notamment toute sorte de charcuteries comme le jamón ibérico (notamment le bellota, connu pour son excellente qualité), le chorizo, le salchichón (saucisson espagnol, parfois plus épicé que la version française) ou encore le lomo ibérico (proche d’un filet mignon séché). On sert également du chorizo cuit qui n’est pas totalement affiné et ressemblerait plus à une saucisse pimentée, ainsi que de la morcilla, une saucisse au sang proche de notre boudin noir. Les fromages sont plus rares, mais il est commun d’avoir dans l’assiette quelques cubes de queso manchego, un fromage castillan au lait de brebis. Les anchois (anchoas) salés (en salazón) ou fumés (ahumadas) sont également appréciés. La plupart de ces bouchées sont servies sur des petites tranches de pain sous forme de canapés rustiques que l’on appelle montaditos.

Il existe bien d’autres tapas, souvent frites – ce qui est aussi l’une des caractéristiques de la cuisine madrilène – comme les puntillas (bébés calamars), la merluza frita (merlu), les soldaditos de Pavía (bâtonnets de morue). Les gambas al ajillo sont de petites crevettes revenues dans de l’huile d’olive avec beaucoup d’ail et de persil. On retrouve la même version avec des champignons (setas al ajillo). La classique tortilla de patatas – ou omelette de pomme de terre –, très épaisse que l’on coupe en cubes, est immanquable, tout comme les croquetas, sorte de boulettes de béchamel au jamón serrano, panées et frites. Autre tapa – typique de la cuisine madrilène – les patatas bravas se composent de pommes de terre coupées en quartiers et frites, que l’on nappe juste avant de servir d’une sauce pimentée au poivron, dite salsa brava. Les amandes salées ou encore les olives – aussi simples soient-elles – constituent des tapas très appréciées. 

Si généralement les tapas ne restent pas longtemps sur une table avant d’être dévorées, certaines sont réservées à un public plus habitué comme l’oreja a la plancha (littéralement oreille de porc grillée) que l’on parfume avec beaucoup d’ail et parfois de piment. Les gallinejas constituent également des tapas prisées à Madrid. Il s’agit tout simplement d’intestins de mouton grillés. Enfin, les caracoles a la madrileña se composent d’escargots cuits dans une sauce épicée avec des dés de chorizo et de jamón serrano.

Traditionnellement les tapas sont comprises avec la boisson dans un bar, poussant les clients à commander plus d’alcool, les tapas étant d’autant plus salées qu’elles donnent soif. Cependant, ce n’est plus automatique et de plus en plus de bars n’offrent plus de tapas. Il faut donc bien se renseigner avant de picorer des tapas apparemment à disposition qui sont ensuite rajoutées dans l’addition. À noter que le terme tapas désigne généralement des bouchées. Si vous souhaitez accompagner votre apéritif d’amuse-bouches plus copieux, demandez une racion ou la moitié, une media racion.

Une grande variété de plats madrilènes salés…

Bien que la différenciation entre tapas et plat principal soit parfois subtile en Espagne, car la taille de la portion fait souvent la différence, on peut retrouver des plats plus copieux typiques de la cuisine locale, qui peuvent constituer à eux seuls un repas entier. La gastronomie madrilène est simple et bien que la ville soit la capitale royale depuis plus de quatre siècles, la cuisine de tous les jours inclut des spécialités faites d’ingrédients peu coûteux, mais travaillés avec beaucoup de saveurs.

Le plat le plus connu est probablement le cocido madrileño, un ragoût de viande et de légumes populaire, composé de pois chiches, de bœuf ou de porc, de légumes et de saucisses. On déguste cette spécialité en trois services : d’abord le bouillon, puis les pois chiches et les légumes, et enfin le dernier service comprend la viande et les saucisses. Plus simple, la carne al desarreglo est un ragoût de bœuf à la tomate et au vin blanc. Le judías a lo tío Lucas est une recette typique de Madrid mêlant haricots blancs et lard avec une foule d’épices. La sopa de ajo madrileña est un potage préparé avec un riche bouillon de viande parfumé avec beaucoup d’ail, souvent consommé pendant la Semaine sainte. Si Madrid est située en plein cœur des terres, à 350 km de la côte la plus proche, la ville possède quelques spécialités de poissons comme le besugo a la madrileña, une recette de dorade au four, ou encore le merluza a la madrileña, un plat de merlu dans une sauce tomate au vin de Xérès.

Les Espagnols sont passés maîtres dans la préparation des abats. Réservé à un public plus pointu, le callos a la madrileña est cependant un mets très apprécié des amateurs, confectionné à base de tripes – de veau ou d’agneau – agrémentées de chorizo, de saucisse de sang (morcilla), le tout assaisonné de paprika doux. On retrouve également le hígado encebollado, comprendre foie de veau aux oignons. La lingua de vaca estofada, ou langue de bœuf, est cuite dans une sauce aux légumes et au vin blanc. Enfin, les mollejas empanadas sont simplement des ris de veau panés. La viande de taureau est également très populaire en Espagne. Bien que souvent issue de la corrida, elle n’en reste pas moins à la base de plusieurs recettes comme le rabo de toro, un ragoût de queues de taureau, où la viande est cuite jusqu’à se détacher de l’os, servie dans une riche sauce au vin rouge et à la tomate. De plus en plus rares, les criadillas de toro – comprendre testicules – sont généralement consommées en soupe ou en ragoût, parfois frites dans le sud de l’Espagne. Bien que déconcertant, ce mets possède en réalité un goût assez doux.

On retrouve également des plats plus simples à déguster sur le pouce comme les huevos estrellados, un en-cas copieux à base d’œufs au plat servis sur un lit de pommes-frites, le tout agrémenté de tranches de jamón serrano ou de chorizo, très commun dans les bistrots madrilènes. Les bocadillos seront parfaits pour les touristes qui n’ont pas le temps de s’attabler. Ces sandwiches au pain baguette sont garnis avec à peu près tout ce qui est imaginable : charcuterie, viande de porc, poissons, fruits de mer, légumes rôtis, fromage, omelette, etc., souvent servis avec beaucoup d’aïoli (mayonnaise à l’ail). Le plus célèbre à Madrid est le bocadillo de calamares, fourré d’anneaux de calamars frits et de mayonnaise, qui peut être commandé dans pratiquement tous les bars. Et si effectivement, la gastronomie de la capitale ne regorge pas de légumes frais, on peut néanmoins savourer une ensalada San Isidro à base de laitue, tomates, thon, œufs durs, olives et câpres.

… ainsi que de plats sucrés

Côté dessert, on notera que, comme dans le reste de l’Espagne, de nombreuses douceurs sont produites pour des célébrations religieuses. On peut citer les rosquillas qui sont des anneaux de pâte cuits au four. Traditionnellement confectionnées pour la fête de San Isidro Labrador, célébrée le 15 mai à Madrid, elles se présentent sous quatre formes : tonta (nature), lista (glaçage au citron), francesa (glaçage aux amandes) et de Santa Clara (glaçage meringué). Certains portent des noms surprenants comme les huesos de santo (os de saint), des tubes en biscuit fourrés d’une crème aux œufs, ou les buñuelos de viento (beignets de vent) – connus en France sous le nom de « pets de nonne » – qui sont des beignets très légers à base de pâte à choux. Les panecillos de San Antón sont des biscuits traditionnellement consommés lors du pèlerinage de San Antón Abad qui a lieu le 17 janvier. Ils sont généralement accompagnés d’eau-de-vie. Grand classique de la pâtisserie espagnole, le roscón de reyes – connu dans le sud de la France sous le nom de « gâteau des Rois » – est une grande brioche en forme d’anneau couverte de fruits confits et de sucre perlé que l’on déguste pour l’Épiphanie. Plus moderne, la corona de la Almudena a été établie par la guilde des pâtissiers en 1978 comme le gâteau officiel pour la journée du saint patron de Madrid. Elle ressemble au roscón de reyes mais est garnie de crème à la vanille et de chantilly. Enfin la torrija, typique de la Semaine sainte, est une sorte de pain perdu à la cannelle, aujourd’hui consommée toute l’année.

Afin de déguster toutes ces sucreries, les Espagnols ne refusent jamais un café. Le café solo est le plus classique, noir, sans lait. Le cortado est allégé d’une goutte de lait, alors que l’on en rajoute plus généreusement pour un café con leche. Inversement, un leche manchada se présente sous la forme d’une tasse de lait chaud avec un trait de café. Le café canaria est adouci d’un nuage de lait concentré sucré. Quant au café tiempo, servi avec une tranche de citron, il permettrait de se débarrasser d’une gueule de bois. Enfin, pour obtenir un café con hielo, on verse un café sucré dans un verre rempli de glaçons.

Madrid possède quelques établissements d’exceptions où l’art du café prend tout son sens comme le Café Comercial, ouvert en 1887, avec ses intérieurs Art déco, qui servit de lieu de rencontre des intellectuels espagnols pendant la Guerre civile. Le Café Gijón, ouvert un an plus tard, fut fréquenté par des écrivains et des personnalités médiatiques comme Ava Gardner, Orson Welles ou encore Truman Capote. Pour ceux qui boudent un peu le café, on peut commander un chocolate caliente (littéralement chocolat chaud), qui est connu en Espagne pour être très épais. La Chocolatería de San Ginés, fondée en 1894 et située à côté de la Puerta del Sol, est un endroit traditionnel pour déguster un chocolat chaud crémeux avec de délicieux churros.

Le vin et les produits du marché

Bien que les vignobles madrilènes ne possèdent pas une superficie aussi étendue que ceux d’autres régions du pays, territoire oblige, la viticulture autour de la capitale espagnole est confirmée officiellement depuis au moins le XIIIe siècle, même s’il ne fait aucun doute que les Romains déjà cultivaient la vigne dans la région. L’appellation vinos de Madrid D.O. date de 1983 et entoure la ville de Madrid sur une surface totale d’environ 12 000 hectares, à une altitude comprise entre 600 m et 1 000 m, baignée d’un climat continental avec des hivers assez froids et des étés généralement très chauds et secs.

Trois zones regroupent l’appellation : l’aire d’Arganda, d’une surface de 6 000 hectares, est la plus grande avec comme cépages majoritaires le Tempranillo et le Tinto Fino pour les rouges et pour les blancs l’Airen et le Malvar. L’aire de Navalcarnero, d’une surface d’environ 2 000 hectares, produit des grenaches et du Malvar Blanc. Enfin l’aire de San Martin de Valdeiglesias, de 4 000 hectares, offre des crus très intéressants avec une dominante de Grenache – en rouge – et l’Albillo pour les blancs. Le prestige des vins D.O. Madrid continue d’augmenter chaque année. Dans l’édition 2013 du prestigieux Concours international de Vins de Bacchus, les vins D.O. Madrid ont gagné 16 prix, 6 Bacchus d’or et 10 d’argent.

Pour ceux qui veulent ramener dans leur valise un vin madrilène ou tout autre produit, de la charcuterie locale jusqu’aux biscuits de Noël, la ville regorge de marchés où se perdre à la recherche d’un délicieux souvenir ou même d’un en-cas à savourer sur le pouce. Le Mercado San Miguel – inauguré en 1916 – avec sa superbe façade en verre et en fer forgé, est probablement le plus célèbre et spectaculaire de la ville. On y retrouve tout ce dont pourrait rêver un amoureux de bonne chère. Bâti en 1879, le Mercado de la Paz, offre une ambiance intimiste et un nombre impressionnant de stands où venir se régaler. Plus modernes, les marchés de San Ildefonso et d’Anton Martin accueillent le visiteur dans une ambiance détendue.

En plus du vin, les amateurs de spiritueux pourront rapporter dans leurs bagages de l’anisette de Chinchón, dont le renom est national. Cette liqueur se déguste en guise de digestif, seule, dans le café ou avec une infusion de poleo menta, une variété de menthe. Mais Chinchón – situé à environ une quarantaine de kilomètres de Madrid – abrite d’autres particularités pour les amoureux de produits frais et locaux avec les melons de Villaconejos. Avec leur forme d’un ballon de rugby, leur peau vert sombre et leur chair blanchâtre, ils sont très différents de nos melons cantaloup. Enfin, les fraises et les asperges font d’Aranjuez une région agricole prospère. Il s’est d’ailleurs développé un négoce touristique avec le Train de la Fraise (el Tren de la Fresa) qui part de Madrid et se rend à Aranjuez, et ce depuis 1851 ; dans le train, le personnel de bord – en costume d’époque – distribue des fraises d’Aranjuez aux voyageurs.