L’art du mezze

Comme dans le reste de la Méditerranée orientale, les Chypriotes commencent les repas par des petites bouchées pour se mettre en appétit, que l’on appelle mezzedes. Ils peuvent cependant constituer un repas entier, tant ils sont divers et surtout délicieux. L’ouzerie est un lieu spécialisé pour les amateurs d’ouzo, que l’on sert abondamment avec les mezzedes. Cette eau-de-vie, servie glacée, est souvent allongée avec de l’eau comme le pastis, dont le goût s’en rapproche. Chacun picore dans les assiettes parmi un choix souvent impressionnant. Parmi les mezzedes les plus connus on retrouve évidemment la fameuse horiatiki ou salade grecque à base de tomate, concombre, oignon, olive et feta, le tout couvert d’huile d’olive et d’origan. Autre salade, propre à Chypre, le louvi est une salade de haricots blancs, que certains consomment parfois avec des harengs alors que la moungra est un pickle de chou-fleur fermenté. Ensuite vient le tzatziki, une délicieuse crème au yaourt, concombre, aneth et ail pilé. Il est d’ailleurs servi aussi bien comme hors-d’œuvre que pour accompagner des viandes grillées. C’est aussi le cas de la skordalia, une crème de pomme de terre très aillée, qui se marie très bien avec le poisson. Le taramosalata est une purée à base d’œufs de poisson fumé et d’huile d’olive. Ne vous étonnez d’ailleurs pas s’il est orange pâle lorsqu’on vous le sert. C’est sa couleur naturelle, les industriels français ayant pris la mauvaise habitude d’y rajouter des colorants lui donnant une teinte rose fluo lorsqu’on l’achète au supermarché. On retrouve d’autres préparations crémeuses à déguster avec du pain comme le mélitzanosalata, un caviar d’aubergine citronné ou le houmous qui, bien que d’origine arabe, compte parmi les mezze les plus appréciés à Chypre. Les inratables dolmadakia (ou dolma/dolmades) – appelées koupepia à Chypre – sont des feuilles de vigne en saumure farcies de riz et d’oignon, le tout relevé d’aneth et de jus de citron, elles sont servies tièdes ou froides.

Mais il existe de nombreux mezzedes chauds comme les kalamarakia tiganita ou calamars frits qui sont au moins aussi populaires que le htapothi sti skhara, le fameux poulpe grillé au barbecue. Le karaoli yahni est une recette d’escargots en sauce tomate. Plus surprenants, les tomatokeftedes sont des croquettes frites à base de tomate, parfumées de menthe et d’origan. Mais les locaux adorent également d’autres types de beignets comme les kolokythokeftédes, des croquettes de courgettes râpées. Le kolokouthkia me t'afka est un mezze typiquement chypriote à base de courgette confite avec des œufs brouillés. Enfin, il y a aussi de nombreuses viennoiseries salées – qui sont d’ailleurs souvent dégustées sur le pouce toute la journée – comme le tiropita, un chausson feuilleté en pâte filo fourré de feta ou le spanakopita, garni d’épinards. Les piroski sont des chaussons frits fourrés de diverses garnitures (viande, fromage, épinards, etc.). La flaouna est une spécialité purement chypriote qui ressemble à un petit pain garni de fromage, de raisins secs et de graines de sésame, consommé généralement à la fin du carême.

Les fromages sont souvent servis en tant que mezze. C’est le cas du saganáki, une entrée de feta grillée à la poêle ou de la feta psiti, ou feta au four, rôtie avec quelques herbes et des tranches de tomate. Mais bien sûr impossible d’évoquer Chypre sans parler de sa spécialité la plus connue : le halloumi. Ce fromage très salé au lait de brebis et de chèvre a la particularité de ne pas fondre. On le fait donc griller avec un peu d’huile d’olive alors qu’il conserve sa texture ferme et légèrement élastique. Mais on le mange aussi frais, souvent avec de la pastèque en plein été. Autre spécialité chypriote – souvent associée au halloumi –, la lountza est une charcuterie préparée à base de longe de porc salée, marinée dans du vin rouge, séchée au soleil, roulée dans les graines de coriandre et finalement fumée. Autre spécialité charcutière propre à Chypre, le hiromeri est un jambon pressé, mariné et fumé. Beaucoup de ces plats sont généralement présents en Turquie et dans le monde arabe sous d’autres noms. À noter par ailleurs que la différence entre plat principal et hors-d’œuvre à Chypre est moins marquée qu’en France par exemple. Ainsi beaucoup de spécialités citées ci-dessus peuvent être servies en plus grosse quantité en tant que plat principal.

Classiques de la cuisine chypriote

En plat principal, les grillades sont à l’honneur et elles constituent souvent une page entière dans les menus des restaurants chypriotes. Le souvlaki se présente sous la forme d’une grosse brochette de viande, le plus souvent de porc ou de poulet, mais aussi parfois de bœuf ou d’agneau. Autre grillade populaire, la loukanika est un type de saucisse de porc fumée et épicée avec des graines de coriandre et du vin rouge. Mais aucun barbecue chypriote ne s’organise sans sheftalia : ces délicieuses saucisses de viande hachée assaisonnées sont enveloppées dans de la crépine (principalement d'agneau ou de porc), puis cuites à la braise. Dans le même genre, la païdakia désigne généralement des côtelettes d’agneau grillées et finement épicées, alors que les keftédès sont des boulettes de viande hachée parfumées d’oignon, d’origan, de menthe et d’aneth. Elles peuvent être simplement grillées ou cuites dans une sauce tomate épaisse et sont alors appelées keftedes me saltsa domata.

En dehors des grillades on observe un grand nombre de plats cuisinés comme la moussaka alternant viande hachée et aubergines confites, le tout nappé de béchamel et gratiné ou dans le même genre le makarónia tou foúrnou où les aubergines sont remplacées par des macaronis, le tout garni de halloumi évidemment. Le magarına bulli est un plat de pâtes longues, type bucatini, cuites dans un bouillon de poulet puis servi avec du poulet, du halloumi râpé et de la menthe. Le giouvetsi, cuit au four, se compose de poulet, d'agneau ou de bœuf et de petites pâtes et de sauce tomate parfumée avec de la cannelle, du clou de girofle et du laurier. Le terme « yemista » désigne différents types de légumes (notamment des poivrons et des aubergines) farcis de riz et de viande hachée et cuits au four. L’afelia est un ragoût de porc chypriote cuit au vin rouge avec des graines de coriandre. Le spetsofai est un ragoût de saucisses aux poivrons et à la tomate.

Les Chypriotes consomment également beaucoup de légumes qui entrent dans la composition de nombreux plats cuisinés. La fasolakia est une recette de haricots verts en sauce tomate. Dans le gigandes plaki, les haricots verts sont remplacés par d’énormes haricots blancs, appelés fasolia gigandes. Le prasorizo est une sorte de risotto aux poireaux, très populaire en hiver. Bien qu’originaire d’Asie tropicale, le taro ou kolokasi est devenu très populaire sur l’île. Ce tubercule ressemblant à la patate douce est traditionnellement mijoté avec du porc dans une sauce de tomate et céleri.

Rouget, daurade, espadon, crevettes, poulpe et calamars constituent des produits de la mer classiques, le plus souvent servis grillés ou frits, délicatement assaisonnés et servis avec quelques quartiers de citron. Le maquereau – safridia – grillé est par exemple très apprécié pour sa chair grasse. On retrouve cependant des plats plus élaborés tels que le psari plaki, un poisson au four couvert d’un mélange de tomates et d’oignons confits ou encore les garides me feta, un plat de crevettes mijotées dans une sauce tomate et couvertes de feta émiettée. Les mýdia saganáki est une recette assez similaire, mais à base de moules. Enfin le poulpe est souvent grillé, tant sous forme de mezze qu’en plat principal. Sinon on déguste aussi le stifado de poulpe, longuement mijoté dans du vin rouge. La morue évidemment est très appréciée. Les psarotavernas sont des restaurants spécialisés dans le poisson et les fruits de mer.

Côté street food il est absolument impensable de passer à côté du fameux gyros, version grecque du kebab, composé d’un pain pita bien moelleux, garni de viande effilochée (porc ou poulet), de frites, de tomates, d’oignons et de tzatziki. Idéal pour les petits budgets, son prix dépassant rarement les 3 €.

Desserts et pause café

On termine souvent son repas par des fruits frais : pêches, melons, pastèques ou encore abricots, notamment en été où les températures parfois cuisantes appellent à un peu de fraîcheur. Parfois le repas peut aussi se conclure par un simple yaourt nappé d’un filet de miel avec quelques pistaches. Beaucoup de douceurs sont plutôt dégustées pendant la journée avec un café. Elles se composent notamment d’une base d’amandes, de pistaches ou de sésame, parfumées au miel, à la fleur d’oranger ou à la cannelle comme le baklava, un gâteau en forme de losange à base de pâte filo et de noix et imbibé d’un sirop à la cannelle. Assez proche, le kataifi replace la pâte filo par des cheveux d’ange. Ce gâteau très sucré est également connu sous d’autres noms en Turquie et dans le monde arabe. Le galaktoboureko se compose également de pâte filo qui renferme en garniture une crème à base de lait et de semoule parfumée au citron. Très proche, le bougatsa est fourré d’une crème au fromage frais.

Il existe plusieurs spécialités liées aux fêtes religieuses comme la koulourakia, une brioche vanillée aux graines de sésame préparée pour Pâques. C’est aussi le cas du tsouréki, une brioche souvent tressée parfumée avec des zestes d’agrume et du mahaleb, une poudre obtenue à partir des noyaux de cerises sauvages. La lazarakia est un pain brioché consommé pendant le premier samedi de la Semaine sainte. Le vasilopita est l’équivalent du gâteau des Rois – mangé entre le Jour de l’An et l’Épiphanie – dont l’aspect, assez libre, se situe entre un gâteau et une brioche avec une pièce caché dans la pâte. Les melomakarono sont des biscuits au miel de Noël tout comme les kourabiedes, de gros sablés aux amandes entièrement couverts de sucre glace. Les diples sont de fins beignets croustillants en forme de tubes, qu’on imbibe de sirop avant de saupoudrer cannelle et noix hachées, très communs au Nouvel An et pour les mariages. Pour finir le shamishi est un petit chausson croustillant garni d’halwa.

Enfin le café tient une place essentielle à Chypre, dû à la proximité avec la Turquie. Le typique café grec (équivalent du café turc) n’est pas filtré, mieux vaut attendre quelques minutes pour que la couche de marc se dépose au fond de la tasse. Essayez-le sucré (glyko), moyen (metrio), avec du lait (me gala) ou sans lait (choris gala). Un café infuse dans un petit pot à long manche (briki) en utilisant des grains de café très finement moulus. Il est servi non filtré, souvent avec un verre d'eau. Sinon le classique expresso est servi dans tous les bars et restaurants. À noter que l’occupation britannique a eu une incidence sur la consommation de thé, qui est très apprécié sur l’île.

Entre vins et ouzo

Avec une histoire viticole vieille de plus de 6 000 ans, il est évident que Chypre a un savoir-faire unique en matière de vin, même si les locaux n’ont pas forcément tendance à en consommer outre mesure et exportent une bonne partie de leur production en Europe de l’Ouest ou en Asie. Les vins blancs offrent une belle variété avec des crus comme l’Alkion de Keo, le Nefeli de Etko, le Salera de Etko. Goûtez aussi le Palomino, très sec, mais qui se marie bien avec les fruits de mer. Le Saint-Pantelemeion, demi-doux, est idéal pour le dessert. Côté rouge le Semeli ou l’Othello, évoquant parfois les vins de la Rioja. Dans les rosés, goûtez le Myrto, assez sec. Les vins de la Commandaria sont des vins doux naturels très anciens, datant de l’époque des Templiers, d’où leur nom, et issus de la région dite de la Commandaria, au nord de Limassol. Le raisin de table verico est par ailleurs une variété très appréciée. Son origine est très lointaine puisqu’on dit que Richard Cœur de Lion, en le goûtant, aurait simplement dit « very good », dont la prononciation aurait été transformée en « verico ». Il existe deux raisins endémiques sur l’île : le xinisteri (blanc) et le mavro (noir).

Si traditionnellement la bière n’est pas commune à Chypre, c’est une boisson devenue très populaire, d’autant plus boostée par l’occupation britannique qu’a connue le pays. On retrouve bien sûr diverses marques internationales, bien que les bières chypriotes comme la Keo ou la Leon soient tout à fait respectables et souvent moins chères. Parmi toutes les liqueurs, l’ouzo occupe une place centrale. Il se consomme généralement à l’apéritif. On peut le boire sec avec un glaçon ou le diluer dans de l’eau glacée, qu’il rendra laiteuse comme du pastis. Parfumé à l’anis, il titre généralement autour de 40°. Dans un restaurant, il est souvent moins cher de commander une petite bouteille pour deux ou trois personnes plutôt que de prendre des verres séparés. La zivania est une eau-de-vie de raisin parfois abusivement appelée « brandy de Chypre ». Le filfar est une délicieuse liqueur d’oranges parfois bue avec un café. Mais on peut aussi imiter certains locaux : dans de petits verres spéciaux ressemblant à nos verres à liqueur, on verse du filfar à ras bord. On enflamme alors les bords du verre, ce qui donne une petite couronne de flamme bleue. Quelques secondes après, on souffle sur ce cercle enflammé et l’on vide son verre, évidemment cul-sec.