Site archéologique de Kourion © Lucky-photographer - Shutterstock.com.jpg
Icones religieuses dans l'église Panagia Forviotissa Asinou © Heracles Kritikos - Shutterstock.com.jpg

De la sculpture préhistorique à l’Antiquité

Les plus vieilles traces d’expression artistique à Chypre se retrouvent dans des pratiques sculpturales dont les plus anciennes remontent à l’âge du cuivre, 3 000 ans avant notre ère, à l’image de l’Idole de Pomos, du nom du petit village où elle fut découverte. Cette statuette en forme de croix est emblématique de l’art préhistorique chypriote, et illustre même les euros du pays ! Elle est visible au Musée archéologique de Chypre à Nicosie. De nombreuses sculptures de ce type sont également dispersées à travers le pays. L’île compte de nombreux sites archéologiques et beaucoup d’entre eux datent de la période hellénistique. Nous pouvons ainsi découvrir au District Museum de Limassol une tête d’Apollon trouvée dans le sanctuaire dédié au dieu à Kourion, où l’on peut encore admirer d’anciennes ruines grecques. L’île conserve de nombreux ensembles en marbre de cette époque, comme au Parc archéologique de Paphos ou encore au temple d’Aphrodite d’Amathonte.

Une histoire de l’art dominée par les icônes peintes

En raison de la qualité, de l’abondance et de la richesse de ses représentations hagiographiques, Chypre est parfois surnommée « l’île des saints ». Les nombreuses influences subies au cours des siècles ont renforcé l’identité culturelle chypriote et son attachement à l’art religieux. L’art des icônes s’est perpétué et maintenu sans interruption durant quatorze siècles, malgré les épreuves douloureuses vécues au cours des occupations successives à partir de l’effondrement de l’Empire byzantin. C’est pourquoi Chypre trouve, dans la peinture des icônes, son expression la plus traditionnelle. De nombreuses œuvres sont d’ailleurs classées par l’Unesco. La plus ancienne icône en couleur est une icône, la Vierge à l’Enfant, datée de la fin du VIIe siècle. Les œuvres antérieures au XIe siècle se démarquent nettement de celles qui suivent, largement influencées par les artistes de Constantinople. À partir du début du XIIIe siècle, les arrivées successives de Richard Cœur de Lion, des Francs sous les Lusignan, et enfin des Vénitiens apportèrent des vagues d’influences nouvelles à l’art chypriote. Aujourd’hui, l’art des icônes continue de prospérer, avec un retour aux traditions byzantines. On pourra consulter sur le sujet l’excellent ouvrage du Dr Sophocles Sophocleous, Les Icônes de Chypre du VIIe au XXe siècle, au Centre d’héritage culturel à Nicosie.

L’héritage de Philippos Goul (XVe-XVIe siècles) et l’art religieux

Les artistes des églises peintes du Troodos sont souvent restés anonymes, s’effaçant humblement derrière leurs mécènes et les représentations bibliques. Philippos Goul, grand maître de la peinture chypriote, est l’un des rares faisant exception. À la fin du Moyen Âge, sa réputation est telle qu’il va apposer son nom sur les murs de trois édifices différents : en 1495, au monastère d’Agios Mamas de Louvaras, entre 1494 et 1505 dans l’église Timios Stavros Agiasmati de Platanistasa, et, au début du XVIe siècle, dans celle de Metamorfosis tou Sotiros à Palaichori. C’est l’artiste le plus en vue de l’époque : il plaît aussi bien au clergé orthodoxe, aux nobles francs qu’aux Vénitiens qui viennent d’acquérir Chypre (1489). On le surnomme « le Rouge » pour la couleur qu’il utilise avec force et nuances dans ses fresques aux mille détails. Les épaules larges et la tête forte des personnages de Philippos Goul s’inscrivent dans la tradition de « l’école macédonienne » (867-1056). Le peintre s’ouvre à la culture chypriote où coexistent des influences grecques, latines, arméniennes et arabes. L’île a aussi été marquée au XIIIe siècle par l’art des croisades ou « manière chypriote » : certains codes iconographiques catholiques ont été peu à peu intégrés à un art local populaire dit « naïf ». Ces différentes caractéristiques se retrouvent chez Goul : un trait parfois malhabile, la récurrence de thèmes chers à l’Occident comme l’Exaltation de la Sainte Croix, et l’extrême minutie architecturale des arrière-plans. Il semble hésiter entre le réalisme occidental et la simplicité assumée byzantine, et puise dans ces différents registres sans originalité. Les experts de l’Unesco le décrivent même comme un artiste « sans style ». On peut aussi percevoir dans cet enchevêtrement de styles la fin d’un âge d’or. Avec la prise de l’île par les Ottomans en 1570, bien que plusieurs édifices religieux soient transformés en mosquées, l’Église orthodoxe retrouve une puissance morale, politique et financière qui lui avait été confisquée depuis quatre siècles. Contraints au classicisme et coupés des grandes évolutions de l’art occidental (de la Renaissance aux Lumières), les peintres chypriotes vont peu à peu cesser de se réinventer.

De la modernité tardive à l’émergence de l’art contemporain

La peinture chypriote peine donc à s’extraire de l’iconographie religieuse. Michael Kashalos (1885-1974) fait partie des artistes qui marquent l’entrée tardive de l’île dans l’époque moderne. Ce peintre autodidacte consacra l’essentiel de ses travaux à la description du folklore chypriote. Ses tableaux, qui s’étalent sur soixante ans de pratique, représentent un panorama exhaustif de la société locale. Son style est marqué par les icônes byzantines, comme en témoignent les têtes volumineuses de ses personnages dans Paysage avec des travailleurs des champs. Il marque ainsi le passage de l’île dans les arts profanes, tout en conservant des traits caractéristiques de la peinture religieuse. On peut admirer plusieurs des œuvres de ce chroniqueur de la vie et de l’histoire de l’île au XXe siècle au musée Pierides de Larnaka.

Avec l’indépendance de Chypre en 1959, un vent de liberté souffle pour les artistes chypriotes, à l’image de Stass Paraskos (1933-2014). Parti pour l’Angleterre à 19 ans, il entreprend de brillantes études de peinture au Leeds College avant de connaître un succès mondial. Paraskos a très tôt considéré Matisse, Gauguin et Chagall comme ses maîtres. Son statut d’immigré lui fait comprendre la singularité et la richesse de l’identité chypriote. Tout en restant fidèle à sa conception de la peinture, il s’inspire du folklore et des couleurs de son pays natal. Ses peintures illustrent la vie rurale chypriote, l’histoire tourmentée de l’île, l’amour, la vie, la mort, toujours sur un mode lyrique et romantique. Il fonde à Lempa, près de Paphos, le Cyprus College of Art. En 2005, sa série Routes de la Liberté représente Chypre lors de la XXIIIe Biennale de Sao Paulo. C’est la première fois depuis 25 ans que l’île est présente lors de cette grande manifestation culturelle.

Une collection représentative des peintures et sculptures d’artistes chypriotes du XXe siècle est offerte par la Collection nationale d’art moderne à Nicosie. Le Centre des arts de Nicosie, situé dans une ancienne usine d’électricité, organise d’importantes et célèbres expositions. Son objectif est de contribuer au développement de l’art contemporain et de la créativité nationale. Vous trouverez aussi des galeries et des centres d’art dans les villes de Larnaka et Limassol. Par ailleurs, le MOCA de Chypre abrite une Galerie d’État d’Art contemporain pour promouvoir l’art chypriote des XXe et XXIe siècles. Elle propose des expositions d’art contemporain temporaires, avec le projet, à long terme, de créer un musée.

Une histoire photographique marquée par les studios familiaux

La photographie a été amenée sur l’île par des non-natifs qui, pour certains, s’y installèrent, à l’image de l’Arménien Haigaz Mangoian qui fonde un studio sur l’île. Les photographies de Mangoian ont une valeur historique remarquable, documentant la vie des insulaires, entre ports et lieux de culte. Un autre Arménien du nom de Vahan Avedisian fonde un studio sur l’île dans les années 1920. Avec son frère, il prospère dans l’industrie des cartes postales qui rend le studio familial populaire aussi bien auprès des touristes que de la population locale. C’est le Français John P. Foscolo qui fut cependant le premier à photographier l’île à la fin des années 1850, alors en déplacement dans le cadre d’un voyage d’études sur les châteaux des croisés. C’est avec les trois photographies connues de ce voyage que commence l’histoire du médium à Chypre. En 1878, emménageant à Limassol, John P. Foscolo devient le photographe officiel de l’armée britannique. Ses liens avec les classes supérieures de l’île lui permettent de documenter les premières décennies du XXe siècle (1900-1920) et la formidable croissance que l’île connaît à cette époque ; c’est aussi sa période la plus fructueuse.

Du côté des insulaires, Ahmet Sevki est le père de ce nouvel art. À compter de 1887, il débute une pratique amateur à laquelle il initie rapidement sa femme, Ismet Hanim. Peu à peu, ils se professionnalisent et fondent un studio au début des années 1900. De nombreux autres fleurissent sur l’île, un peu sur le même format. Ils répondent au désir grandissant des portraits et photos de famille. Cette première vague de photographes chypriotes, dont les tampons garnissent les albums de famille, est encore bien connue chez les insulaires. Encore très peu représentée aujourd’hui et encore moins documentée, la photographie contemporaine chypriote sort difficilement des sentiers battus du travail de commande où perdure la vieille tradition des photographies de famille et de mariage. Le travail d’Helena Georgiou (1985-) se distingue toutefois par son minimalisme affirmé. Elle photographie ainsi des présences humaines dans des cadres et espaces très graphiques et schématiques, en noir et blanc comme en couleur. Les corps s’intègrent à une poésie de formes abstraites ou, au contraire, viennent perturber la lecture de ces espaces que l’on croirait être des plans. Elle est membre de la sélective Cyprus Photographic Society et reçoit de nombreuses récompenses à travers le monde, dont le prix EYE du Parlement européen en 2018.

Le street art chypriote, un essor récent

Sur cette île à la culture hybride et millénaire, certains pourront se dire qu’il reste peu de place pour la culture street art qui se développe depuis moins d’un demi-siècle autour du globe. Et pourtant, ici, les fresques antiques côtoient celles des peintres d’un nouveau temps. Le Festival international de Street Art à Ayia Napa voit au fil des éditions des fresques pérennes proliférer. Cette ville de bord de mer aux façades claires arbore chaque printemps de nouvelles couleurs depuis 2014. Des artistes comme L7M, un Brésilien bien connu dans le milieu du graff, se sont ainsi emparés des murs de cette petite ville pour le plus grand bonheur de ses habitants et des touristes. Évidemment, de nombreuses œuvres sont visibles dans les deux plus grandes villes de l’île, Nicosie et Limassol, qui restent bien pourvues en street art. On compte parmi les représentants de la culture street de la capitale le talentueux 23, auteur notamment du portrait d’un grand-père lisant le journal qui orne le mur d’un terrain vague. Pour les passionnés, le site culturetrip propose un tour des lieux emblématiques du street art à Nicosie (https://theculturetrip.com/europe/cyprus/articles/a-street-art-tour-of-old-nicosia/).