Entre 9100 et 8600 av. J.-C.

Klimonas : le plus vieux village chypriote

En 2011, une équipe d’archéologues franco-chypriotes fait une découverte fondamentale sur la commune d’Agios Tychonas, sur la côte sud, à 10 km au nord-est de Limassol. Le site appelé Klimonas révèle le plus ancien habitat humain à Chypre, daté d’il y a environ 11 000 ans. Jusqu’alors, les plus vieux sites mis au jour sur l’île avaient 9 000 ans environ. Klimonas comporte les traces de constructions circulaires, des agencements en terrasse, des objets de parure, ou encore des pointes de projectiles. On n’y a trouvé en revanche aucun fragment de poterie. Les hommes qui habitaient ici n’étaient plus vraiment des chasseurs-cueilleurs, mais des sédentaires maîtrisant l’agriculture. Cette découverte ne permet pas de savoir d’où venaient exactement les premiers habitants de Chypre, mais on imagine qu’ils étaient originaires de la région, c’est-à-dire du Proche-Orient. L’homme a alors eu un impact considérable sur l’écosystème. À peu près au même moment que l’occupation du site de Klimonas, les éléphants et hippopotames nains de Chypre disparaissent. Ils sont remplacés par de nouvelles espèces apportées du Proche-Orient, comme le mouton sauvage qui donnera plus tard le mouflon de Chypre. Toujours à la même période, Chypre est aussi un des premiers foyers au monde pour la domestication du chien et du chat. Bref, avec Klimonas, ce sont les pièces d’un grand puzzle qui commencent à se mettre en place. Reste toutefois une énigme de taille : pourquoi l’île est-elle restée aussi longtemps sans hommes ?

De 7000 à 3800 av. J.-C.

La culture de Choirokoitia

Le site archéologique de Choirokoitia (prononcez « chi-ri-ki-tia »), à mi-chemin entre Limassol et Larnaka, est ouvert aux visites et classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1998. Mis au jour en 1934, il est considéré comme essentiel pour la compréhension des sociétés humaines en Méditerranée au Néolithique. Ainsi, les chercheurs ont donné le nom de « culture de Choirokoitia » à l’ensemble des sites de la même période à Chypre. Le village de Choirokoitia fut lui-même occupé entre le VIIIe et le Ve millénaire avant notre ère avec une longue interruption avant d’être complètement abandonné. On y retrouve des habitations circulaires comme à Klimonas, mais surtout des remparts de plus de 2 m de hauteur. Pour les archéologues de l’École française d’Athènes, en charge du site depuis 1977, ce système défensif indique une nouvelle organisation, sans doute les prémices de l’État. Mais, vers 3800 av. J.-C., une éruption volcanique cause la disparition de l’homme à Chypre pendant trois siècles.

À partir de 3500 av. J.-C.

La révolution du cuivre

Ici commence une période de quatre millénaires qui va être décisive non seulement pour Chypre, mais pour l’ensemble des civilisations de la région. L’île possède en effet dans le Troodos les plus importants gisements de cuivre de Méditerranée. Ce métal va révolutionner les équipements et l’organisation des armées, mais aussi attirer les convoitises. Son exploitation débute vers 3500 av. J.-C. grâce à l’installation à Erimi (au nord d’Akrotiri) de colons venus d’Anatolie (actuelle Turquie). Puis, vers 3200 av. J.-C., les habitants découvrent le bronze, alliage obtenu en ajoutant de l’étain au cuivre. Dès lors, l’âge du bronze se traduit par une longue période de prospérité pour l’île. Les années 2000-1500 av. J.-C. sont marquées par des troubles, mais aussi par des échanges commerciaux soutenus avec les Minoens de Crète, les Hittites d’Anatolie, les Assyriens, les Phéniciens et les Égyptiens. Ces derniers créent un important comptoir à Enkomi (près de Famagouste) pour exporter le cuivre, tandis que des colons minoens sont à l’origine du premier alphabet chypriote, le syllabaire chypro-minoen, vers 1550 av. J.-C. L’île, alors nommée Asalya, est intégrée à l’Empire hittite, mais elle continue d’être colonisée pacifiquement par les Phéniciens, puis par les ancêtres des Grecs : les Mycéniens, les Achéens et les Doriens.

Du XIe au IVe siècle av. J.-C.

Des cités-royaumes gréco-orientales

À partir du XIe siècle av. J.-C., l’île se structure en une dizaine de cités indépendantes. Le plus souvent fondées par les Grecs et contrôlées par des nobles, elles tirent leur richesse du cuivre et de la plaine fertile de la Mésorée. Il en subsiste notamment les magnifiques ruines de Salamine (Famagouste), d’Amathonte (Limassol) et de Kourion (Akrotiri). Soumises par les Assyriens au VIIIe siècle av. J.-C., les cités-royaumes retrouvent leur indépendance un siècle plus tard. Mais elles restent marquées par cette présence orientale. Ainsi, la déesse grecque Aphrodite est d’abord vénérée dans l’île sous les traits de la divinité babylonienne Ishtar ou de la déesse phénicienne Astarté. Au VIe siècle av. J.-C., après une courte période égyptienne, les cités-royaumes sont dominées par l’Empire perse, contraintes de verser un tribut en échange de leur indépendance. Cela les amène à se rapprocher des ennemis des Perses, les Grecs. L’influence de ceux-ci devient prépondérante, en particulier dans les arts. En 499 av. J.-C., l’ensemble de l’île, à l’exception d’Amathonte, se révolte. Mais les Perses l’emportent dès l’année suivante. Ils détruisent la cité de Soli (Morphou), puis favorisent l’essor d’Amathonte et de Kition (Larnaka) en leur confiant le contrôle du cuivre. Salamine, pour sa part, se lie avec Athènes. Et c’est par l’intermédiaire de son grand roi Evagoras que l’alphabet grec arrive à Chypre au début du IVe siècle av. J.-C.

De 334 à 30 av. J.-C.

Période hellénistique : une île gréco-égyptienne

En 334 av. J.-C., deux ans après qu’Alexandre est monté sur le trône de Macédoine, les Chypriotes se joignent à lui pour vaincre les Perses. Le plus célèbre conquérant de l’histoire utilise leurs talents de marins pour s’emparer de la Syrie (332 av. J.-C.), de l’Égypte (331 av. J.-C.) et voguer jusqu’à l’Inde (326 av. J.-C.). La noblesse chypriote en tire quelques avantages. Mais l’indépendance promise aux cités-royaumes reste très théorique : Alexandre impose une monnaie unique et s’approprie les mines de cuivre. À sa mort, en 323 av. J.-C., Chypre se retrouve au cœur de la guerre qui oppose ses généraux Ptolémée, établi en Égypte, et Antigone le Borgne, nouveau roi de Macédoine. Les cités-royaumes s’affrontent en combats fratricides. L’armée et la flotte de Ptolémée sont vaincues à Chypre lors de la décisive bataille de Salamine, en 306 av. J.-C. Mais Ptolémée revient sur l’île par deux fois, s’imposant définitivement en 294 av. J.-C. La dynastie hellénistique qu’il fonde en Égypte, dite des Ptolémées ou des Lagides, va contrôler Chypre jusqu’à la mort de sa dernière héritière, Cléopâtre, en 30 av. J.-C. Pendant trois siècles, l’île est complètement hellénisée. Mais ses ressources sont surexploitées. Si bien qu’à l’arrivée des Romains ses mines de cuivre sont presque vides.

De 31 av. J.-C. à 370 apr. J.-C.

Période romaine : prospérité et explosion de violence

Classées au patrimoine mondial de l’Unesco, les somptueuses mosaïques des IIe-IVe siècles du parc archéologique de Paphos en témoignent : Chypre fut l’une des plus riches provinces romaines. Malgré le net ralentissement de l’activité minière, l’élite locale parvient à se diversifier avec l’huile d’olive, les céréales, le vin, le bois, le verre, la construction navale et le commerce. Décorant les riches villas de la capitale provinciale, ces mosaïques ornées de scènes de la mythologie grecque et de discrets symboles chrétiens sont aussi le reflet d’une nouvelle société où les classes dirigeantes chypriotes et romaines partagent les mêmes valeurs de l’hellénisme et du christianisme naissant. Mais derrière cette façade, Chypre est traversée de vives tensions. Depuis le règne de Ptolémée, l’île compte une importante minorité juive. Or, les relations entre les juifs et les Gréco-Romains de l’Empire ne cessent de se dégrader, en particulier après la destruction du temple de Jérusalem, en 70. En 116, elles rejaillissent à Chypre avec une violence d’une ampleur inouïe : en quelques jours, les révoltés juifs massacrent la moitié de la population. Une légion doit être dépêchée pour reconquérir Paphos et l’île sera désormais interdite aux juifs. Le thème de la « trahison des juifs » est abondamment repris dans les textes chrétiens, en oubliant de préciser que les juifs ont constitué le premier cercle des convertis chypriotes. Peu à peu, les anciens dieux ne sont plus honorés et le culte d’Aphrodite « la Chypriote » disparaît au IVe siècle.

Mosaïques romaines sur le site de Paphos © Alexander Tolstykh - Shutterstock.com.jpg

370-1191

Empire byzantin : une île romaine sous influence arabe

Pour les Chypriotes, le passage de l’Empire romain à l’Empire byzantin n’a jamais eu lieu. Il s’agit du même empire, dont la capitale a été transférée en 330 de Rome à Byzance, sur le Bosphore, et bientôt renommée Constantinople en l’honneur du premier empereur chrétien, Constantin. Et ceux que l’on appellera bien plus tard les « Byzantins » se sont toujours désignés eux-mêmes comme des « Romains ». Si le grec devient la langue officielle de ce nouvel Empire romain d’Orient, il supplantait déjà le latin dans les provinces orientales depuis des siècles. Enfin, le christianisme, religion unique des Romains depuis 392, est déjà largement répandu, en particulier à Chypre. Mais, pour l’heure, peu de choses changent à Chypre. La construction d’églises et de monastères s’accélère, le plus souvent à l’emplacement des anciens temples grecs. Comme plusieurs cités, Salamine est détruite par des tremblements de terre à la fin du IVe siècle. Rebâtie, elle devient la capitale provinciale sous le nom de Constantia. L’administration romaine demeure quant à elle toujours aussi efficace. Et, alors que les mines de cuivre sont abandonnées, le commerce s’impose comme moteur de l’économie chypriote. L’Empire est toutefois menacé par la naissance d’une nouvelle religion, l’islam, en 611. Dès 640, les troupes arabes islamisées s’emparent de l’Égypte. Affaiblie, Chypre tombe à son tour en 649. Au cours de la conquête de l’île, Umm Harâm, nourrice du prophète Mahomet, meurt près de Larnaka. Son mausolée du superbe tekké Hala Sultan est aujourd’hui l’un des principaux lieux saints de l’islam. Mais, en dehors de cela, l’héritage arabo-musulman à Chypre est aujourd’hui relativement faible. En effet, en 688, l’empereur Justinien II et le calife Abd Al-Malik parviennent à un accord pour gérer ensemble l’île. Pendant trois siècles, Chypre sera ainsi un cas unique : tandis que les Arabes contrôlent l’armée et la fiscalité, les Byzantins conservent le pouvoir religieux et administratif. En 911, l’île réintègre complètement l’Empire byzantin tout en continuant d’entretenir des liens étroits avec le monde arabe. Et, en 1185, après une tentative de coup d’État du dernier gouverneur byzantin, Issac Comnène, Chypre se retrouve isolée, une proie facile pour les conquérants d’Occident.

1192-1489

Dynastie des Lusignan : le temps des cathédrales

Aujourd’hui ornées des drapeaux de la Turquie et de l’autoproclamée République turque de Chypre Nord, les deux grandes mosquées de Nicosie-Nord et de Famagouste ont fière allure. Elles sont aussi les symboles les plus visibles de l’héritage français à Chypre. Ces bâtiments gothiques en pierre de couleur miel furent à l’origine des cathédrales catholiques, érigées par certains des ouvriers qui avaient œuvré à l’érection de Notre-Dame de Paris. Tout commence à l’époque des croisades, lorsque le roi anglais Richard Cœur de Lion débarque presque par hasard sur l’île, en 1191. Après une victoire rapide contre Issac Comnène, Chypre est en sa possession. Et comme il ne veut pas la conserver, il la vend à l’ordre des Templiers dès l’année suivante. Mais les moines-soldats catholiques rencontrent une forte opposition de la population orthodoxe. En mai 1192, Chypre échoit au puissant comte poitevin Guy de Lusignan, qui a déjà pris le titre de roi de Jérusalem en 1186. Celui-ci fonde le royaume de Chypre et 11 rois français lui succéderont. Pendant trois siècles, les Lusignan soumettent l’île à un système féodal brutal, où les nobles latins et les ordres religieux catholiques s’approprient les meilleures terres. De cette société divisée et inégalitaire naît toutefois une étonnante culture franco-chypriote et même franco-arabo-chypriote. Pour se faire bien voir de la paysannerie, les seigneurs catholiques érigent de multiples petites églises orthodoxes où se côtoient styles gothique et byzantin. La décoration de certaines d’entre elles est confiée à de renommés peintres arabes chrétiens réfugiés à Chypre. Il en subsiste quelques exemples, comme le fabuleux ensemble des dix églises peintes du Troodos, classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Au fur et à mesure du recul des croisés en Terre sainte, la dynastie des Lusignan s’affaiblit, devant faire face aussi bien aux Mamelouks d’Égypte, aux Turcs ottomans qu’aux cités marchandes d’Italie. Le dernier roi de Chypre, Jacques II, meurt en 1473. Il laisse l’île aux mains de son épouse, la Vénitienne Catherine Cornaro. Attaquée par les Napolitains et les Génois, elle n’a d’autre choix que d’abdiquer en faveur de Venise, le 26 février 1489.

1454-1510

Catherine Cornaro

Étrange destin que celui de cette Vénitienne qui fut la dernière reine française de Chypre, de 1473 à 1489. La dynastie poitevine des Lusignan règne sur l’île depuis 1192, mais elle s’est endettée auprès des villes marchandes italiennes. C’est donc un mariage arrangé qui est conclu entre le roi Jacques II et la belle Catherine, assorti d’énormes avantages commerciaux pour Venise. La cérémonie a lieu le jour même de son arrivée, en novembre 1472, dans la cathédrale de Famagouste. Dès l’année suivante, Jacques décède. Enceinte de lui, Catherine règne seule. Mais leur fils, Jacques III, meurt à son tour en 1474. Dès lors, les complots en vue de récupérer le trône se multiplient, tant de la part des autres lignées des Lusignan que des cités italiennes. Uniquement soutenue par le sultan du Caire, Catherine est finalement contrainte d’abdiquer en faveur de Venise, quittant l’île le 14 mars 1489.

Gravure representant Caterina Cornaro © Nastasic - iStockphoto.com.jpg

1489-1571

Période vénitienne : une fin inéluctable

Dès 1489, les Ottomans lancent un premier raid sur la péninsule de Karpas. Les Vénitiens sont donc prévenus. Ils savent qu’ils vont devoir défendre ardemment l’île qu’ils rêvaient de posséder depuis l’an mil, dernière puissance chrétienne en Méditerranée orientale depuis la chute de Constantinople en 1453. La Sérénissime recrute les meilleurs architectes militaires pour fortifier trois villes chypriotes : les ports de Kyrenia et de Famagouste ainsi que l’ancienne capitale des Lusignan, Nicosie, dont les magnifiques remparts en étoile sont érigés à partir de 1557. Mais le reste de l’île ne change guère. Au grand dam des Chypriotes, le système féodal reste en place, parfois avec les mêmes familles nobles françaises aux noms tout juste italianisés. Les faibles troupes vénitiennes ne peuvent donc compter sur le soutien de la population quand les Ottomans débarquent le 1er juillet 1570. Faute de défense, Limassol est la première ville à tomber, dès le lendemain. À la tête de 600 000 hommes, le général Lala Mustafa Pacha assiège Nicosie à partir du 22 juillet. Malgré les supplications des habitants, le gouverneur Niccolò Dandolo refuse de se rendre. Aussi, quand la ville est prise le 9 septembre, 20 000 personnes sont massacrées jusque dans la cathédrale Sainte-Sophie. Épouvantée par la nouvelle, la garnison de Kyrenia se rend sans même combattre, le 14 septembre. Trois jours plus tard commence le long siège de Famagouste. Ravitaillée par la mer, la cité marchande parviendra à tenir près d’un an, jusqu’au 5 août 1571. Malgré leur reddition, le gouverneur Marcantonio Bragadin et les défenseurs sont mis à mort avec une telle cruauté que Lala Mustafa Pacha portera désormais le surnom de Kara (« le noir » en turc). La fin tragique de la présence vénitienne à Chypre horrifie l’Europe et inspirera bientôt à Shakespeare sa pièce Othello.

1570-1821

Pragmatisme ottoman et colonisation turque

La conquête ottomane a au moins un avantage pour Chypre : l’île renoue des liens étroits avec le Proche-Orient dont elle avait été progressivement coupée depuis les Lusignan. Érigé en 1572, ce « grand caravansérail » demeure aujourd’hui l’un des plus beaux exemples architecturaux de l’héritage ottoman à Chypre. Ainsi, pour les besoins du commerce, les Ottomans couvrent l’île d’un réseau de 23 caravansérails, des auberges-entrepôts où les négociants, leurs montures et leurs marchandises peuvent passer la nuit en sécurité. Premier gouverneur ottoman de Chypre, le terrible, mais très pragmatique, Lala Mustafa « Kara » Pacha encourage une partie de ses troupes à rester sur place en leur confiant des terres abandonnées. Et, toujours par pragmatisme, une large partie du pouvoir politique est confiée à l’Église orthodoxe grecque, qui conserve son siège à Constantinople, la capitale ottomane. C’est le système du millet qui divise la société entre religions, mais assure une protection théorique aux non-musulmans. Ainsi, les paysans chrétiens conservent leurs terres et doivent s’acquitter des taxes ottomanes auprès du clergé grec. Mais, tandis que les églises orthodoxes sont épargnées, celles des catholiques sont les premières à être transformées en mosquées, comme les cathédrales de Famagouste et de Nicosie. Cette double tutelle ottomane et orthodoxe est mal vécue par la minorité catholique latine, arménienne ou maronite, qui préfère souvent l’exil ou la conversion à l’islam.

Le grand caravanserail à Nicosie © kirill_makarov - Shutterstock.Com.jpg

1821-1878

Tensions interethniques et ambitions britanniques

En juin 1821, plusieurs centaines de Chypriotes grecs rejoignent la Grèce pour participer à la Guerre d’indépendance contre les Ottomans. Les tensions montent et, le 15 octobre 1821, 41 membres du clergé orthodoxe sont massacrés par des musulmans. Le mouvement parti de Larnaka se propage à toute l’île, causant la mort d’environ 2 000 Chypriotes grecs et l’abandon de 62 villages jusqu’en 1822. Les autorités ottomanes reprennent ensuite le contrôle et le calme revient. Mais cette violence germe depuis longtemps entre les deux communautés. Sans compter que l’Église grecque est parfois plus puissante que les cadis (juges musulmans) et les gouverneurs grâce à ses relais auprès des vizirs et du sultan de Constantinople. Mais l’Empire ottoman s’affaiblit et ne peut entreprendre de véritables réformes. Depuis l’intervention des Russes, des Français et des Britanniques en Grèce en 1827, les Ottomans sont contraints d’accepter des compromis avec les grandes puissances. Ainsi, à partir de 1859, quand commence le creusement du canal de Suez en Égypte, les Britanniques montrent un intérêt grandissant pour Chypre. À l’issue de leur lourde défaite contre les Russes en 1877, les Ottomans se voient obligés d’abandonner de larges pans de leur empire. C’est ainsi que les Britanniques mettent habilement la main sur Chypre le 4 juin 1878.

1878-1914

Un territoire ottoman sous protectorat britannique

De Morphou à Larnaka, les belles villas coloniales, tantôt cossues et entourées d’un vaste gazon impeccable, tantôt modestes et alignées comme dans une rue anglaise, constituent l’un des aspects les plus sympathiques de l’héritage britannique à Chypre. Il est vrai, l’arrivée de la nouvelle puissance colonisatrice se traduit par une certaine modernisation de l’île. Mais une suite de malentendus et de vexations est à l’origine de la partition actuelle de l’île. En 1878, Chypre demeure officiellement ottomane. Dans les faits, suite à un accord secret entre Constantinople et Londres, l’île est passée sous contrôle direct d’un haut-commissaire britannique. Les Chypriotes grecs, largement majoritaires (74 % des 186 000 habitants), pensent qu’il s’agit d’une phase transitoire et que Londres va leur accorder l’Enosis (« union » en grec), c’est-à-dire le rattachement de Chypre à la Grèce. Les Chypriotes turcs (24 % de la population), eux, redoutent cette éventualité. Les Britanniques laissent planer le doute, entretenant aussi bien la possibilité de l’Enosis que celle de la Taksim (« division » en turc), c’est-à-dire le rattachement d’une partie de Chypre à l’Empire ottoman. Mais ils mécontentent les deux communautés en augmentant les taxes et en excluant tous les représentants chypriotes des institutions politiques locales.

1914-1925

Occupation militaire et exemple crétois

En 1914, l’entrée en guerre des Ottomans aux côtés des Allemands et des Austro-hongrois officialise le statut de colonie britannique de Chypre. Avant de devenir un territoire de la Couronne en 1925, l’île est d’abord placée sous administration militaire afin de mieux contribuer à l’effort de guerre de la Triple Entente (Royaume-Uni, Russie, France). Les revendications des deux principales communautés ethniques sont maintenues sous silence. Mais les tensions ne cessent de monter. D’un côté, les Chypriotes grecs imaginent l’Enosis plus proche que jamais. De l’autre côté, les Chypriotes turcs sont marginalisés. Et, surtout, ils voient l’ombre de la Crète se profiler. Cette ancienne île de l’Empire ottoman était jusqu’à présent peuplée pour moitié de Grecs et pour moitié de Turcs. En 1923, dix ans après le rattachement de la Crète à la Grèce, toute la population turque est brutalement chassée. Les Chypriotes turcs redoutent désormais que l’exemple crétois ne se reproduise. D’autant que l’Empire ottoman disparaît la même année.

1925-1960

Une colonie en ébullition

Le rattachement officiel à la Couronne en 1925 fait naître de timides espoirs avec la création d’un conseil législatif où siègent des représentants chypriotes. Mais les Britanniques conservent tous les pouvoirs. Et lorsque Londres annonce, en octobre 1931, n’avoir nullement l’intention de céder l’île à la Grèce, 5 000 Chypriotes grecs descendent dans les rues de Nicosie avec des pancartes pro-Enosis, puis mettent le feu au bâtiment du conseil législatif considéré inutile. La répression se solde par 5 morts et des milliers d’arrestations. Et, surtout, le nouveau haut-commissaire Sir Richmond Palmer met en place une véritable dictature qui vise en particulier les Chypriotes grecs. Surnommé la Palmerokratia (« le pouvoir de Palmer »), ce régime dure neuf ans, jusqu’en 1940. Londres lâche alors du lest pour s’assurer du soutien de la population face à la menace nazie en Méditerranée. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement britannique, passé aux mains des travaillistes, permet à l’île de se doter d’institutions plus démocratiques. En 1950, suite à un discours du roi de Grèce réclamant l’Enosis, l’Église orthodoxe grecque de Chypre organise un référendum en ce sens : 97 % des Chypriotes grecs soutiennent le rattachement à la Grèce. Le résultat est reconnu par les Nations unies. Mais, pour l’heure, comme Londres refuse de négocier, certains Chypriotes grecs passent à la lutte armée en fondant l’EOKA, l’Organisation nationale des combattants chypriotes, un mouvement pro-Enosis. Le 1er avril 1955, l’attaque de la prison de Nicosie marque le début de l’insurrection contre les Britanniques. Celle-ci va durer quatre ans et faire plus de 500 morts, dont les trois quarts causés par des bombes de l’EOKA. Les Britanniques parviennent à reprendre l’avantage en 1958. À ce stade-là, l’objectif de Londres n’est plus de conserver sa colonie chypriote, mais de maintenir sur l’île deux bases militaires. Le 16 août 1960, les pourparlers aboutissent à l’indépendance de la République de Chypre et à la création du Territoire des zones souveraines d’Akrotiri et de Dhekelia.

1960-1963

Un État sous influence grecque, turque et britannique

L’influence étrangère à Chypre n’a rien d’étrange : elle est inscrite dans la constitution. Si cette dernière proscrit tout projet d’Enosis ou de Taksim, elle reconnaît l’existence des bases d’Akrotiri et de Dhekelia comme possessions du Royaume-Uni, mais aussi la présence de petits contingents des armées de la Grèce et de la Turquie. La constitution désigne d’ailleurs ces trois pays tiers comme les garants de l’indépendance de la République de Chypre. Côté institutions, les diplomates sont parvenus à un résultat tout aussi surprenant. Le président de la République sera toujours un Chypriote grec élu par la communauté chypriote grecque et le vice-président, toujours un Chypriote turc élu par la communauté chypriote turque. Cela se veut aussi le reflet de la répartition démographique du pays en 1960 : 574 000 habitants, dont 77 % de Chypriotes grecs et 18 % de Chypriotes turcs.

1963-1964

Les faux pas de Makarios et la première division de l’île

La division de Chypre ne date pas de 1974, mais de 1963. Dès l’indépendance du pays, le 16 août 1960, c’est le chef de l’Église orthodoxe grecque de Chypre, Mgr Makarios III (1913-1977), qui est élu comme premier président du pays. Si celui-ci a fait partie du mouvement nationaliste de l’EOAK, il a toujours maintenu le dialogue avec les Chypriotes turcs et s’est déclaré opposé à l’Enosis. L’ecclésiastique bénéficie donc au départ d’un capital sympathie auprès des différentes communautés. Mais tout bascule en novembre 1963, lorsque Makarios modifie la constitution au sujet de la représentation ethnique dans les municipalités. Non seulement il favorise les Chypriotes grecs, mais il n’a pas pris la peine de consulter ni Athènes ni Ankara, comme l’y oblige la constitution. Aussitôt, le vice-président ainsi que tous les représentants et fonctionnaires chypriotes turcs démissionnent. Puis des violences éclatent partout dans l’île les 20 et 21 décembre. Ce qui sera surnommé le « Noël sanglant » entraîne la mort de plus de 500 personnes et le déplacement de 25 000 Chypriotes turcs vers la partie Nord. Ankara tient son armée prête à envahir l’île et Makarios commet un autre faux pas en demandant l’aide d’Athènes pour constituer une armée chypriote, la garde nationale. Le déploiement des Casques bleus et la création de la zone tampon en mars 1964 permettent d’apaiser les choses. Le pays est désormais coupé en deux par la « ligne verte », assurant une protection à la minorité chypriote turque dans la partie Nord en cas de besoin. Mais les différentes communautés vivent encore le plus souvent ensemble à travers l’île.

1913-1977

Mgr Makarios III

Le 8 août 1977, 250 000 personnes, soit près de la moitié de l’île, se pressent à Nicosie pour assister à ses funérailles. Malgré de nombreux faux-pas, le premier président de la République de Chypre bénéficiait d’un immense respect, y compris de la part des Chypriotes turcs qui le voyaient comme le seul rempart contre la menace de l’Enosis. Cette « union » avec la Grèce, il en avait pourtant été l’un des principaux promoteurs dès sa nomination comme primat de l’Église orthodoxe de Chypre, en 1950. Né Michalis Christodoulou Mouskos, il avait lutté contre les Britanniques en soutenant le groupe armé EOKA en 1955. Pour cela, il fut condamné à l’exil, en 1956, mais parvint à entamer les négociations qui menèrent à l’indépendance en 1960. Renonçant alors à l’Enosis, il s’attira les foudres de l’EOKA et de la junte militaire grecque, jusqu’à provoquer le coup d’État à l’origine de l’invasion turque.

Makarios III © photoshooter2015 - Shutterstock.com.jpg

1967-1974

Provocations grecques et impasse des négociations

Le 21 avril 1967, la Grèce est secouée par un coup d’État qui porte au pouvoir une junte militaire, la dictature des colonels. Ces militaires d’extrême droite ont fait de l’Enosis leur thème de prédilection. Cette fois, Makarios se fait le défenseur des Chypriotes turcs et refuse de se plier au diktat d’Athènes. Mais il ne peut empêcher l’EOKA de massacrer 27 civils chypriotes turcs en novembre 1967. L’escalade d'un conflit entre la Grèce et la Turquie est une nouvelle fois désamorcée par l’Onu et les États-Unis. Makarios donne quant à lui des gages de bonne volonté en faisant dissoudre l’EOKA. En revanche, il refuse toute concession aux représentants chypriotes turcs qui réclament davantage d’autonomie au sein des municipalités.

15 juillet-23 juillet 1974

Coup d’État des colonels grecs à Chypre

En 1974, la dictature des colonels est sur le point de s’effondrer en Grèce. Mais elle pense encore pouvoir renverser la situation en réalisant enfin l’Enosis. À Chypre, la population est exaspérée par l’échec des négociations et Makarios est de plus en plus isolé. Autour de l’EOKA, qui s’est reformée clandestinement sous le nom d’EOKA-B, se regroupent des officiers de l’armée grecque et de la garde nationale chypriote aux ordres d’Athènes. Le 15 juillet, au petit matin, les putschistes lancent l’attaque contre le palais présidentiel, à Nicosie. À 8h du matin, sur la télévision publique nationale, ils annoncent que Makarios est mort et qu’ils ont pris le pouvoir. Mais une petite chaîne privée de Paphos diffuse un autre message, celui de Makarios disant qu’il est en vie et qu’il est parvenu à se réfugier à l’étranger. Sorti indemne de l’incendie de son palais, il a été exfiltré par les Britanniques et se trouve alors en route pour les Nations unies, à New York. Le calme revient. Et quand Makarios prend la parole à New York, le 19 juillet, il accuse la Grèce d’avoir voulu s’emparer de Chypre. Désavoués, les putschistes abandonneront le pouvoir au bout de neuf jours, le 23 juillet. Et, dès le lendemain à Athènes, la junte s’effondre à son tour. Mais il est déjà trop tard. Invoquant la constitution chypriote, qui prévoit une assistance de sa part en cas d’invasion, la Turquie a lancé son armée à l’assaut de l’île depuis le 20 juillet.

20 juillet-18 août 1974

L’invasion turque

Près de Kyrenia, au-dessus de la jolie plage de Pentemili, se dressent aujourd’hui le monument et le musée de la Paix et de la Liberté. C’est là que les premiers éléments de l’opération « Attila I » ont débarqué, le 20 juillet 1974, à 5h45 du matin. D’abord peu nombreuses, les troupes turques (3 000 hommes) rencontrent une forte résistance de la part du contingent de l’armée grecque (2 000 hommes) et de la garde nationale chypriote (12 000 hommes). Elles parviennent toutefois à s’emparer de Kyrenia le 22 juillet, tandis que quelques parachutistes turcs se retrouvent isolés aux abords de Nicosie. Les véritables combats cessent le lendemain. L’armée turque occupe alors seulement 7 % de l’île. Faute de renforts encore suffisants, elle pourrait être repoussée à la mer. Mais les militaires grecs et ceux de la garde nationale préfèrent se concentrer ailleurs. Par vengeance, ils vident les quartiers et les villages à majorité chypriote turque. Et bientôt on assiste à un immense chassé-croisé de réfugiés : les habitants chypriotes grecs de Kyrenia fuyant l’armée turque croisent sur leur chemin des Chypriotes turcs de Nicosie, de Paphos ou de Larnaka, expulsés le plus souvent par des foules rageuses qui détruisent les maisons et mosquées abandonnées. Ces exactions servent alors de prétexte à Ankara pour déclencher l’opération « Attila II », le 14 août, avec plus de 40 000 soldats appuyés par 20 000 militants chypriotes turcs. Deux divisions complètes foncent vers la « ligne verte » tenue par les Casques bleus depuis 1964. Elles n’iront pas plus loin. Mais, sur leur passage, elles balayent toute résistance et s’emparent de Morphou, de Famagouste et de la moitié nord de Nicosie. Le 18 août, à 18h, les soldats turcs ont atteint leurs objectifs, contrôlant près de 36 % de l’île. Le cessez-le-feu réclamé par l’Onu intervient enfin. En un mois, le conflit a causé la mort de près de 2 000 combattants dans les deux camps, dont la moitié sont des membres de la garde nationale chypriote officiellement portés disparus. À cela s’ajoute la mort de 9 Casques bleus et, pour la population, environ 3 000 morts et 1 400 disparus. Les réfugiés représentent alors près de la moitié de la population de l’île : ils seraient entre 200 000 et 265 000, aux trois quarts des Chypriotes grecs et maronites de Chypre chassés de la partie Nord.

Musée de la Paix et de la Liberté © Nejdet Duzen - Shutterstock.Com.jpg

28 avril 1975

Début des (interminables) négociations pour la réunification

Moins d’un an après l’invasion turque, le secrétaire de l’Onu, Kurt Waldheim, lance le dialogue en vue de la réunification de l’île. Et cela s’annonce plutôt bien, puisque dès janvier 1977, le président Makarios et le représentant des Chypriotes turcs Rauf Denktaş (1924-2012) parviennent à un accord sur une nouvelle organisation du pays sous la forme d’une fédération. Mais Makarios décède en août 1977. Il est remplacé par le nouveau président Spyros Kyprianou (1932-2002), et alors les choses commencent à s’enliser. À chaque nouvel accord en vue, les négociateurs échouent sur des aspects techniques. Outre le point essentiel du retrait des troupes turques de la partie Nord, l’un des obstacles les plus récurrents est la question des centaines de milliers de propriétés foncières abandonnées depuis 1963. L’ensemble de ces dossiers « immobiliers » ouvre d’autres questions. Les familles peuvent-elles revenir là où tout a changé et vivre mêlées à des habitants d’autres communautés ? Très rapidement, un nouvel obstacle apparaît : celui des « colons turcs ». Car à partir de 1975, la Turquie encourage près de 200 000 étrangers turcophones à venir s’installer dans la partie Nord. C’est une infraction à la Convention de Genève sur les territoires occupés et un casse-tête de plus.

13 novembre 1983

Création de la « République turque de Chypre-Nord »

Depuis 1967, les Chypriotes turcs ont fondé plusieurs entités autonomes, comme l’État fédéré turc de Chypre en 1975. Jamais reconnues, ni par l’Onu, ni par la République de Chypre, ces différentes structures étaient pourtant conçues pour s’intégrer dans une éventuelle fédération réunissant toute l’île. Mais cette fois, c’est différent, puisque la création de la République turque de Chypre Nord (RTCN ou TRNC en turc) s’accompagne d’une déclaration d’indépendance. La constitution de la RTCN, adoptée par référendum le 5 mai 1985 par 70 % des votants, est de nature plutôt démocratique. Mais elle ne prévoit aucun rapprochement avec la République de Chypre.

23 avril 2003

Ouverture de la « ligne verte » à Nicosie

Dans la dernière capitale au monde toujours divisée, cet événement a ce jour-là des allures de chute du Mur de Berlin. Créée en 1964 et complètement fermée depuis 1974, la zone tampon n’était jusque-là franchissable que par les diplomates et les Casques bleus. La Turquie empêchait tout passage vers le Nord, craignant à la fois un retour des anciens habitants chypriotes grecs et un départ massif des Chypriotes turcs vers le Sud, plus riche. Mais, suite à une plainte de la République de Chypre en 1999, la Cour européenne des droits de l’homme oblige la Turquie à créer un point de passage. Le site choisi est le check-point du Ledra Palace, le long des remparts vénitiens de Nicosie. Pour la première fois en 29 ans, le 23 avril 2003, les habitants des deux côtés du pays peuvent passer la « ligne verte ». À pied seulement, et uniquement pendant quelques heures. Mais quel changement ! Deux Chypriotes grecs qui étaient passés au Nord et deux Casques bleus britanniques avaient été tués par l’armée turque et des militants chypriotes turcs en août 1996. Sept ans plus tard, c’est l’affluence devant le Ledra Palace. Des milliers d’habitants traversent la « ligne Attila » dans les deux sens, ce qui donne lieu à d’émouvantes scènes de retrouvailles, mais parfois aussi à l’accueil glacial des occupants illégaux de maisons visitées par leurs anciens propriétaires. Progressivement, le check-point sera ouvert 24h/24. Dans les années qui suivent, d’autres accès pour voitures et piétons sont créés le long des 180 km de la « ligne verte ». Avec un total de neuf points de passage aujourd’hui, la vie sur l’île a changé. Mais nombreux sont ceux qui n’ont pas encore osé franchir la ligne, par peur d’y retrouver des souvenirs trop douloureux ou par refus des formalités de passage, reconnaissance tacite de l’occupation turque…

1er mai 2004

Intégration à l’Union européenne : une occasion ratée

Ils sont dix États à intégrer l’Union européenne le même jour, comme Malte, la République tchèque, la Pologne et bien sûr Chypre. Ce nouveau membre est un cas à part. C’est le seul État de l’UE qui soit partiellement occupé par une puissance étrangère, la Turquie – qui, par ailleurs, est elle-même candidate pour intégrer l’UE. Depuis que Nicosie a déposé son dossier, en 1990, les diplomates de Bruxelles savaient que cela allait être un challenge. Mais, pour ce qui est de l’occupation turque, toutes les parties concernées pensent avoir la solution. Quelques jours avant l’entrée de Chypre dans l’UE, le 24 avril, le plan Annan est soumis par référendum aux deux parties de l’île. Or, si les Chypriotes turcs disent oui à 65 %, les Chypriotes grecs, fébriles, disent non à la réunification à 76 %. La réunification échoue et c’est le sentiment d’un grand gâchis qui domine. C’est donc un pays occupé qui intègre l’UE le 1er mai 2004.

2012-2013

Crise financière : un pays à deux doigts de la faillite

La crise financière internationale qui a éclaté en 2009 a touché et presque coulé Chypre trois ans plus tard. En cause : les investissements russes dans la République de Chypre. L’économie locale reposait alors sur une fiscalité faible pour les entreprises et un système bancaire peu regardant sur l’origine des capitaux. Or, début 2012, pour sauver l’économie grecque, à genoux depuis 2009, les Européens accordent à Athènes un effacement de 53,5 % de sa dette publique… qui était justement détenue en grande partie par les banques chypriotes. Aussitôt, ces dernières se retrouvent en situation de faillite. Le pays sera sauvé par un vaste plan d’aide européen en 2013. En échange de quoi, Nicosie s’engage une nouvelle fois à réformer son système bancaire. Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit que Chypre demeure le premier pays investisseur en Russie : 27 % des investissements directs étrangers en 2018. Il s’agit le plus souvent d’argent « sale » provenant de Russie qui est « blanchi » à Chypre avant de revenir en Russie. Sous la pression de l’Europe, le gouvernement chypriote a mis fin, en 2020, à son programme de "visas dorés" permettant d'acquérir un passeport chypriote contre l'achat d'un bien immobilier. En 2022, les sanctions économiques imposées par l’Union européenne après l’invasion russe en Ukraine font aussi craindre des conséquences douloureuses pour l’économie du pays.

2017

Au large de Chypre, la guerre du gaz a commencé

Comme si les relations entre Chypre et la Turquie n’étaient pas assez tendues, les gigantesques gisements de gaz naturel découverts au large de l’île depuis 2011 viennent encore mettre de… l’eau dans le gaz. Depuis 2017, les marines française, américaine et italienne escortent les navires des compagnies pétrolières qui effectuent des forages exploratoires dans la zone maritime attribuée à la République de Chypre. Objectif : dissuader la Turquie de perturber les opérations ou de lancer ses propres forages. Car Ankara conteste les frontières maritimes et la zone économique exclusive de Chypre (90 000 km²), aussi bien au large de ses propres côtes que de celles de la partie nord de l’île. Pour sa part, Nicosie s’est vu reconnaître ses zones de prospection par tous ses autres voisins maritimes et a même lancé des explorations communes avec Israël, la Grèce et l’Égypte. Pour Bruxelles, les approvisionnements en gaz naturel sont devenus un enjeu stratégique majeur depuis la crise avec son premier fournisseur, la Russie, en 2015, et surtout depuis la guerre en Ukraine en 2022 et le débat autour de l'indépendance énergétique de l'Europe. Les réserves chypriotes, estimées à 900 milliards de mètres cubes, pourraient permettre d’assurer l’autosuffisance de l’UE pendant de longues années...

Plateforme d'extraction de gaz au large des côtes chypriotes © Andriy Markov - Shutterstock.Com.jpg