Ebre © Official - shutterstock.com.jpg

La calligraphie, pilier de la culture turque

Dans la religion chrétienne, Dieu s’étant incarné en homme, l’image qui le représente fait partie du culte. Dans l’islam, Allah s’est manifesté par le verbe, et l’écriture remplace l’image. D’où la place essentielle dans le monde musulman de la calligraphie, art majeur dédié au verbe, reproduisant indéfiniment les sourates du Coran ou les dires du Prophète. Les Ottomans, plus rigoristes sur la question de l’image que les autres civilisations musulmanes contemporaines, développent la calligraphie au point que celle-ci devient, avec l’architecture, l’art ottoman par excellence.
Les calligraphes écrivent avec un calame, une plume en roseau dont la taille détermine le style de graphie. Quant à l’encre, elle est fabriquée avec la suie que dépose la fumée des bougies dans des ouvertures faites en haut des murs des mosquées impériales. Le scribe corrige les erreurs avec le bout de sa langue (d’où l’expression turque « lécheur d’encre », qui désigne l’intellectuel encore aujourd’hui) et sèche son ouvrage avec du sable fin qu’il conserve dans son écritoire. Les calligraphes ottomans excellent aussi bien dans l’écriture celi que dans l’écriture gubari. La première, gravée dans la pierre et le bois ou cuite en céramique, orne l’architecture monumentale, la seconde, fine comme des grains de poussière, sert à calligraphier de minuscules Corans, dits « Corans de bannière », utilisés lors des batailles. Les trois grands maîtres de la calligraphie ottomane sont le Cheikh Hamdullah (1429-1520), Ahmed Karahisarı (1470-1556) et Hafiz Osman (1642-1698).

La miniature, au cœur de l’histoire ottomane

Forme dominante de l’art pictural ottoman du XVe au XVIIIe siècle, les miniatures ont beaucoup été étudiées pour ce qu’elles apprennent des contextes sociohistoriques et des préoccupations esthétiques du passé. Mais elles sont également passionnantes du point de vue pictural, avec une manière de cadrer et des modes de lecture spécifiques. Les miniatures sont divisées en deux catégories : décoratives (motifs de végétation ou formes géométriques) et illustratives (portraits, scènes de bataille, etc.). Cet art atteint son apogée au XVIe siècle, notamment sous Soliman le Magnifique (qui lui-même en fait de nombreuses commandes), et est alors caractérisé par son grand réalisme. Les miniatures turques ne sont pas aussi célèbres que les miniatures perses, bien qu’elles soient elles aussi d’une qualité remarquable, avec des teintes plus vives et une grande attention portée aux détails.

L’art ebru

L’ebru, ou papier marbré, est un art pratiqué en Turquie depuis l’Empire ottoman. Des colorants minéraux et végétaux sont déposés goutte à goutte sur de l’eau épaissie à l’aide de substances grasses, puis sur laquelle une feuille de papier est ensuite déposée afin de créer des motifs uniques, presque psychédéliques. L’art ebru a été inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO en 2014. Aujourd’hui, cette forme d’art reste très populaire. Ce savoir-faire et la philosophie qui le sous-tend sont transmis oralement et à travers un apprentissage auprès d’un maître d’une durée de deux ans. Cette pratique est accessible à tous sans distinction d’âge, de sexe ou d’origine ethnique et joue un rôle important dans le renforcement des liens sociaux entre les communautés et dans l’autonomisation des femmes.

La sculpture Meerschaum

La Meerschaum (ou Lületasi) est une substance minérale présente en Turquie, utilisée pour sculpter des ornements depuis le début du XVIIIe siècle. Son nom scientifique est le silicate de magnésium hydraté, il se trouve de 10 à 300 mètres sous la surface de la Terre, tout particulièrement dans la province d’Eskisehir (entre Istanbul et Ankara). À la fois résistant et poreux, il constitue un matériau très léger et facile à manipuler. Surtout, il a une capacité d’absorption naturelle qui permet par exemple de filtrer la nicotine, d’où sa popularité pour la fabrication des pipes et son surnom d’« or blanc » (bien que sa couleur varie entre le blanc, le jaunâtre, le gris et le rougeâtre). Le sculpteur examine chaque morceau du minéral, en calculant les lignes de clivage le long desquelles il convient de le tailler. Fendu puis trempé dans l’eau pendant 15 à 30 minutes, jusqu’à ce qu’il atteigne la consistance d’un fromage à pâte dure, le Meerschaum devient un matériau très facile à travailler une fois ramolli. Il passe ensuite dans un four à haute température, un processus permettant d’éliminer toute l’humidité. Après un polissage méticuleux, la pièce est trempée dans la cire un certain nombre de fois, ce qui lui donne une coloration particulière.

La peinture turque, entre Orient et Occident

Au cours du XIXe siècle, la miniature perd progressivement de sa popularité au profit de la peinture à l’huile d’inspiration occidentale. On associe le début de la peinture turque, au sens occidental du terme, à la fondation en 1884 de l’Académie des Beaux-Arts (ou Université Mimar Sinan) par Osman Hamdi Bey, première figure importante de la peinture turque. De nombreux échanges avec l’Europe prennent place à l’époque, qu’il s’agisse d’étudiants envoyés en France ou en Italie, ou, à l’inverse, de peintres invités à transmettre leurs compétences en Turquie. Les grands peintres ottomans, comme Osman Hamdi Bey, Seker Ahmet Pacha, Hoca Ali Riza, Ahmet Ziya et Halil Pacha, se consacrent principalement au paysage, avec peu de portraits.
Après la Première Guerre mondiale, l’impressionnisme a une influence majeure sur les artistes turcs. Les jeunes artistes ottomans partis étudier l’art en Europe sont obligés de rentrer chez eux au début de la Première Guerre mondiale, d’où leur surnom de « génération 1914 ». Parmi eux se trouvent des peintres de renom comme İbrahim Çallı, Nazmi Ziya, Feyhaman Duran et Hikmet Onat, qui ont joué un rôle important dans la diffusion de genres comme le paysage ou la nature morte dans leur pays. Presque tous enseignent à l’Académie des Beaux-Arts et participent donc activement à la formation des générations suivantes. On peut découvrir quelques-unes de leurs toiles au Musée des Beaux-Arts d’Ankara.
L’autre grand groupe qui marque la peinture turque dans la première partie du XXe siècle est surnommé « les Indépendants » et rassemble les pères de l’art moderne turc. Cette association, officiellement fondée en 1929, est la première société d’artistes créée après la fondation de la République turque en 1923. En réaction au style de la génération 1914, les Indépendants se désintéressent de l’impressionnisme et se tournent vers l’art abstrait, l’expressionnisme ou le cubisme. Les artistes les plus connus de cette mouvance sont Refik Fazıl Epikman, Cevat Dereli, Hale Asaf, Ali Avni Çelebi, Zeki Kocamemi ou Muhittin Sebati. On peut admirer leurs travaux au très complet Musée d’art moderne d’Istanbul.

La photographie, symbole de la modernisation du pays

La photographie a fortement contribué à la modernisation de la Turquie depuis le XIXe siècle. Le premier studio de photographie a été créé en 1845 à Istanbul par les frères italiens Carlo et Giovanni Naya. Dans les années 1860, le nombre de ces studios augmente considérablement dans la capitale. Le sultan Abdülhamid II (1876-1909) s’intéresse tout particulièrement à ce médium, lui-même photographe amateur à ses heures perdues. Durant son règne, l’art de la photographie se développe considérablement, et ce dans l’Empire ottoman tout entier. Le sultan charge des photographes de documenter les événements, les monuments et les principales institutions du pays. En 1893, il envoie des dizaines d’albums photo à la Library of Congress des États-Unis et au British Museum en Angleterre, afin de promouvoir son empire. Ces images montrent écoles, chemins de fer, hôpitaux, monuments et scènes de vie à Alep, Damas, Bagdad, Thessalonique, Izmir ou Istanbul. Une grande partie d’entre elles est visible à la bibliothèque de l’Université d’Istanbul.
Après la création de la République, la photographie est toujours très utilisée comme moyen de propagande. Jusque dans les années 1970, elle est surtout pratiquée à des fins documentaires, publicitaires ou journalistiques, parallèlement à la photographie amateur qui se développe exponentiellement. La première génération de photographes contemporains émerge dans les années 1980, avec les premiers diplômés des départements de photographie. Parmi les plus renommés, on peut citer Nazif Topçuoğlu, Ahmet Ertuğ, Arif Aşçı, Ahmet Elhan, Sıtkı Kösemen ou Ani Çelik Arevyan. À partir de la fin des années 1990 et le début des années 2000, l’art se diversifie avec une nouvelle génération de photographes soutenue par des lieux spécialisés comme la galerie Elipsis. L’une des plus belles collections du pays est exposée à Istanbul dans le Musée Ara Güler, pionnier de la photographie documentaire turque, surnommé l’« œil d’Istanbul ».

Un art contemporain en plein essor

Depuis les années 1980, et tout particulièrement ces dernières années, l’art contemporain explose en Turquie, au point de faire d’Istanbul un véritable hub artistique, avec de nombreuses galeries, des musées et des événements culturels qui attirent désormais un public international. Dans cet essor, impossible de ne pas mentionner la Biennale d’Istanbul, considérée comme un événement catalyseur, une des manifestations mondiales les plus importantes en termes d’art contemporain ayant amené derrière elle la création d’autres événements comme le festival contemporain d’Istanbul, Art international, la Biennale du design, sans oublier les institutions incontournables comme Salt et Arter. Très divers, parfois provocant, l’art contemporain turc est à la fois globalisé et attentif aux histoires locales et aux traditions de la région, qu’elles soient grecques, romaines, byzantines ou islamiques. Pour ne citer que deux artistes de cette nouvelle scène, on pense aux mystérieuses représentations de femmes de Kezban Arca Batibeki, qui explore la question de l’autonomisation des femmes en Turquie, ou encore aux peintures hyperréalistes de Taner Ceylan, qui dépeint un érotisme homosexuel en reprenant les codes des peintures orientalistes.

Le street art, moyen d’expression politique

Le street-art connaît une grande popularité depuis plusieurs années en Turquie, et plus particulièrement à Istanbul. On en trouve dans la plupart des quartiers importants de la ville : Taksim, Besiktas, Kadiköy, Kadiköy, Sisli d’Istanbul, Kaliay d’Ankara, Tunali Hilmi, Alsancak et Izova d’Izmir. Si les premières fresques sont apparues dans les années 1990, ce n’est qu’à partir de 2013, avec les événements de Gezi, qu’elles se sont véritablement répandues. Leur popularité a été telle suite aux manifestations que le Musée Pera a organisé en 2014 une exposition leur étant dédiée, intitulée « Language of the wall » et à laquelle ont participé vingt artistes de renommée internationale.
Le QG des graffeurs stambouliotes est l’avenue Istiklal, qui part de la place Taksim, en plein centre-ville. De nombreuses surprises vous attendent dans les alentours. Dirigez-vous par exemple vers l’Académie des Beaux-Arts Mimar Sinan pour admirer les œuvres de ses étudiants. De l’autre côté de la ville, c’est le quartier de Kadiköy qui tire son épingle du jeu en matière de street-art. Cette forme bénéficie d’un soutien total de la part de l’administration locale, qui organise chaque été le festival Mural Istanbul, pendant lequel les rues de la ville se transforment littéralement en musée de plein air. Grâce à des artistes internationaux comme Kripoe, 1UP et Dome, ou locaux comme Leo Lunatic, Nuka et Esk Reyn, les murs de la ville sont transfigurés et les visiteurs accourent pour en profiter.